Le vieil homme

aile68

Peau épaisse, toute ridée, le vieil homme se déplace péniblement. Il a une canne au bout de sa paluche toute ridée, vieux restes d'une vie de labeur où un sou est un sou. Il a des enfants, et une femme aussi au cimetière d'une commune perdue dans la montagne. Il voudrait se perdre dans les bois, ne jamais revenir, mais il connaît trop bien le chemin, et son chien Fidèle a besoin de soins comme un enfant. Des fois il pleure à l'église quand il se croit seul, mais tout le village le sait bien qu'il est malheureux. Quand on est vieux on ne compte pas, c'est ce qu'il croit, mais il pourrait en raconter des histoires. Un jour il prendra le vieux car qui conduit les jeunes à la ville le samedi, et il ira voir sa cousine Brigitte. Il a toujours eu le béguin pour elle, mais il n'a jamais rien dit, un marié ça ne va pas voir ailleurs. Que peuvent-ils faire tous les deux pendant toute une journée? Se rappeler le passé, de vieux rêves qui ont déterminé leur vie, se prendre par la main et mourir ensemble. Mais le temps le veut autrement, ce n'est pas encore l'heure de partir, alors ils restent parfois dans le silence pendant de longues minutes, sans se regarder, pas la peine, ils se connaissent par coeur. Cette impression que la messe est dite les rend impuissants face à Dieu et à ces hommes si fiers, arrogants. Le vieil homme est bon, ça se sent, il en a parfois souffert. Quand on est bon, on ne vous prend pas toujours au sérieux, ainsi va l'humanité mais ils n'est pas dupe. Il va rentrer maintenant, sa promenade l'a fatigué, il va se badigeonner les genoux d'une pommade visqueuse et malodorante, bien faire pénétrer de sa paluche toute ridée et maigre. Les journées pour lui sont longues et solitaires, souvent il se demande quand et comment ça se passera au dernier souffle de sa vie. Il ne veut pas de fleurs ni de couronne, juste ses enfants, qu'ils viennent de la ville pour une fois, qu'ils interrompent leur travail si important. Et si jamais ils passent chercher la cousine Brigitte, elle saura quelle cravate lui mettre pour l'occasion. Des occasions il en a raté dans sa vie, il sera présent à la dernière; il s'est promis de rejoindre sa tendre épouse, pas trop tard et pas trop en mauvais état. Il maudit ses rides comme une femme coquette, depuis longtemps il ne se tient plus droit. Elle le reconnaîtra bien sûr, les coeurs purs ne meurent jamais.

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