L’enfant est un scientifique

La tasse de faïence tomba sur le carrelage.

La probabilité que la fragile tasse se brise sur le dur carrelage est presque de 100 %, donc le cerveau, lui, décide d'emblée sans attendre, qu'elle est définitivement cassée et c'est non négociable. Les linguistes appellent cela, une inférence pragmatique, ils auraient pu la nommer logique ou mieux probabiliste, mais les linguistes ne sont pas très à cheval sur les mots.

Par contre, le jeune enfant, lui, est factuel. Il est dit que la tasse est tombée sur le carrelage, donc la tasse est à présent sur le carrelage et c'est tout. Comme le jeune enfant est un scientifique de naissance et comme surtout, il n'a pas encore fait l'expérience de la chute de tasses dans sa courte vie. Il faudra qu'il casse plusieurs services à café de sa maman avant de devenir un visionnaire.

L'enfant est donc pragmatique, ce qui ne l'empêche pas d'être un doux poète rêveur. Car son inférence à lui, c'est que la tasse se soit carapatée sur ses petites pattes sous le buffet pour jouer avec les moutons à les sauter, dont maman dit qu'il faut balayer. Quand papa, lui, dit que ce sont des loups qu'il faut balayer sous le lit. Alors pourquoi les moutons n'ont-ils pas été tous dévorés par les loups jusqu'au dernier ? Oui, le jeune enfant est ratio-logique, par contre il oublie. Tous ses souvenirs d'images, d'émotions avant verbalisation s'effacent les uns après les autres, pourquoi ?  Les psychologues disent que c'est parce que son cerveau a encore tout à apprendre de son vaste monde et qu'il ne doit pas s'encombrer de souvenirs fallacieux et trompeurs.

Moi je dis, que le jeune enfant perd la mémoire pour pouvoir reproduire plus tard, cette perte quand il sera un vieux vieillard. Maintenant, comme le milieu scientifique n'écoute pas trop ce que je dis, restons sur la première hypothèse. Nous avons perdu presque la totalité de nos souvenirs de notre prime enfance et ceux auquel, on se raccroche encore, sont souvent des souvenirs indirects reconstruits par ce que nos proches, nous en ont dit plus tard.

Essayez de remonter en le datant à votre plus ancien souvenir, vous découvrirez que vous l'avez vécu le plus souvent par procuration.

Le mien est celui que j'ai oublié, mais dont je me rappelle avoir lutté pour m'en souvenir, il ne me reste aujourd'hui que le souvenir de cet effort de mémoire et la vague image reconstruite, qui m'avait effrayée, celle d'un homme recouvert de bandages, vu à la télé. J'avais donc déjà pris conscience de l'effacement.

Un autre, à l'âge de la verbalisation, est celui d'une réflexion suscitée par la répétition de mes chutes ; « Mais quand, j'arrêterais de tomber, moi ? Merde à la fin ! »