LES IRREDENTS

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Les prisons sont un endroit étrange regroupant des êtres exclus d'une société dont-ils sont sortis et à laquelle ils prétendront ré-appartenir légitimement tôt ou tard.

--- Le merveilleux mandarin , gardien de l'hôtel des désabusés, immergé dans cette parenthèse dédiée à l'immobilisme ou le voilà devenu marionnettiste, risque sa vie tout entière ou du moins ce qu'il croyait jusque-là, qu'elle était. ---

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Caché dans le réduit des marionnettistes, côté libre derrière les grilles, droit debout au centre d'un monde parallèle immobile, « le merveilleux madarin » dirige doucement son trousseau vers le ciel puis le rabaisse brusquement.

 

C'est le signe du départ, l'entrée en mesure, la première note de la variation sur l'hôtel des désabusés.

 

Une vague oscillante s'enchaîne alors dans la tour de garde, elle se déplace à travers l'air à toute vitesse et ricoche en tout point sur tous les murs.

 

« Le merveilleux mandarin » écoute ses propres pas qui semblent chercher à cadencer le silence paisible qui s'est installé durant la longue nuit. Il trouble l'ordre improbable, il jette un nouveau froid, un nouveau jour.

 

Chef d'orchestre impersonnel, il s'apprête seul sur le seuil, sans un mot pour lui venir aux lèvres, arrivé souvent trop tard pour entendre un appel à l'aide.

 

Froid par devoir de servir, toujours du côté opposé aux charnières qui vont dans quelques instants par magie, se remettre à pivoter. Chaque matin, il s'avance ainsi sur la scène.

 

Il regarde le reflet de son œil dans la surface polie du miroir aux profondeurs obscures puis, doucement il tourne la clef de sol pour ouvrir les quatre-vingt huit portes blanches, simple vantail.

 

Ignorer les autres ouvertures meurtrières, trop hautes et dont la matière extinguible des feux du jour, applique son ombre noire et barreaudée sur les touches frénétiques qui recommencent à piétiner sur la coursive et s'y agitent comme le poisson retiré de l'eau à moitié mort, à moitié vivant.

 

Un visage souriant, un visage pensif, un visage méchant, un bonjour, rien. Des touches noires, noires, noires et pourtant.

 

Le « merveilleux mandarin » se dit parfois qu'il pourrait apprécier ce souteneur qui joue aux cartes, qu'il pourrait écouter avec intérêt ce souteneur qui parle comme un livre, qu'il pourrait vouloir tuer ce souteneur qui aime assassiner et s'esclaffe quand on lui parle d'indemniser ses victimes à l'aide de tout l'argent qu'il a sur son compte.

 

Etrange désinvolture de l'esprit, surprenante distanciation dans cette réalité de l'être présent et de son crime passé. Le « merveilleux mandarin » entraîné malgré lui dans cette danse folle d'un quotidien désenchanté, égare ses certitudes. De l'autre côté des grilles, il pourrait presque pardonné sur le chemin de ronde, veilleur de nuit perdu dans ses pensées tout en haut du mirador, comme si cela ne lui était pas arrivé à lui ou pas encore, comme si la prostituée pouvait peut-être renoncer à l'inviter à monter, peut-être par pitié pour l'humanité ?

Comment trancher ?

 

Il danse dans sa tête sans bouger face aux ombres la nuit, face à lui-même, face aux autres le jour.

 

D'un côté il range les circonstances, de l'autre l'impensable.

Comme ces soirs où faire l'amour dégoutte de hauts le cœur, passés sous silence pour ne pas vouloir blesser quelqu'un qu'on aime quand même.

 

Comme cette fille qui s'avilit sous la menace d'un couteau parce qu'elle pense qu'en acceptant de faire ce qu'exige son violeur, elle s'en sortira et qui au moment ou il commence à la poignarder, lui demande étonnée «  mais tu me tues ? ».

 

Tout se couvre d'odeurs nauséabondes, tout s'infiltre dans le béton des sols, les parois gonflent et dégorgent, tout glisse le long des rampes et des vêtements. Une puanteur étrange s'empare de l'air, le poisson qui meurt sur la coursive ou le sang pourri après les coups ou les meurtres, les serviettes humides pendues aux fenêtres dans l'étroitesse des réduits à vivre.

 

Qui sont les voleurs, les violeurs, la prostituée, la victime incarcérée ?

Qui es-tu toi-même «  merveilleux mandarin » ? Es-tu fou ? Peut-être plus coupable ? As-tu du cœur, de l'innocence, de la pitié ? Les irrédents t'épargneront-ils au moment de l'assaut ou bien viendra –t-il une pluie d'Iris tombant sur ton cercueil ? Que vas-tu finir par comprendre ? Que dois tu apprendre de ta vie à côtoyer sur cette scène, le bel appât des trottoirs où tu n'as jamais mis tes pas, l'instrument du destin de l'un ou de l'autre qui en fera une touche noire ou bien une touche blanche sur ton clavier, cette garce attachante qui a fait sauter les têtes de politiques pour un morceau de territoire qu'elle ne foulera plus jamais. Son visage est encore jeune, elle a un beau sourire, elle collectionne les livres, elle dessine, elle joue d'un autre instrument. Son présent est derrière elle, son futur sans coup d'éclat, et les tiens, dis-moi à présent ce qu'ils sont et demain « merveilleux mandarin » ?


Le Gallicaire Fantaisiste

 







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