L'escalier des veuves

Christian Lemoine

Une marche, toute chargée d'aliments. La subsistance fragmentée en emballages individuels. Une marche, une de celles qui montent là-haut, vers la porte désincarnée. Lourd, le pied qui porte le corps voûté. Hisser ce corps, le hisser lui aussi jusqu'à la dernière marche. Dans le ralenti encombré, la vie s'étire pour repousser encore le moment des clefs et des clenches. Une marche, le bras douloureux, les anses qui brisent les doigts. Malgré quelques couleurs encore, à s'exposer, brefs et ternes éclats dans l'ascension, le noir trône en majesté, seule couronne de la reine déchue, unique apparat de sa dégradation. Ne la reçoivent pas pour la cérémonie du choir, ces cours de caserne vouées aux sabres brisés. La marche suivante, égale à chaque jour, mais chaque jour si pénible. Un palier, le premier. Ici, il y eut des rires, des bousculades. Pour chaque porte franchie, des brouillons de romans. A cet étage, un livre refermé. A celui-ci, un autre ouvrage. Et quant à eux, qui ne sont plus, rois ou monarques, ou quidam anonyme ; eux : ne plus les recenser au nombre des hôtes, ils ont rompu la règle immuable des nycthémères, qui les bridait depuis l'origine, pour épouser l'obscurité profonde ou l'extrême lumière. Elle, de marche en marche, jusqu'à sa porte qui n'est plus leur porte. La froideur d'un caveau vertical. Ce sont elles, souvent, qui closent les volets.
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