L'enfer, c'est le pop-up

alexandra-basset-9

J'étais malade d'illusions. De séquences cinématographiques, catastrophes inévitables créées à partir d'une profusion de micro-souvenirs désagréables. Ces derniers, enregistrés et noircis par des filtres rampant derrière ma conscience tels des mollusques venimeux, saisissaient le moindre événement de ma vie pour être réactualisés. Si possible aggravés, assombris, pour m'assujettir encore davantage à leur drame anéantissant.


Je sentais sa présence... Cet intrus, ce metteur en scène cruel et intransigeant derrière chacun de mes gestes, chacune de mes paroles et au-delà, il contrôlait même mes pensées. J'étais toujours sur la réserve, redoutant l'inévitable moment où il allait surgir pour ternir mon humeur et aspirer mon énergie, comme un appel à disparaître. Son dessein ultime semblait être mon désespoir, ma mort. Il se saisissait d'éléments de l'environnement pour lâcher sur moi ses chiens apeurés, qui à leur tour m'effrayaient. Les mots lus, les sons entendus, les scènes vues, les odeurs inspirées et les textures effleurées servaient de déclencheurs pour l'irruption de souvenirs douloureux et honteux, suivis de la projection de futurs malheureux. Par exemple, si je lisais le mot « compatible », s'en suivaient une série de considérations absconses sur mon incompatibilité avec le monde environnant, les sentiments de solitude et d'incompréhension qui en résultaient, mes troubles psychologues récalcitrants empêchant toute connexion avec l'extérieur, comment j'allais finir par gober des 8.6 à longueur de journée, accro aux jeux à gratter et à la rue... etc, etc. Ainsi, je commençai à craindre de voir, de sentir, de toucher, d'entendre. La terreur de vivre me dévorait. Chaque élément extérieur me renvoyait à mes insuffisances, à une médiocrité intérieure qui m'insupportais. Et la crise passée, le metteur en scène me fustigeait encore, me rappelant méchamment à quel point j'étais égocentrique. Alors que c'était lui, l'instigateur de tout ce cirque morbide.

J'étais sa chose, soumise à ses rediffusions et à ses prévisions audiovisuelles affligeantes et incessantes. Le tortionnaire ne prenait pas de vacances, il était toujours en pleine forme. Dès le réveil, et même durant mon sommeil, il me soufflait ses visions cauchemardesques. C'était épuisant.

La peur qu'elles inspiraient s'enracinait dans leur caractère passé ou probable, dans un « déjà éprouvé» ou dans un « à venir ». Je vivais dans un film d'horreur au suspense continuel. Et arriva ce jour où je n'en puis plus de ce squatteur qui me volait mon existence et me faisait suffoquer. Je décidai d'observer ses extravagances pour ce qu'elles étaient, des illusions, et de cesser de les craindre car ma peur le faisait jubiler. Les bons jours, je parvenais même à en rire, poussant les scénarios encore plus loin pour révéler leur caractère ridicule. Les autres, je me contentais de les regarder le plus froidement possible et de zapper ces pop-up insignifiants.

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