Les petits métiers

divina-bonitas

Poème

Enfant je voulais être marchande de chaussures,

Cuir, brides, nœuds, chaussants vernis ou lustrées,

Fragrances uniques de tanin, de cirages colorés,

Les boites me faisaient rêver,

Quelle paire mystérieuse pouvaient bien s'y lover

Entre deux papiers de soie froissée?

Je restais des heures fascinée,

Accrochée à la vitrine éclairée,

Espérant les toucher, les respirer, les essayer,

Les rouges? Les bleues? Pas les marrons c'est sûr!


Je rêvais d'être cette demoiselle droite,

Portant avec maestria des piles étroites,

Proposant des souliers dans des écrins chics,

Vantant les mérites d'un modèle unique,

D'un veau chamoisé, d'un agneau velouté,

D'un vernis à beurrer, d'une cambrure bien arquée,

"Celles-ci vont parfaitement à votre pied,

Vous ne vous sentirez pas les porter,

Des pantoufles,  vous verrez!

Et votre cheville fine est ainsi bien marquée."


Très vite j'hésitais avec marchande de fleurs,

Celle qui sait le rapport entre bouquets et cœurs.

Je me voyais virevolter au milieu des seaux pleins,

Piquer une rose, une pivoine à l'étain,

Mettre mon nez partout, composer à l'instinct,

Arranger le tout d'un subtil coup de main,

Voir les yeux de l'acheteur émerveillé,

Lui offrir avec une lenteur calculée,

Il lui faut le temps de l'admirer,

Il me faut celui de partager,

Ah! Fleuriste! Un métier de sorciers!

Pauvre fleuriste qui me fit mon bouquet de mariée,

Quelle horreur ce machin rond banal à pleurer!

Je l'avais bien prévenue pourtant,

De mes envies de bouquet aimant.

Je lui rendis son machin rose et blanc,

J'en voulais un rouge et or extravagant.


Je réussi toutefois à apprendre le bois,

A l'apprivoiser plutôt, à le sentir en moi,

A le caresser les yeux fermés cent fois,

Pour penser, "qu'est-ce qui ne va pas?"


Les vieux bois parlent aux âmes des ébénos,

"Un peu plus de cire, mais non là c'est trop!

Attention! J'ai une faille au coeur!

Sens le clou, enlève le sans peur,

Doucement, un peu de patience encore,

Regarde bien et prends soin des décors,

Dans l'angle droit il manque une paille d'or!


Réfléchis, observe et comprends,

Avec moi il faut prendre son temps,

N'oublie jamais que je suis vivant,

Que je le resterai malgré les ans."


Je garde en mémoire les parfums de l'atelier,

Les essences de pin, de noyer et merisier,

De colle de poisson et brosses de sanglier,

De térébenthine et de cire chauffée.


Ébéniste est un métier de nez,

De mains fortes, douces et posées,

Demande un regard aiguisé,

Un esprit clair et éveillé,

Mais surtout de l'humilité.


Rien n'est jamais acquis ni contrôlé,

A tout le moins il faut maitriser,

Apprendre, comprendre et chercher,

Le meilleur moyen d'aimer,

Quelques planches élimées,

Une corniche penchant sur le côté,

Un tiroir refusant de se fermer,

Un placage souffrant d'être décollé.

Chaque bobo demande un soin,

Une approche sensible, c'est humain!

















  • J'envie les métiers manuels. Je ne le suis pas, manuel !
    Ah ! Que j'eusse aimé savoir dessiner... Bon, je fais avec les mots...

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

    • Chacun ses aptitudes! J'ai toujours adoré les travaux manuels, tout ce qui touche aux sens, aux essences, aux couleurs, parfums...ce qui faisait hurler ma mère qui voulait faire de moi une sportive!

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

  • tres tres joli ! étonnant et rare, il fallait le faire ! bravo

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

    • Merci Gabriel pour ce bien agréable commentaire. Je pense que si l'on parlait plus souvent de façon positive et délicate de certains métiers, on saurait mieux motiver les jeunes.

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

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