Les baigneuses de la forêt d'Abernethy

Philippe Larue

Début d'un nouveau roman

                                                   Prologue


Chut, admires les baigneuses du Loch Ness!

Andrew MacCallum maintenait la tête de la petite fillette Margaret Swinton, dans la direction du Loch Lochy. Elle aussi réussissait à contempler hors des pays des rêves, les trois baigneuses nues. Pas de monstre ici. Probablement un ivrogne imprégné de vieux whisky frelâtrés, qu'avait promus la légende du Loch Ness. C'était la troisième fois qu'Andrew MacCallum avait dévoré des yeux, le corps de ses jeunes baigneuses nues. Mais, en compagnie cette fois de Margaret.

Dix ans, calfeutré dans les Highlands, des Northwest Highlands aux monts Grampians! Dix ans à crapahuter par tous les smog possibles, les paysages de bruyères et de fougères! Dix ans en zone Gàidhealtachod! Dix ans auprès des farfadets et des fantômes celtiques! Dix ans auparavant, Andrew MacCallum s'employait comme analyste financier, à Edimbourg. Et à présent, il était le métayer de la famille Swinton, sur les terres calédonniennes, entre les marécages et les tourbières d'Écosse.


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Communiquer en compagnie de plus de huit cent milles habitants et dialoguer avec soi, la disparate était fulgurante. Le hameau forestier de Glenachulish domiciliait quelques maisonnettes inhabitées ici-et-là, aux alentours. Une bienheureuse était dénichée par Andrew MacCallum, à l'opposée de l'hôtel propriétaire du golf de Dragon's Tooth. Pas de réfrigérateur, de machine à café et de grille-pain. Adieu les grosses cuillères de marmelade d'oranges au whisky pur malt avec écorce fine. Adieu la télévision et la connexion wi-fi.

Abandonnée, les gros rondins de sapin séjournaient encore en bons états, sous une couette de mousse asperge odorante. Heureusement que le compte bancaire était congrûment capitonné. Des achats relatifs autoriseraient un bien-être sauvageon et calculé, ultérieurement. Allait être harmonieux dans la vallée des Réticences, élégant avec les chats sauvages et euphorique à converser avec les macareux moines. Et puis, son promontoire à empyreumes allait renâcler les jacinthes et les massifs de rodhodendrons. La distillerie printanière florale spiritualiserait les parfums et la canopée des pins Sylvestre imprégnée de bourgeons, enflammerait les lécheuses enfantines, cet hiver.

Au sud, l'amphithéãtre de Beinn a 'Bheithir aux multiples itinéraires allait être lieu à de populeux combats imaginaires avec le dragon enfoui dans le grand creux. La folichonnerie des Highlands, MacCallum y était déjà enthousiaste.


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L'âme épinglée dans l'intestine voyageuse, la Jacobite Sherwood Forester, Andrew MacCallum rebroussait chemin vers le hameau forestier de Glenachulish. L'habitacle allait être reconcilié d'un mini frigo, depuis la réhabilitation d'un Edison câblé. De l'extérieur, la possibilité d'y distinguer les passagers était monnaie courante. En effet, le passage du viaduc de Glenfinnan vous ravitaillait d'un Nirvana momentanné, mais perpétuel.

Au-dessus des vingt-et-un plis circulaires, la crotte, au sommet du loch Shiel des Highlands de l'Ouest, MacCallum y examinait la gloire des paysages. La vapeur du Big Tube en fer, éparpillait les passereaux étranglés de CO² inconfortables. Chahuter trois fois les oreilles des passagers, la Jocobite Sherwood Forester en était folâtre.

Épanouïe dès le printemps, la chacunière d'Andrew MacCallum serait apprêtée pour l'été, au moment où les grandes tiges de chardon aux ânes, accédaient au bonheur des abeilles. Probable qu'un régime à base d'algues d'Argyll & Bute serait mijoté avec un coq de bruyères, tiens.


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Les braises brûlantes enclots se miroitaient sur les tuiles d'ardoises pourpres. À l'intérieur de la marmitte en fonte, Andrew MacCallum avait drapé des morceaux de faisan sous une couchette de céleri, carottes, oignons, 25 cl de vin de Banyuls et une espagnolette de baies de myrtilles.

Ça mitonnait les yeux fermés et les arômes redoutables amplifiaient le souffle qui pénétrait par les interstices entre les billots de sapin. Une cocotte confisait un kilo de pommes-de-terre avec quelques plaquebières et un bouquet garni de bruyères. MacCallum était décrispé comme la faisan dans la marmitte, halluciné par l'éther de bruyères.

Une vieille planche flemmarde était paisible sur les tranches d'ardoises pourpres qui auraient mise à exécution, deux tréteaux. Bientôt, Andrew y serait attablé afin de se repaître d'une réjouisance bienfaitrice. Et puis, cette moelleuse chaleur intime dans l'hinterland boisé de la cahute, les papilleux de la langue celte de MacCallum allaient y être espiègles à cette soirée, finalement.


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Sitôt après l'emplette d'un VTT au village de Ballachulish, Andrew MacCallum s'était orienté vers les carrières d'ardoises d'East Laroch. Se trimbaler dans les chemins escarpés des Highlands, l'usage d'un vélo y était judicieux. Les pétarades oxygénées flagellaient le visage confit et défraîchi par le vent et les cinquante années de MacCallum.

Mais qu'importe, du confort d'Edimbourg à l'ascétique vie offerte des Highlands, c'était juste une question d'harmonie. En passant devant les stèles glacées de l'église St Jean à Ballachulish, Andrew MacCallum s'était sentit décalqué, une sensation d'y voir son archaïque vie d'autrefois, sous les imposantes dalles de pierres. Mais l'heure était au vagabondage, à circonscrire les sentiers, repérer les charmilles et mémoriser la difficulté des raidillons.

Certains passages y étaient le salaire de la peur, là où la caillasse et la pierraille concédaient à faire de MacCallum, un équilibriste averti. Présomptif de nature, Andrew envisageait déculotter les Trossachs, un magnifique parc qui abritait loch Katrine, loch Arklet, loch Ard et loch Chan. Grand parcours pour subalterne humain. Comment être gracié par la mort d'un homme? C'était ce qu'escomptait MacCallum dans les Highlands.


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Signs of Life des Pink Floyd se révérbérait dans les écouteurs. Andrew MacCallum était terrassé par les arômes de bruyères. Destitué des chemins touristiques, MacCallum s'était baptisé le corps réssuscité de la Bruyère. Flanqué d'une cupidité envers le temps, les paupières avaient baîllonné les oeillades naturelles des coups d'oeil. Relax, l'âme s'était allégée un instant, du joug de la grande faucheuse.

Quoique, les séneçons de Jacob au loin, les fétuques, les bromes et les pâturins étaient ployés à raz les primevères. Méditer sur le meurtre, peut-être que les racines des bruyères déclencheraient une réponse adéquate. Une heure écoulée au préalable, afin que l'esprit soit apaisé! Les écosystèmes floraux des Highlands sauvegardaient une magie, un mystère surnaturel à l'homme, embesogné par sa non-existence. Gazouiller avec les coqs de bruyères, respirer les effluves iodées des côtes sauvages, gronder l'orage et hennir sa joie aux poneys des Highlands, Andrew MacCallum en était dépourvu de cette audace. Et puis un bref moment, ces oscillations dans tout son être, était-ce une ouverture spirituelle? La sensation de sortir hors de son corps, un dernier soupir pour le grand voyage, elles étaient authentiques.


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