Le vieux livre

Damien Nivelet

Assis à la terrasse de mon bistrot préféré, je tenais entre les mains un vieux livre d'Herman Melville acheté chez le bouquiniste du coin il y a peu. Je ne l'avais pas encore lu, à peine parcouru par le passé. Mais une envie de le dévorer venait de me prendre...
Il y a des envies comme ça et "le meilleur moyen de se libérer d'une tentation est encore d'y céder" (dixit Oscar Wilde). Je me commandais donc un café serré et allais entamer la lecture du précieux ouvrage quand une petite pluie fine se décida à contrecarrer ma lubie. Décidément! J'étais fâché avec les éléments... J'engloutissais mon café et décidais d'aller voir ailleurs, reportant mon objectif de lecture à plus tard.
Je rentrais d'abord chez moi y ranger le fameux livre. Pour tout dire, je l'avais déjà eu précédemment, mais il avait disparu, il s'était envolé lors de pérégrinations avant même que je puisse le lire vraiment. Je ne voulais pas que pareille mésaventure se reproduise... C'eût été rageant...
Je voulais bouger ensuite, puis voyant la pluie s'exprimer de plus belle, je m'assis et contemplais la danse conjointe de Hyetos et d'Éole par la fenêtre... Cette vue magnifique par-dessus les toits me réconciliait avec les éléments.
Au bout d'un moment, voyant que cette parade n'en finissait guère, lassé, je me dis que j'allais lire le livre finalement...
Je me dirigeais vers lui, quand j'entendis la sonnette de la porte retentir. Qui était-ce donc? Je n'attendais personne...
À la porte, quelle ne fût pas ma surprise de retrouver une ancienne amie! Elle avait mis le temps, mais s'était décidée à franchir le pas pour me revoir. Elle qui avait disparue sans laisser d'adresse, sans mot d'adieu, il y avait déjà de cela quelques temps. Un peu hébété, je lui proposais d'entrer. La rancune ne faisait pas partie de mes habitudes...
Nous bûmes un thé ensemble, discutant allègrement de notre vieille amitié, certes mise à mal par son comportement cavalier, mais j'étais sans rancœur... La discussion tourna autour de différents sujets dont la philosophie qui me passionnait tant.
Au moment de partir, elle me demanda si elle pouvait m'emprunter un livre dans ma bibliothèque bien fournie. Je répondis par l'affirmative. Et comme par hasard... Elle choisît de m'emprunter le vieux livre que je venais à peine d'acheter... N'objectant pas, elle partît donc avec... Je ne l'avais pas lu. Je ne la revis jamais, et donc le vieux livre en même temps... Je ne l'ai jamais lu à ce jour.

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