Les causes et les conséquences d'une juste colère

Dominique Capo

réflexion sur l'actualité

Franchement, je comprends la colère qui ne cesse de monter, de la part de nos forces de l'ordre. Je sais que, d'habitude, celles-ci sont tenu au devoir de réserve.


Jadis, mon père, qui travaillait au Ministère de l'Intérieur en tant qu'Inspecteur Divisionnaire spécialisé dans le démantèlement des filières islamistes, n'a jamais manifesté de sa vie. Il a été employé au sein de cette institution du milieu des années soixante-dix au milieu des années quatre-vingt-dix. Il a été confronté à nombre de crises, même s'il ne se rendait jamais sur le terrain. C'était un analyste, qui, au milieu des années quatre-vingt, a été chargé par ses supérieurs de mettre en place les premiers réseaux d'informateurs partout en France, afin de collecter le maximum de renseignements sur les filières djihadistes de l'époque. Ses notes atterrissaient régulièrement sur le bureau du Ministre de l'Intérieur pour qu'il ait un compte-rendu ponctuel sur l'évolution de celles-ci, ainsi que sur les mouvements de leurs principaux et plus dangereux participants. C'est aussi lui, qui a, en partie, à l'aube des années quatre-vingt-dix, formé les membres des polices locales. Il leur a enseigné les moyens pour remonter les filières de terroristes. Il s'est déplacé un peu partout en France dans ce but, a participé à des colloques à l'étranger parfois. Lors de la vagues d'attentats de 1995, il s'est retrouvé au premier plan afin d'aider au démantèlement et à l'arrestation des organisateurs de ces derniers.


Pour autant, à l'époque, nous n'en n'étions encore aux balbutiements de ce qui deviendrait l'une des préoccupations majeures des français aujourd'hui. I a été l'un des premiers à s'attaquer, avec ses moyens, à l'Islamisme radical en pleine ascension.


Je m'en souviens parce qu'il m'est, de temps en temps, arrivé d'arpenter les couloirs du Ministère de l'Intérieur à cette époque. Muni d'un badge « visiteur », je rejoignais son bureau, pour que nous le quittions ensemble ensuite, afin qu'il le quitte pour reprendre sa vie « normale ». Je connaissais la majorité de ses collègues de bureau, qui étaient très sympathiques, et abattaient un travail faramineux dans ce qui n'était qu'une inquiétude annexe des autorités, face aux bouleversements du monde d'alors. Néanmoins, pour les rares fois où je l'ai entendu discourir sur les fonctions qu'il avait au Ministère de l'Intérieur, il m'a expliqué qu'il craignait que ce qu'il affrontait modestement ne s'amplifie au fil des années et des décennies suivantes.


Il ne s'est pas trompé. Aujourd'hui, il est décédé, et ses pires appréhensions se sont trouvées justifiées au centuple.


Je me souviens encore de son petit bureau, à l'un des étages du Ministère de l'Intérieur. On y entrait par une rue annexe à l'entrée principale ; celle que l'on voit habituellement à la télévision, place Beauvau. Ses grilles dorées, luisantes, montrant toute la magnificence et l'autorité de l'État. Par contre, mon père, et les trois ou quatre collègues de sa section, étaient retranchés dans un minuscule bureau destiné normalement au maximum à deux personnes. Les armoires, les tables, etc. dataient de « Mathusalem ». Le matériel informatique avait une décennie de retard. Moi qui était féru d'ordinateurs, déjà à cette date, possédait dans ma chambre un computer avec davantage de puissance que l'ensemble des ordinateurs de sa section. Ils utilisaient encore quotidiennement des fiches manuelles afin de rédiger leurs notes, de classer leurs informations. J'avoue que, tandis que j'écris ces lignes et que je revois en mémoire l'agencement de la pièce, tout ceci remonte facilement à la surface. Je pourrais encore m'y rendre les yeux fermés si je me tenais devant le bâtiment.


Si je détaille cet épisode, c'est que j'ai l'amer sentiment que les choses sont, pour nos policiers, pires qu'à cette époque. A l'époque de mon père, il y a une vingtaine d'années, l'autorité publique n'avait aucune difficulté à se rendre dans les « quartiers sensibles ». Elle ne se faisait, ni insulter, ni molester, ni assassiner. Les pompiers, les médecins, etc. n'avaient aucun problème pour aller dans ces zones dites actuellement « de non-droit ». Lorsque des voyous étaient arrêtés, déférés devant la justice, elle n'était pas la cible de la vindicte de la famille ou des habitants du « quartier ». Les peines étaient exécutées ; les malfaiteurs, truands, violeurs, etc. n'étaient pas remis en liberté dès le lendemain, ou au cours des heures suivant leur incarcération. Bien-sur, il y avait toutes sortes de trafics dans les banlieues délaissées par nos gouvernants ; ils ne s'en préoccupent, en fait, qu'en période électorale. Comme je l'ai évoqué plus haut, déjà, à ce moment, les premiers réseaux islamistes commençaient à les gangrener. Néanmoins, c'était à peu près gérable. Et les autorités tutélaires de nos policiers soutenaient ceux-ci en toutes circonstances. A chaque interpellation, ils n'étaient pas soupçonnés d'avoir abusé de leur pouvoir, ils n'étaient pas accusés par les avocats des malfrats de bavure. Même si ces canailles étaient – rarement – malmenées, cela ne faisait pas aussitôt la une des journaux, et l'enquête pouvait suivre son cours normalement. Se retrouver derrière les barreaux n'était donc pas anodin, et la peur du gendarme était toujours – et à juste titre – vivace.


J'avoue que, lorsque j'étais enfant ou adolescent, et même encore aujourd'hui que j'ai la quarantaine, jamais je n'aurai eu l'idée d'insulter professeur, policier, ambulancier, médecin, etc. Si j'avais osé cela, non seulement mes parents m'auraient réprimandé avec force ; quitte à me donner une claque bien sentie que j'aurai amplement méritée. Et je n'aurais jamais remis en cause leur autorité ; je ne m'en serai jamais pris à eux, que ce soit verbalement ou physiquement. De plus, si j'avais fait une bêtise, mes parents m'auraient laissé au poste de police une nuit, histoire que je comprenne que je n'étais pas au-dessus des lois. Même si mon père appartenait à cette institution, il n'aurait pas levé le petit doigt en ma faveur, alors qu'il en aurait eu la possibilité. Je me rappelle qu'il m'a mis en garde une fois à ce propos alors que j'étais enfant – je n'avais rien fait, mais c'était juste pour m'en informer -, et ses paroles sont toujours resté gravées en moi. Je ne l'en aurai pas blâmé.


Aujourd'hui, les choses ont changé. Je ne dis pas que tout était forcément mieux avant. Je ne suis pas un de ces nostalgiques d'une époque révolue ; l'un de ces tenants du « c'était mieux avant ». Il y a des choses qui sont meilleures aujourd'hui, et dans maints domaines. Il y en a aussi qui sont pires. Et en ce qui concerne ce sujet, je crois que nous avons énormément régressé.


Il n'y a rien de plus dangereux, à mon avis, au sein d'une démocratie comme la France, lorsque ceux et celles qui sont les garants de sa sécurité, ne font plus confiance à leur autorité de tutelle pour les appuyer. Et c'est exactement le cas, notamment depuis les émeutes de 2005 qui ont embrasé la France plusieurs semaines. Il était évident qu'un jour, à force de laisser faire, à force de laisser ces lieux à l'écart des bouleversements sociétaux profonds que travers la France, l'Europe, et le Monde, ils finissent par exploser. Ils deviennent des refuges pour les quelques dizaines de trafiquants de drogue, d'islamistes, et autres malfrats, qui en ont fait leurs territoires. Ils se les ont octroyés, en y faisant régner leur loi ; et gare à ceux et à celles qui oseraient venir remettre en cause leur tutelle. C'est pour cette raisin qu'à chaque fois qu'une autorité extérieure, notamment représentant l'État, décide d'y entrer, la réaction est violente et immédiate.


Mais, il ne faut pas se tromper de cible. Un, l'immense majorité des habitants de ces endroits sont des gens qui ne posent aucun problème. Ils travaillent, gagnent modestement leur vie, subsistent comme ils peuvent lorsqu'ils n'ont pas d'emploi. Mais ce sont des personnes qui respectent la France, ses valeurs, ses représentants. Dans chaque « cité », ce ne sont que quelques dizaines de voyous, ce ne sont que quelques islamistes radicaux prêts à se transformer en poseurs de bombes, qui sont à l'origine des tensions. Deux, l'immigration n'a rien à voir avec ce phénomène. Car comme les habitants de ces « cités », 99,99 % des immigrés, qu'ils viennent de Syrie, d'Irak, ou d'ailleurs, désirent vivre en paix et en harmonie avec les valeurs de notre pays. Trois, ce ne sont pas les musulmans non plus. Ce n'est parce qu'une personne, qu'elle soit née en France ou dans un autre pays, qu'il s'agit-là d'une graine de terroriste. Là encore, ce n'est qu'une infime fraction de ceux dont l'Islam est la Religion, qui se transforment en Islamistes.


S'engager sur cette voie, c'est comme dire que tous les Chrétiens sont des intégristes prônant un retour aux Enseignements originels de cette Religion, étaient des fanatiques. Certes, il y en a quelques-uns parmi eux, qui sont prêts à partir en Croisade contre le monde entier pour convertir hérétiques ou athées. Ne dites pas non, j'en ai croisé quelques-uns de ce genre au gré de mes pérégrinations sur Facebook et ailleurs. Et ils sont aussi vindicatifs et dangereux que les djihadistes de Daesh. Car eux non plus n'hésiteraient pas à poser des bombes dans des mosquées ou à la Mecque, s'ils le pouvaient. Néanmoins, tous les Chrétiens ne leur ressemblent pas. Et de fait, tous les Musulmans ne sont pas des djihadistes en puissance, loin de là.


L'amalgame est tellement facile, et nos politiques n'hésitent pas, à des fins uniquement électoralistes – surtout en cette période de campagne pour les prochaines échéances présidentielles – d'attiser les braises afin de rallier le maximum de gens à leur cause. J'ai d'ailleurs remarqué, depuis deux élections, que l'immigration et l'insécurité sont des sujets qui reviennent systématiquement sur le devant de la scène. Sarkozy et Le Pen, notamment, n'hésitent pas relancer le débat à ce propos au moindre fait divers. C'est un moyen pour eux, il ne faut pas être dupe, de faire diversion quant aux véritables problèmes que traverse la France : c'est-à-dire, le chômage, la pauvreté, le désengagement de l'État dans nombre de domaines, la dette abyssale que ces mêmes politiques alors au pouvoir – et critiquant forcément celui en place – ont contribué à creuser, j'en passe. Il est vrai qu'il est plus simple à celui qui vient de l'extérieur, même s'il n'a rien fait, par méfiance naturelle et dénuée de raison, plutôt que de s'interroger sur ce que nous, en tant que français qui – qui plus est – avons chacun quelque part en nous du sang d'immigré, avons loupé pour en arriver là.


En tout état de cause, pour revenir à mon propos principal – malheureusement, j'étais obligé de développer ces aspects, parce qu'ils y sont intimement liés – si la police n'a plus les moyens d'être efficace, au point de descendre dans la rue pour manifester sa colère, c'est parce qu'elle ne se sent plus soutenue. Nos gouvernants, de Droite comme de Gauche, sont tellement terrorisés à l'idée que des émeutes telles que celles qui ont eu lieu en 2005 se reproduisent – en pire éventuellement -, qu'ils préfèrent laisser voyous et islamistes exercer leur autorité dans nos banlieues.


Tant pis, si des attentats ont lieu de temps en temps. Tant pis si les trafics de drogue y pullulent. Tant pis si les pompiers, si les policiers, si les médecins, s'y font caillasser. Tant pis si des gangs s'invitent dans des manifestations pacifiques pour y semer le chaos en s'en prenant au commerce. Le tout, à leurs yeux, est de ne pas mettre le feu aux poudres. De temps en temps, lorsque la tension monte, et que l'exaspération des populations devient flagrante, on effectue quelques descentes pour éradiquer un réseau d'extrémistes ou de délinquants. A grand renfort d'annonces via les médias, on montre que le gouvernement est « efficace », que l'autorité de l'État est partout présente. Cela ne convainc quiconque, ou presque. Or, l'important n'est pas là, pour eux. Le plus important est de tenir, est de « montrer » que chacun est à son poste. Le plus important, aussi, est de remporter les prochaines élections, et donc de terroriser, puis de rassurer la population par des propositions qui ne seront jamais appliquées. Pire, qui ne sont pas applicables.


Les premiers en ligne de mire sont les policiers. Que ce soit au niveau de la délinquance, en ce qui concerne les attentats – et encore plus depuis la mise en place du plan Vigipirate, et de son élévation au niveau maximum ; ce qui n'empêche d'ailleurs pas qu'il y en ait parfois -, ils sont sur tous les fronts. Ils ne sont pas assez nombreux pour exercer les multiples fonctions qui leur sont imposées, et qui sont de plus en plus difficiles à exercer. Ils ne parviennent même plus à se reposer, à récupérer. Alors qu'il n'y a rien de pire qu'un homme – quel que soit son emploi – qui est continuellement fatigué, sur les nerfs, stressé. C'est de cette manière que les bavures deviennent inévitables. Ils ont la pression de la rentabilité, du résultat à tout prix, pesant sur leurs épaules. Lorsqu'ils sont en action, dès qu'un fait se déroule, qu'une interpellation a lieu, ils passent davantage de temps à remplir de la paperasserie, à la gestion administrative du dossier, plutôt que d'être sur le terrain. Quand ils bouclent une enquête, qu'ils transmettent leur accusé à un magistrat, celui-ci les remet souvent en liberté au bout de quelques heures ou de quelques jours. Lesquels, aussitôt, recommencent leurs activités criminelle en toute impunité. Au point que, parfois, ils viennent narguer les policiers, les invectivent, les bousculent. Pourquoi ne le feraient-ils pas, après tout ? Puisque, de toute façon, même s'ils sont incarcérés, ils seront vite remis en liberté ; leur avocat trouvera bien un vice de procédure ! Ou le juge estimera leur infraction mineure, ne méritant pas la prison, si ce n'est, peut-être, avec du sursis ! Autant dire, rien !!!


Alors, si c'était loin d'être parfait lorsque mon père travaillait au Ministère de l'Intérieur, au moins, l'autorité de sa fonction était reconnue et respectée. Aujourd'hui, du fait de restrictions budgétaires de plus en plus drastiques dans tous les domaines, on en demande de plus en plus aux détenteurs de l'autorité publique ; avec de moins en moins de moyens. On pose des caméras partout, espérant que celles-ci freinent la délinquance. Alors que l'on sait très bien qu'elles ne font que la déplacer vers des lieux où il n'y a pas de caméras. De fait, les centre-villes sont plus ou moins à l'abri, et les politiques de se féliciter des bons résultats en matière de baisse du banditisme. Statistiques à l'appui. Sans prendre en compte que c'est ailleurs, désormais, que ce qui, hier, se déroulait en centre-ville se passe. A grand renfort de publicité, on se congratule d'avoir démantelé des réseaux, tout en sachant que, dès le lendemain, d'autres voyous pendront la place de ceux qui se sont fait attraper. Ces derniers, éventuellement, pourront poursuivre leurs activités criminelles de leurs cellules ; s'ils ne sont pas remis dehors très vite. Mais on supplie les policiers de ne pas aller dans les cités afin de ne pas les provoquer. Alors qu'ils savent qui sont les malfrats, ce qu'ils font, avec qui, quand, etc. la plupart du temps.


Cet état de déliquescence généralisée est la cause première des manifestations auxquelles nous assistons depuis plusieurs jours. Et celles-ci semblent prendre de l'ampleur. Avec juste raison. Rien n'est jamais parfait en ce bas monde. Ce n'était pas mieux avant. C'était différent ; le contexte, la société, la mentalité, les structures, etc. Pour autant, à ce que j'en discerne, si ce socle rattaché à l'autorité de l'État que ces hommes incarnent, se fissure, c'est que l'ensemble de l'édifice institutionnel vacille. Car ils sont l'un des principaux remparts permettant à une nation de fonctionner. S'ils ne sont plus aptes à protéger celle-ci, au point de faire fi de leur devoir de réserve, c'est que ce qu'ils observent de la situation est d'une extrême gravité. Et qu'ils ne sont plus capables d'y faire face. Or, c'est la porte ouverte à tous les débordements, et la possibilité aux extrêmes de tous bords de s'engouffrer dedans.


Dois-je rappeler que c'est parce que la monarchie a été incapable de faire face à ce qui n'était, au départ, qu'une émeute un peu plus forte qu'à l'accoutumée, que la Révolution Française a été engendrée ? Dois-je évoquer l'effondrement de la IIIe République et de ses institutions, non seulement à cause de la guerre, évidemment, mais aussi parce qu'au cours des années précédentes, elle a été confronté à des scandales à répétition, à l'impossibilité des politiques de gouverner efficacement, ainsi qu'aux effets dévastateurs de la crise de 1929 que le Front Populaire n'a pu que faiblement freiner. Dois-je souligner, plus récemment, l'agonie de la IVe République, qui, au final, ne pouvait plus former aucun gouvernement cohérent puisqu'à chaque vote de loi, les motions à leur encontre faisaient voler le régime en éclat. Les exemples sont nombreux.


Alors oui, je comprends nos policiers qui sont fatigués d'être les boucs émissaires d'une société qui les idolâtre au lendemain des attentats du 13 Novembre, et qui les exècre quand ils ont l'audace de tenter de faire correctement leur travail. Qui sont usés d'être en permanence sur la brèche alors qu'ils ne sont pas assez nombreux, qu'ils manquent de tout, et qui sont lâchés par leur hiérarchie à la moindre altercation qui tourne mal. Qui se font caillassé, assassinés depuis peu. Et qui dévoilent, au final, un de multiples symptôme du mal qui dévore notre civilisation. Comme j'essaye dans chacun de mes longs articles, de l'expliquer à l'aide de ma raison, de mes réflexions personnelles, de mes observations, ou de mes expériences. Et qui finira inévitablement par l'engloutir tôt ou tard...


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