Le voyageant

Alice Neixen

Un aéroport, encore un autre, déjà visité sûrement, fréquenté assidûment. SFO San Francisco, haut lieu d'atterrissage des nouveaux bijoux d'Airbus, plaque tournante du continent américain, melting-pot international de touristes et gens d'affaires, de valises, attaché-cases, sacs de golf et de plongée. 

Prémices d’une arrivée tumultueuse

Fraîchement débarquée d’un Boeing 747 en provenance de Singapour, je quitte la soute à peine chauffée pour être jetée sur un chariot à même le tarmac. Le chariot rejoint l’immense aérogare vitré, et verse son contenu sans délicatesse sur un interminable tapis roulant, qui longe, traverse, tourne, et trie en vomissant le flot de bagages au gré de leur destination. Bangkok, Paris, Toronto, New York, Mexico, Londres, Sidney, Venise. Pour moi, destination “YYC-Calgary”, nouvelle escale avant de rejoindre Vancouver. Départ à 10h24.

Après des heures de vol, ankylosées dans des positions inconfortables, nous nous amoncellons sur le tapis roulant, secouées, emportées vers nos destinations, mélange indifférent de classe et de luxe. Les agents de tri s’efforcent de répartir l’amas entassé de propriétés singulières au gré de leur destination.

Bientôt mon tour ! J’ai hâte d’être séparée de l’énorme valise Vuitton qui m’écrase par son luxe et son poids de vêtements hors de prix, tandis qu’un vulgaire sac de marin me barre la vue. Soudain, une main énergique et experte me saisit, me retourne, m'examine, cherchant visiblement mecontente quelque chose qu'elle ne trouve pas. Suspicieuse, elle me pose alors sur un chariot, loin, trop loin du tapis roulant qui emporte celles, chanceuses, qui restent dessus et poursuivent leur voyage.

Examen sans fin

Abandonnant le circuit banalisé du transit habituel, le chariot me trimballe à présent d'ascenceurs en couloirs, franchissant des portes, traversant de longs corridors vitrés sans fin, dépassant des salles fermées. Un énième ascenceur, une énimère porte métallique qui s’ouvre dans un bruit de feraille presque imperceptible, et enfin une salle. Noire, vide.

Une autre main, solide, me tire de ma torpeur et me pose délicatement sur une plaque en métal, rêche et froide. Elle me sangle à la table et fait coulisser au-dessus de moi une boîte curieuse, avant de me plonger dans le noir. Les pas s’éloignent et la boîte se met en branle, passant et repassant au-dessus de moi, s’arrêtant parfois, inquisitrice et curieuse.

Peu de temps après, un individu entre dans la pièce, pas chancelant et voix peu assurée, avec une feuille épaisse et transparente à la main.

"- Bon alors, accouche ! Qu'est-ce qu'il y a à l'intérieur ? C4, cannabis, corail, défenses d'éléphant, nourriture asiatique ?

- C'est à dire que...

- Que quoi ? C'est encore pire ? Un cadavre, des organes, un anaconda recrovillé ?

- ..."

Le chef, excédé, arrache la feuille des mains de l'agent.

- “Jésus Marie Joseph... Ouvrez cette valise, immédiatement ! Appelez les secours, une ambulance, un médecin, les pompiers, le directeur !! Remuez-vous !"

Les mains s'avancent et s'acharnent sur les cadenas et les fermetures zipées, jusqu'à ce que la valise s'ouvre en un clac craquant et désagréable.

Les visages s'avancent au-dessus de la valise, scrutent timidement son contenu, un peu craintifs aussi.

- "Je crois que ça vient de bouger,” dit une voix.

- “Mais non, tu rêves”, répond une autre.

- “Regarde sa poitrine alors, crétin”, rétorque la première, énervée.

- “Mon Dieu, c'est vivant !!!”, acquiesce un coeur de voix, mal à l’aise.

Devant une telle découverte, instinctivement tous reculent, effrayés et attirés en même temps.

Les os craquent, les vertèbres crissent, les muscles se détendent, la valise remue. Très doucement, une première main s'etire, un bras se déploie, une jambe s'étend. Les deux longues jambes sortent de la valise, suivies de près par le tronc osseux, les bras squelettiques et le visage coupé au couteau.

Propriétaire et étiquette

- "C'est déjà Vancouver ? demande la voix flutée du corps tordu.

- Non Monsieur, vous êtes à San Francisco.

- A San Francisco ! Mais pourquoi ne suis-je pas dans la soute d'un avion, sur un tapis roulant, dans un chariot, que sais-je n'importe où mais pas là en face de vos tronches ahuries! s'exclame l'homme farouchement mécontent.

- C'est à dire Monsieur que votre bagage n'était pas étiquetté et que nous sommes contraints de respecter la procédure de sécurité en pareil cas, répond le chef sans se démonter, avant de lâcher, excédé : “Et puis d'abord figurez-vous que les gens normaux utilisent les cabines et les sièges pour voyager depuis près d'un siècle !

- Et alors, il y a bien des chiens dans des paniers en plastique en soute, pourquoi pas un contorsionniste dans sa valise ? Remettez-moi donc dans cette valise avant que mes muscles ne se détendent de trop, j'ai une réputation à tenir et une représentation à donner dès mon arrivée à Vancouver, il faut absolument que mon corps reste en place !"

Joignant les gestes à la parole sans leur laisser le temps de rétorquer, il ouvre la valise, y place ses pieds à des endroit stratégiques, y glisse ses longues jambes, son tronc osseux, ses bras squelettiques et avant de claquer la valise, il y passe la tête et gromelle :

- "Maintenant que vous connaissez le propriétaire de cette valise ainsi que sa destination, mettez-vous votre étiquette là où je pense ou remplissez-la vous-mêmes, mes mains sont coincées!"

La valise claque. Un agent médusé la saisit d'une main et s'élance en courant vers le tarmac, espérant trouver la soute de l'Airbus encore ouverte, tout en songeant que les gens sont fous mais que ça fera une histoire à raconter aux copains à la buvette ce soir.

Trop pressé, il laisse derrière lui, sur le comptoir, l'étiquette. 

La prochaine escale risque d'être longue...

  • Si votre idée de prendre la personnification à la lettre en plaçant un homme dans une valise est excellente, vous n'avez pourtant pas joué le jeu de la subjectivité, du point de vue de la valise. Plutôt que de vous mettre réellement dans la peau de votre valise, vous nous proposez des séquences dans lesquelles il vous arrive d'oublier que vous devez dire "je". Vous avez voulu nous raconter une histoire en oubliant finalement la personnification. Enfin vous nous livrez trop peu de descriptions, auxquelles vous avez préféré des actions.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Default user

    Sophie D.A. We Love Words

  • Excellent.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

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