L'épique épilogue
Muriel Guigo
Toutes en ordre de bataille sans jamais oublier les gestes barrière, tel un gang masqué ourdissant un complot, nous nous sommes retrouvées dans un gynécée improvisé mais pas confiné (pour évoquer ces questions délicates et subtiles qui n'appartiennent qu'au sexe faible, exit la parité pour un temps, il faut bien quelques compensations...), et avons dégainé chacune de notre côté nos smartphones pour trouver l'idée, le symbole, l'attention qui collerait au mieux à l'intention qui compte.
As-tu perçu des chuchotements, voire un peu de dissipation au sein de ton bureau ? Aurais-tu, fine mouche que tu es, démasqué le gang dans ces œuvres conspiratoires ?
Guidées par une certaine idée de l'authenticité et de l'élégance qui te caractérise, nous avons franchi des distances dont tu ne soupçonnes même par la portée.
C'est ainsi qu'en Russie, nous avons poussé la porte de cette petite échoppe de Saint-Pétersbourg où trônait un magnifique samovar. Nous te voyions déjà confortablement installée dans ton canapé (un peu comme notre ami Rico l'écureuil), une tasse de thé fumant à la main et un bon livre dans l'autre.
Cette impériale bouilloire étincelante ronronnait doucement dans ton "home sweet home" y renvoyant les plus belles lumières des jours, du lever à leur coucher.
Nous laissâmes, après mûre réflexion mais non sans regret, le gaillard samovar dans sa vitrine qui ne feignait pas sa grande déception de ne pouvoir apporter quelque agrément à une gente dame.
L'adaptabilité, comme maître mot, nous changeâmes notre fusil d'épaule et nous nous retrouvâmes au pays des castagnettes où, chacun sait, les robes les plus belles y sont légion. Nous t'imaginions, yeux de biche et mantille derrière ton masque de dentelle (covid oblige, l'éventail n'est plus de mise), corsetée dans ces belles étoffes garances aux reflets moirés, prête à esquisser un pas de deux, Olé !
L'heure du couvre-feu menaçant, nous rebroussâmes chemin, laissant là sur son cintre le belle endormie.
C'est ainsi que, toujours guidées par la quête qui nous tenait à cœur, d'aventure en aventure, de port en port, de train en train, on nous vit, piolet en main et souliers de circonstance, escalader le vertigineux Mont Blanc pour y découvrir de quoi écrire.
Quelle plus belle arme qu'une plume affûtée qui compose, ose et s'impose ?
Las, une indiscrétion nous apprit que l'objet convoité se trouvait dans la panoplie de notre guerrière.
Descendant de la montagne, plus que jamais chevaliers en croisade, à la recherche de notre Saint Graal, nous nous transportâmes au pays des mille et une nuits où dans le souk de l'or nous trouvâmes porte close.
Le panneau affichant "je reviens dans cinq minutes", nous dûmes nous résoudre à quitter les lieux deux heures plus tard. "Allô Houston ? On a un problème !"
Après moult revirements et vaines recherches, une suggestion demandant une investigation poussée s'est alors imposée à nous. Comme un seul homme (expression qui peut laisser perplexes certaines d'entre nous), le gang des masquées a répondu à l'appel. Chacune savait ce qu'elle avait à faire, l'expédition ultime prenait corps. L'adrénaline montait délicieusement, ne restait qu'à atteindre l'objectif.
Après une halte à l'auberge afin de désaltérer nos montures, la chevauchée fantastique reprit de plus belle.
Le jour J, à la pause méridienne, Gwen depuis sa tour de contrôle, chrono en main et oreillettes en place, supervisait le bon déroulement de l'opération #onrécupèrelesac.
Pendant ce temps, les trois comparses, lasso dans la besace, se déployaient dans la ville. Qui en transport urbain, qui en voiture six chevaux pour converger en une synchronisation parfaite, à midi pétante, au point de rendez-vous "l'affaire est dans le sac !", situé non loin d'un haut lieu de villégiature où les souverains d'une époque depuis longtemps révolue y séjournaient pour des parties de chasse et autres joyeusetés.
Misère ! Le sac faisait triste mine et était aussi grand qu'une armoire à glace. Nous ne pouvions que défavorablement envisager le rendu sur la personne destinée à le porter. La boutiquière aux abois nous proposa un autre modèle de toute beauté selon ses dires. A la vue du spécimen qui ne répondait en rien à nos critères d'authenticité, nous restâmes sans voix.
L'infortuné en peau de plastique n'eut pas l'heur de satisfaire aux exigences collégiales.
Nos espoirs déçus, nous partîmes la mine défaite et le regard triste.
S'ensuivit une déambulation désordonnée du triumvirat dans les rues de la cité de Saint Louis où il semblait que le vent de la pénurie ait soufflé sur tous les commerces ayant pignon sur rue.
C'est alors que la prière de Josette arriva jusqu'à nos oreilles, la clef de tous nos maux tenait en un mot. Qu'on se le tienne pour dit, Pourchet serait notre sauveur, Amen !
Le temps nous était compté, il n'y avait plus une minute à perdre. Ventre à terre, nous rejoignîmes notre motorisation et nous nous engouffrâmes dans le bolide de Laëtitia qui, pied au plancher et GPS en ligne de mire, nous conduisit tambour battant dans une mémorable traversée de Paris, évitant nid de poule et queue de poisson, avec une maestria digne d'un pilote de formule 1.
Nous arrivâmes bien vite et sans coup férir place Royale, sous les fenêtres de l'illustre grand-père tant aimé des Français. En levant les yeux, il nous sembla même l'apercevoir derrière la vitre, le regard perdu sur le jardin où refleuriraient bientôt les lilas.
Soudain, quel ne fut pas notre effroi de distinguer l'ombre de deux détrousseurs de grand chemin dans leurs braies au ton pervenche et chausses assorties, qui rôdaient sous les arcades et en voulaient à notre bourse.
Le danger était partout, rien ne nous serait épargné. Pas même le comportement de Josette qui, en proie à de sévères hallucinations, avait, un instant auparavant, pris notre auto pour une deux portes et s'était mise à vouloir redresser, coûte que coûte et avec toute l'énergie qu'on lui connait, le malheureux siège passager qui n'avait rien demandé et, récalcitrant, refusait obstinément d'obtempérer.
Cette course effrénée contre la montre, sur le point de trouver un heureux dénouement, nous trouva toutes un peu déboussolées. C'est ainsi que nous fîmes deux fois le tour de la place avant de nous apercevoir que nous étions stationnées au niveau de la demeure de Saint Pourchet. "Qu'à cela ne tienne, l'exercice physique est bon pour la santé !" s'étrangla Josette à bout de souffle.
A grandes enjambées décidées, après un signe de croix et une génuflexion à l'égard de notre sauveur, nous nous recueillîmes dans cette belle maison où nous ne cessâmes de nous émerveiller devant tant de beauté, de calme, de luxe et de volupté.
L'endroit semblait avoir été privatisé, nous occupâmes l'espace en duplex (c'était un bon signe). Montant l'escalier, le descendant, nous croisant et échangeant pieusement quelques images des luxueux modèles avec Notre-Dame de Bretagne qui, par la magie des ondes, nous donnait son avis, nous orientait pour finalement nous donner son blanc-seing.
Triomphantes, le trésor à l'abri de coupe-jarrets de tout poil, nous refîmes le parcours en sens inverse au son de nos estomacs qui criaient famine.
Chemin faisant, le ventre vide, nous nous prenions à rêver d'agapes. Laëtitia allait bon train, laissant dans notre sillage des commerces de bouche qui nous faisaient de l'œil. Le miracle se produisit pourtant sous la forme d'un providentiel arrêt de la circulation qui nous immobilisa devant l'enseigne d'un palais des délices.
Aussitôt, un scénario à la James Bond germa dans nos esprits (évacuation, action, retour de mission), mais laissa perplexe notre pilote. Pourrions-nous faire nos emplettes tout en poursuivant à trois notre odyssée comme nous l'avions commencée, avant que l'œil du cyclope ne nous jette son regard vert ? (Merci Gwen pour ce retour mythique, voire mythologique !)
Hélas, la réflexion était toujours en cours, lorsque le flot des voitures reprit le sien et le choix d'une dépose minute s'imposa. Les deux passagères du vaisseau se retrouvèrent illico presto éjectées sur la chaussée, tandis que s'éloignait notre Pénélope des temps modernes parmi tous ces fous du volant.
La perspective de devoir reprendre le chemin de Compostelle sur des pieds déjà meurtris par tant de pérégrinations, fut adoucit à l'idée des gourmandises qui seraient dégustées, l'esprit léger et l'humeur joyeuse, avec la satisfaction d'avoir mené à bien une mission qui ferait pour longtemps parler d'elle.
L'objet à l'origine de tant d'aventures humaines où la sororité ne fut pas un vain mot, à présent captif du havresac, était prêt à rejoindre sa Destinée.
S'il ne nous ferait plus courir, son histoire était encore à écrire, telle que nous te la délivrons aujourd'hui, avec toute notre sincère amitié.
Que d(humour et de références, anachronisme, pastiche, parodie, complètement déjanté, historique, picaresque et burlesque. J'ai vraiment aimé, ça mérite un franc coup de cœur. Bravo!
· Il y a presque 3 ans ·Christophe Hulé
Plaisir d'offrir un moment qui me fait encore sourire. Merci pour vos commentaires qui me font sourire :)
· Il y a presque 3 ans ·Muriel Guigo