Les génies s'ennuient le Lundi

Loxias

Deux génies se lancent un défi


Un jour, deux génies se lancent un défi :


« Descendons parmi les hommes. Celui de nous deux qui réussira à tomber sur la personne qui prononcera le voeu le plus sage et le mieux formulé gagnera. »


Or, cela n'est pas aisé pour un génie, car le seul moyen de gagner la terre est de se jeter de son étoile, enfermé dans une bouteille, une lampe ou un flacon, et de se laisser tomber, tout naturellement.


Le premier génie se dit qu'il fallait mieux tomber dans la mer, et oriente son saut dans ce sens. En effet, il a toujours entendu dire que les marins étaient des humains avisés. Et, s'il n'était pas repêché, il dériverait forcément jusqu'à une côte, endroit peuplé par excellence, qui plus est par des gens souvent plus heureux qu'ailleurs.


Le deuxième génie, quant à lui, se dit :


« Je vais essayer de tomber sur la terre ferme car si un poisson venait à m'avaler, je ne rencontrerai peut-être plus jamais personne. »


Mais il se trouve que le premier génie, au lieu de se jeter dans ce qu'il prenait de haut pour un vaste océan, traverse les brumes que forme au-dessus d'elle la taïga au petit matin et se vautre lamentablement dans cet immense labyrinthe végétal.


De son coté, le deuxième génie savoure l'instant, car il s'apprête à tomber juste à l'entrée d'un monastère isolé. Enfin, juste à côté, dans la rivière. La première carpe venue l'avale et continue son chemin.


Une fois remis de sa chute, le premier génie se met à se déplacer comme il peut, c'est-à-dire par petits à-coups successifs, qu'il provoque en se projetant sur les parois intérieures de sa bouteille. Il finirait bien par rencontrer quelqu'un. Et quel humain ! Igor Staretz, qui a quitté son village natal pour de bon il y a trois jours, et qui est tout content d'avoir trouvé une bouteille sautillante, libère le génie :


« - Qui es-tu et que fais-tu là ? » gronde le génie comme à l'accoutumée.

« - Je suis Igor Staretz. Je vais à la ville pour y être mieux. »


Le génie comprend alors qu'il est tombé sur le fou du village le plus proche. Tout d'abord il ne semble nullement impressionné par un si puissant génie, mais surtout il se dirige vers la Taïga la plus profonde, s'éloignant de plus en plus des villes.


Notre deuxième génie, à ce moment précis, crois pour de bon être tiré d'affaire. Un jeune garçon vient de pêcher la carpe (grâce à un lancer magnifique) et la ramène dans son panier. Mais après environ une heure de marche, le jeune pêcheur se retrouve nez à nez avec un ours énorme. Il n'est pas agressif, mais il réclame la carpe. Le jeune garçon lui offre bien volontiers et se prosterne en son coeur devant tant de majesté. Zut ! Voilà que son repas fini, l'ours emmène la bouteille avec lui. Décidément...


De son coté, perdu dans la taïga avec Igor Staretz le fou du village, le premier génie est obligé de lui annoncer ce qui se passe :


« Ecoute Igor, c'est très sérieux. Je suis un génie, un vrai génie, et je peux exaucer un de tes voeux. Tu comprends Igor ? Il ne faut pas choisir à légère. Donne-toi trois jours pour réfléchir. Je t'en prie Igor, considère bien ces paroles car j'en ai déjà trop dit et ne pourrai plus rien te... » Et oui, le génie en a trop dit.

Arrêté en pleine phrase et condamné à être muet jusqu'à la prononciation du voeu de son nouveau maître, et cela pour avoir transgressé un des accords primordiaux inter-génies qui est d'influencer intentionnellement la nature du voeu à prononcer.

Les génies ne sont jamais très sévères entre eux.


Le jeune Igor continue d'avancer dans la mauvaise direction, vers une mort certaine, en ce demandant quel voeu lui serait le plus utile. Il se pose très vite pleins de questions compliquées et son crâne se met à fumer. Ce qui attire encore un peu plus les loups.

Perdu dans ses réflexions, il ne les voit arriver qu'au dernier moment. Ce qui lui laisse environ 4 ou 5 secondes, il le sait. Il prononce donc tout haut là où il en était rendu de ses spéculations 10 secondes plus tôt et dit : « Je souhaite mourir de vieillesse ».


En effet, privé de la peur de sa propre mort, sans angoisse ni questions, on pourrait, pensait-il, devenir maître de soi et mener son destin à sa guise. Le voeu prononcé, Igor irradie un instant comme il est de coutume quand on est exaucé, et cette lueur fait fuir les loups qui déguerpissent. Igor se redresse. Il n'est plus le même homme. Le génie, quant à lui, disparaît.

Igor reprend la route, seul et toujours dans la mauvaise direction. Après une série d'aventures toutes plus palpitantes les unes que les autres, il parvint un jour à l'entrée de la grotte au fond de laquelle attend désespérément l'autre génie. Aucun ours n'y habite plus depuis longtemps et un sombre événement, ayant eu lieu en son sein, a rendu l'entrée taboue et interdite d'accès depuis déjà quelque temps. C'est d'ailleurs cette sombre légende qui attire au même instant qu'Igor, une petite fille en désespérance. La jeune enfant n'en peut plus de douleurs et vient trouver dans la grotte, qu'elle croit être la source de tous ses malheurs, la solution à son drame. Sa soeur, sa si chère soeur souffre d'un mal inconnu et dévorant et il n'y a rien, mais alors vraiment rien de juste là-dedans. Persuadée que c'est à cause de la fois où elle chut par mégarde au seuil de ces entrailles défendues, elle s'est résolu à s'y rendre elle même pour tuer le vilain esprit qui y logeait. Igor aperçoit la petite fille au moment même où le génie sort du flacon dans lequel il vient de buter :


« Que désires-tu jeune homme, parle et j'obéirai.

-Génie. Exauce plutôt le voeu de cette enfant, quel qu'il soit ».

Et l'enfant de parler avec son coeur :

« Que ma soeur guérisse. »


Les deux génies alors réunis se toisent du regard avant de tenter de se départager (car la situation est compliquée). Puis ils éclatent de rire et décident d'en rester là. Les génies sont comme ça !


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