Leçon de nos vieux
Jean Claude Blanc
Leçon de nos vieux
Dans mon hameau désert, le Ciel est capricieux
Plus guère d'autochtones pour vivre au grand air
Plupart du temps fermées, résidences secondaires
Je n'ai pour compagnie qu'une paire de petits vieux
Même pas bien costauds, ne craignent pas l'enfer
Pourtant essayent tout de même, sortir de chez eux
Quelques pas sur la route, bras dessus, bras dessous
Mais pas n'importe quand, seulement quand il fait doux
Pour les réconforter, je fais ce que je peux
Un geste, un regard, de loin un petit coucou
Pour eux mes 63 piges, c'est l'éternelle jeunesse
Etant digne de confiance, qu'à moi ils se confessent
Suffit qu'ils m'aperçoivent, leurs visages s'éclairent
Ravis et soulagés, voir mes volets ouverts
Font partie du décor, déshérité pays
Peur se faire rouler, à moi seul se fient
Intimes de ma famille, identique dynastie
Fiers de m'en commenter la généalogie
Entre nous, on se comprend, pas question de chichis
On discute le bout de gras, mi patois, mi français
Ainsi on trompe la mort, autour d'un verre d'eau de vie
L'occase se payer une tranche, du cake de la mémé
Parfois trop cuit au four, ayant un goût de cramé
Par contre si l'un d'eux, s'en vient à radoter
Vite convoqué d'office, comme pompier de service
Ne me fais pas prier, solidaire, dévoué
Généreux de nature, me précipite complice
Deux baraques accolées, aux façades opposées
La mienne ne m'en plains pas, je m'y tiens calfeutré
Mais souvent pris de remords, moi qui suis bien portant
C'est la moindre des choses, d'aller leurs demander
S'ils ont besoin de rien, ces pauvres impotents
Pouvant pas faire leurs courses, le bourg trop éloigné
Mais me le rendent bien, malgré leurs souffrances
M'apportent quelques patates, cueillies dans leur jardin
Pas besoin de merci, que juste reconnaissance
Fidèles à leur principe, le cœur sur la main
Précieux que ces anciens, pour leur riche mémoire
Qui pour m'en éblouir déballent leur répertoire
Histoires d'une autre époque, de leur mirifique passé
En rajoutent, en abusent, inspirant mes idées
Ça tombe à point nommé, artiste invétéré
Dommage que la sagesse rime avec la vieillesse
Encore tout feu, tout flamme, je nage dans l'allégresse
Ignorant mes années qui sûrement avancent
Résultat consternant, retomber dans l'enfance
Grâce à ces patriarches qui ne cessent de mourir
En lisant dans leurs yeux, dévore leur goût de vivre
Se contentant de rien, malgré tout bien heureux
Comparés à mon sort, me sens franchement honteux
Comme l'a chanté Ferrat, « la Femme avenir de l'Homme »
La mamie le dépasse, prévoyant son néant
Veuve prématurément, en n'ayant plus personne
Pour l'accompagner à son enterrement
Usés, ratatinés, miracle encore en couples
Ronchonnent en silence, le soir lampant leur soupe
« Chaque jour suffit sa peine », toujours ça de gagné
Apprentis philosophes, que peut-il leur arriver…
Que passer l'arme à gauche, ça ne fait aucun doute
J'assiste obligé, à leur vache de quotidien
Inévitablement étant leur seul voisin
J'en apprends amèrement sur mon futur destin
Ne souhaitant surtout pas en connaitre la fin
Même leur peau flétrie et leurs sautes d'humeur
Alors sans qu'ils le sachent m'inondent de leur chaleur
Estompant mes angoisses, d'homme seul en ma demeure
En retour eux aussi, me préfèrent là tout proche
Pour la moindre paille en croix, à moi ils se raccrochent
Me supplie cette grand-mère, lucide de sa faible santé
Que je ne parte jamais, en ville pleine de bruit
En serait affectée et même affolée
Le sien perd la tête, et presque à l'agonie
Argument imparable, « je suis si bien ici »
Comme elle, je le redoute ce faucheur diable traitre
M'attendant chaque jour les voir disparaitre
Avec son mari, soudain tout envoyer paitre
Maitre sur mon territoire, mais bien triste retraite
Dans ma région austère, les villages se vident
La campagne désertée, peu à peu prend des rides
Bien beau d'en admirer les jolis paysages
Ne pouvant plus marcher, les vieux ça les ravage
Dernière info ce soir, pas vraiment un régal
Notre grabataire gâteux, emmené à l'hôpital
Pas bête sa sainte dame, ne se le fait pas dire
Il n'en reviendra pas, inutiles soupirs
On reste quelques-uns à se serrer les coudes
C'est comme ça chez nous, notre affection se soude
Pour entourer notre vieille, quelle garde encore l'espoir
Pas sotte la mémé, déjà sort son mouchoir
Qui sera le prochain, sur la liste des défunts
Mieux vaut pas y penser, on verra bien demain
Retarder l'échéance, volonté du Divin
Mais impossible hélas courir comme un lapin
Alors pour mes vieux, je suis aux petits soins
Leur dédie ce poème, qui ne mange pas de pain
Dure réalité, mortelle existence
Leçon de vérité, de cette illustre engeance
Qui pense donc elle est.., consciente de son impuissance
A faire face à son âge, confuse de ses maux d'absence
Pardonnez-moi mon lyrisme, pour ces 2 petits vieux
Qui ne croient plus vraiment au diable et au Bon Dieu
Se trainent comme ils peuvent, faisant fi de la foi
C'est leur manière sur Terre de remplir leur contrat
Me sollicitant à ce point, c'est dire leur affliction
Ces Etres déglingués, qui ont touché le fond
Le corps plus bien adroit, mais pourvus de raison
Je n'ose imaginer, qu'ils prennent comme un affront
Livré à domicile, leur sac à provision
Mais pour donner le change, et cacher leurs misères
Parfois donnent de la voix, tremblante de colère
Leurs gosses, de leurs manies, ça les dérange guère
Atteints de toute façon, du nuage Alzeimer
Hélas condamnés à peupler le cimetière
Ne sommes pas nombreux, à saisir leurs secrets
A panser leurs blessures, à colmater leurs plaies
Manquent pas de dextérité, les mots savent les croiser
Et même pour certains, sur le net vont pianoter
Sachant avant tout le monde les actualités
Abonnés au journal, aux infos de la télé
Plus de 80 ans, encore le courage
Donneurs de leçons, délivrer leur message
Que le plus important, c'est faire son devoir
La vie n'étant pas rose, pourquoi broyer du noir
Même qu'elle en vaut la peine, jusqu'au bout consommée
Alors qu'on se casse la tête, pour de futiles problèmes
Ainsi c'est le théorème, de ma vieille souveraine
Pas encore satisfaite d'en avoir profité
Priant qu'avec son homme, jusqu'à la fin ils s'aiment JC Blanc mai 2017 (pour ces vertueux)
Il y a tant dans les Cévennes de ces petits vieux-là :)
· Il y a plus de 7 ans ·Mario Pippo
Très touchant et mouvant
· Il y a plus de 7 ans ·campaspe