Les arbres (29)

Alain Balussou

pièce 29 de Nouvelles de Mars
A présent je vais me tenir
à des mots spontanés, à l'art
brut, laisser une poignée d'arbres
coloniser mes souvenirs :


dans les vents épais en désordre
sapin ou hêtre à contreforts
qu'on saisissait à bras le corps
pour sentir leurs muscles se tordre,


les automnes tempétueux ;
d'avant eux, calmes marronniers
puis ces tilleuls, tant qu'on y est,
dont la magie ravissait ceux


qui aimaient des places publiques
nos danseuses du samedi
en vichy rose et organdi
conforme aux conformes musiques.


De plus tard, en fruits capricieux,
mirabelle ou pomme reinette,
arbres fragiles ; à peine êtes-
vous hier remontés au cieux


pleins de créatures sans âme,
inventés par un séditieux
ami des bêtes, Monsieur
le bon poète Francis Jammes,


avec un blasphème si doux
lorsque ses ânesses, ses ânes,
loin de la fraîcheur des platanes
venaient à Dieu le long des houx.


Mais demain, ère redoutable,
ces arbres auront disparu.
Dans mon cœur ne resteront plus
que ce bouquet de trois érables


protégeant le toit où je dors,
quelques cyprès posant virgule,
leurs aiguilles pleuvront dessus
les si jolies maisons des morts.

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