L'enfant du Chaos

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Ton visage si doux et tes cheveux si fins présageaient de bonnes choses quant à ton avenir et à ton rôle ici. Nous avions tout misé sur toi. Nous avions de grands espoirs, tu aurais pu faire des tas de bonnes actions. Mais tu as sombré. Trop précipitamment. Derrière le sourire malicieux que tu nous adressais chaque jour, tu te détournais du bon chemin sur lequel nous t’avions placée. Tu te glissais doucement dans l’ombre. Tu la contrôlais, tu l’habitais, toi, reine des damnés. Ta puissance augmentait de jour en jour, s’imprégnant du mal, s’infiltrant dans les bonnes âmes afin de n’en laisser que cendres et terreur. Nous ne pouvions que contempler tristement la déchéance d’un monde autrefois ensoleillé. 
Dans chaque goutte d’eau qui tombe désormais, nous y apercevons ta cruauté sans nom. Chaque rafale de vent fait l’effet d’un puissant acide qui ronge jusqu’à la moelle. La frayeur des hommes devient palpable. Nous aurions dû te stopper lorsque nous en avions encore les moyens. Avant que tu ne te nourrisses de la noirceur qui habitait ton esprit et que nous cherchions à faire disparaître durant ton enfance. Mais la réalité est trop houleuse. Tu n’as finalement fait que suivre ton destin. Les Dieux ont toujours été trop prétentieux de croire qu’ils pouvaient changer le cours du temps. 
Et pendant que nous nous morfondons, tu continues de piétiner chaque humain ayant une once d’espoir et de joie. Tu t’élèves sans cesse, sur cette cathédrale de chair mouvante. Ton ascension est sans limite, ô chère reine. Nous nous devons d’avouer que tu resplendis, que la folie se colle incroyablement bien à la difformité de tes membres et de ton corps tout entier. Nous constatons que le malheur te rend belle. Tu es d’une beauté malsaine et hypnotique, à démembrer ceux qui ont déjà le souffle coupé. 
Nous te suivons depuis ton premier jour, avec de très grands projets pour toi. Tu aurais pu être la meilleure des femmes. La plus compréhensive. La plus rayonnante. Mais tu as fait une suite de mauvais choix qui t’ont conduit à être tout l’inverse de ce que nous avions projeté. Tu contrôles le mal, tu te déplaces sur un immense continent en friche qui ne fait que gagner du terrain. Tu conquis la Terre, ô magistrale reine, faisant naître les feux et les torrents par milliers. Nous sentons ta force s’accroître de plus en plus. Les murs en tremble, tout prêt à s’effondrer sur nous. Quelques larmes nous vinrent, nous ne te le cachons point, car nous étouffons sous ce nuage poussiéreux et humide d’horreur.
Impuissants, nous observons le monde s’affaisser dans les ténèbres. Nous réalisons, muets, l’incommensurabilité du gouffre dans lequel nous survivons. Ô chère créature, jusqu’où s’étendra ton poison ? Tu parcoures le sol, larguant bombes et pièges, afin de capturer les pauvres âmes qui cherchent encore à te résister. Une fois la chose faite, tu les convertis, puis tu te nourris de ce qu’il leur reste de bon pour ne laisser place qu’à leurs pires cauchemars. Ton règne ne prendra jamais fin. Contrairement à l’humanité. On ne décèle plus aucune forme humaine. Tu t’es créé une armée de monstres, bons qu’à te servir et à se reproduire.
Lors de ta quête finale, nous t’avons observée. Perdus entre cette partie qui nous pousse à t’admirer, toi, notre fruit, brillant et puissant ; et l’autre partie, plus raisonnable, qui a peur, et qui nous susurre qu’il faut à tout prix tenter de t’arrêter. Qu’il faudrait que nous te défions, et ce jusqu’à la mort. Cependant cette dernière part de nos cerveaux est devenue trop faible. C’est pourquoi nous restons muets et immobiles pendant que tu envoies tes sbires au-delà de l’atmosphère, en direction du Soleil, afin de le faire sombrer.
Cela n’a pas été de tout repos, mais tu y es parvenue. Nous manquions de forces pour te stopper. Alors nous n'avons fait qu'observer, passivement. Est ensuite venu le banquet. Toutes ces choses répugnantes, toutes ces entrailles dont tu te sustentes sont bien méritées après une telle victoire. Une fois le repas finit, nous t’avons vu gravir cette centaine de marches. Nous t’avons vu ôter ton lourd manteau d’ébène, laissant apparaître ton corps nu, parsemé de cicatrices et d’os saillants, cherchant à s’échapper de leur cage de chair. Nous avons entendu ton cri sourd et terrifiant. Puis il y avait ces humains qui t’observaient d’en bas, t’acclamant, t’applaudissant. Leur appétit sexuel se lisait sur eux. Dans leurs yeux ternes. Tandis que tu descendais vers eux, ils commencèrent à s’arracher leurs vêtements ainsi que ceux de leurs voisins. L’air était chaud, l’orgie se préparait ; ils tremblaient tous d’impatience.
La façon dont tu as su les soumettre nous étonnait. Quelque chose au fond de nous nous faisait nous sentir fiers.
Lorsque ton premier pied foula le sol, quelques hommes et femmes s’approchèrent de toi, nus comme des vers, le sexe et les seins suivant leurs pas. Puis la chaleur de leurs corps vint s’unir à la tienne. Les autres vous rejoignirent précipitamment. En une fraction de seconde, tu étais recouverte de millions de mains tremblantes de plaisir à l’idée de te toucher. Les tétons pointaient, les sexes durcissaient, s’humidifiaient. Les hommes et les femmes vinrent tour à tour occuper ta bouche, tes cuisses, ton pubis. Ce spectacle aurait pu relever du dégoût, mais nous ressentions pourtant tout le contraire. C’était magnifique. Les hommes se touchaient aussi entre eux. Tous semblaient épris d’un plaisir intense et aveuglant. Les doigts ne cessaient de caresser et parcourir à la fois délicatement et sauvagement les torses, les jambes, la moiteur des peaux, du galbe d’un sein.
Cela a duré une heure. Peut-être deux. À vrai dire, le temps semblait s’être arrêté. Pas une brise de vent. Pas un chant d’oiseau. Rien ne vint perturber la scène. Chacun s’écartait petit à petit, jusqu’à te laisser seule, allongée par terre. Nous fûmes soudainement surpris. Quelque chose avait changé. Un élément nouveau avait fait son apparition. Ton ventre grossissait à vue d’œil. De plus en plus. Il semblait ne pas vouloir s’arrêter. Arrivé à une certaine taille, il se stoppa. Les gens alentour observaient. Nous étions tous des spectateurs attentionnés. Personne ne dit mot. Puis, soudain, nous vîmes une chose incroyable. Ton ventre avait bougé. Enfin, à l’intérieur. Il y avait un corps étranger. Tu avais un fœtus. Le Mal avait un enfant…
Cette nouvelle nous laissa sans voix. Une idée traversa l’esprit de l’un d’entre nous. Malgré la beauté paradoxale de la déchéance du Monde, nous ne pouvions nous permettre de laisser ce massacre continuer. Alors que tu étais en train de mettre au monde l’Enfant du Chaos, et que tes petits soldats clamaient « Gloire au maître ! » de vive-voix, une décision fut prise. Nous avons certes échoué avec toi, mais nous ne referons pas deux fois la même erreur. Il n’est pas question de te laisser anéantir le reste du système planétaire. Nous allons redoubler d’efforts et faire tout notre possible afin d’empêcher cette minuscule créature de suivre tes pas. Il est hors de question qu’elle poursuive son existence dans l’obscurité.
Cet enfant sera ton pire ennemi. Il sera ton cauchemar. Il est notre seule chance de te détruire. Lui seul peut te faire te décomposer.
Cet enfant sera la lumière.

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