L'hippopotame dans la baignoire
babooszchka
Synopsis
Comment réagiriez-vous si en vous réveillant un matin, vous vous aperceviez que vous avez changé de sexe ? Une question à laquelle Perle Wozniak, 27 ans, n’était pas du tout préparée… Journaliste pour un site Internet d’informations généralistes, Perle se définit elle-même comme l’archétype de la féminité moderne et parisienne, adepte du crédo « Sexy, witty, bitchy ». Et pas question… de se remettre en question ! Son nouvel objectif ? Conquérir son très intello-craquant rédacteur en chef, Benoît Bocquet, qui ne semble pas particulièrement réceptif aux subtiles manœuvres de la jeune femme pour attirer son attention.
Une philosophie de l’existence qui n’est pas du goût d’Eivind Larsen, dit « L’ours », l’insupportable collègue d’Perle, tout frais débarqué de Norvège. Celui-ci considère notre héroïne comme une infâme greluche futile, tout juste bonne à courir les ventes privées Prada. D’un tempérament pour le moins volcanique, Eivind rejette en bloc la société de consommation, et ne rêve que d’une chose : planter son job actuel pour un boulot de journaliste dans un « vrai quotidien d’information digne de ce nom ». Bref, inutile de préciser qu’il règne généralement une atmosphère électrique au sein de la rédaction.
Le duo infernal se retrouve cependant réuni – à son corps défendant, bien évidemment – lorsque Benoît leur ordonne de travailler de concert sur un sujet « sorcellerie à Paris ». Cette mission les mène tout droit dans la demeure de Monsieur Bwerani, un célèbre marabout basé dans le 18ème arrondissement parisien. Lors de l’interview, Eivind fait montre d’un grand scepticisme vis-à-vis de la sorcellerie en général et de la magie africaine en particulier, ce qui occasionne une nouvelle dispute avec Perle, honteuse du comportement de son partenaire. Loin de se montrer surpris ou vexé, Monsieur Bwerani contemple le spectacle avec beaucoup d’amusement.
Il promet alors à Eivind de lui prouver qu’il est un marabout compétent . « J’ai le pouvoir de vous faire comprendre mutuellement vos différences ! Revenez me voir dans un mois, et je vous garantis que vous serez comme les deux doigts de la main », annonce-t-il aux deux protagonistes. Peu convaincus, Perle et Eivind acceptent néanmoins de lui laisser chacun une mèche de leurs cheveux avant de repartir vaquer à leurs occupations respectives.
Trois jours passent, et rien nouveau sous le soleil de Paname. Le matin du troisième jour, Perle se réveille dans un drôle d’état. Etrange : elle se cogne au plafond de sa mezzanine, qu’elle ne peut toucher d’habitude qu’en tendant le bras. Le miroir mural de la salle de bain fournit alors une explication à ce curieux phénomène : pendant la nuit, elle s’est métamorphosée en un éphèbe d’un mètre quatre-vingt. Passé un moment de panique (pimenté notamment par la découverte de l’étrange chose que renferme désormais son caleçon), Perle parvient à faire le lien entre le phénomène et sa visite à Monsieur Bwerani, tandis que sa sonnette d’entrée retentit. Sur le pallier, elle découvre une petite blonde menue vêtue d’un tee-shirt trois fois trop grand pour elle : Eivind ! Elle n’est donc pas la seule à avoir bénéficié du sort lancé par le marabout…
Ni une, ni deux, l’étrange couple se rue dans le 18ème pour essayer d’arranger les choses grâce aux pouvoirs de monsieur Bwerani. Pas de bol : ce dernier est parti au Sénégal pour rendre visite à sa famille… et ne revient pas avant un mois ! Perle et Eivind n’ont donc d’autre choix que de l’attendre et d’adopter pendant ce laps de temps de nouvelles identités. Désormais, ils seront Pierre et Evelyne.
Bien vite, tous deux prennent leur parti de cette transformation et tentent de la retourner à leur avantage. Eivind, notamment, se plaît à jouer de sa féminité pour obtenir ce qu’il veut de la part des autres mecs, et tente d’arracher des confidences à sa petite amie dont il est fou amoureux, en se faisant passer pour une lointaine cousine norvégienne en visite à Paris. Un petit jeu auquel il finira par se brûler les doigts. De son côté, Perle – qui s’est arrangée pour travailler de chez elle – subit les assauts amoureux de sa colocataire qui ignore son identité ! Régulièrement, nos deux compagnons se retrouvent pour se donner mutuellement des conseils sur leurs problèmes respectifs, et commencent petit à petit à se rapprocher… jusqu’à ce qu’Eivind retrouve sa petite amie en train d’embrasser Perle (innocente, puisqu’elle n’avait pas vu l’assaut venir). Après une dispute carabinée, nos héros ne rêvent plus que d’une chose : retrouver leurs sexes respectifs et ne plus jamais avoir à s’adresser la parole…
Cependant, tous deux sont de nouveau obligés d’allier leurs forces pour retrouver monsieur Bwerani, qui après un mois d’absence n’est toujours pas réapparu… Et si Perle et Eivind étaient condamnés à ne jamais retrouver leur apparence d’origine ?
Chapitre 1 : « Mieux vaut araignée dans ton peignoir, qu'hippopotame dans ta baignoire ! »
- Arrête de tortiller du croupion, on dirait une tante ! T’es un mec à présent : conduis-toi comme un mec !
Eivind lève les yeux au ciel, l’air définitivement découragé par mon attitude peu virile, avant de s’abîmer de nouveau dans la contemplation de ma trousse à maquillage. Homophobe avec ça… Si je m’écoutais, ça ferait longtemps que je lui aurais fait avaler tout rond le mascara et les ombres à paupière qu’elle tripote depuis tout à l’heure avec une expression circonspecte. Mais bon, ce sont des Chanel qui m’ont coûté les yeux de la tête, alors à choisir, si les circonstances ne me laissent pas le choix, j’opterai plutôt pour l’assommage à coup de pommeau de douche.
J’ajoute que question féminité débordante, Eivind aurait encore quelques progrès à faire : engoncée dans un tee-shirt « Pink Floyd » trois fois trop grand pour elle, les cheveux blonds emmêlés et la mine défaite, elle me fait un chouïa pitié. Le niveau zéro du sexy ! Sans parler du vieux jean qu’elle a retroussé quatre fois et que seule une paire de bretelles parvient à empêcher de glisser sur ses chevilles minuscules… Il faut vraiment faire quelque chose pour cette pauvre enfant, sans quoi, les gens vont charitablement lui jeter des piécettes dans la rue.
- Tu me feras des leçons de virilité le jour où t’arrêteras de ressembler à une Fifi Brindacier suédoise qui serait tombée dans les égouts. Et stoppe le grattage de l’entre-jambe : tu n’as plus rien à gratter !
Ignorant superbement ma riposte, elle tortille la paille qui lui sert de chevelure de la main droite en reniflant le fond de teint Dior qu’elle tient dans la gauche. De mon côté, j’essaye de comprendre comment brancher ce fichu rasoir électrique…
- Je dois vraiment mettre ces trucs sur ma face? Ca ne risque pas de me boucher les pores de la peau ?
- Jusqu’à avant-hier soir, je m’en mettais tous les jours. Regarde-moi bien : est-ce que j’ai l’air mort ?, dis-je, admirant ma propre patience…
Sans se fendre du moindre commentaire, Eivind commence à se tartiner le visage avec - visiblement - trois fois trop de fond de teint. Débrouille-toi cocotte, j’ai assez de mes propres problèmes. Hop, j’enduis ma barbe naissante de mousse à raser spéciale peaux sensibles et brandis le monstrueux rasoir Gilette que j’ai enfin réussi à faire fonctionner. Oh mon Dieu j’ai peur, cette chose va me déchiqueter le visage, c’est sûr. On retrouvera des petits bouts de ma peau incrustés dans les murs et je serai contrainte de porter un masque ad vitam pour éviter que les enfants ne fuient devant le trou béant qui laissera ma mâchoire apparente.
Bon allez, courage, je me lance… Je suis un homme oui ou merde ?
Contrairement à ce que je craignais, le contact de l’engin avec mon menton n’est pas douloureux du tout. Rasséréné, je commence à faire de petits mouvements circulaires pour ôter jusqu’au dernier des gros poils tenaces qui ont envahi mon visage en deux jours. En fait, c’est très facile : il suffit juste de n’omettre aucun des recoins de mon anatomie faciale. Bien moins périlleux que de se raser le derrière des mollets et les aisselles avec un vieux rasoir Bic pourrave !
Oups, panique, panique ! Le rasoir fume… Au secours, au secours !
- Eivind, il y a comme qui dirait un petit problème avec …
Avant que je n’aie eu le temps de l’éteindre, l’objet produit trois petites étincelles avant de rendre l’âme dans un douloureux grésillement, tout en continuant à émettre une fumée grisâtre. J’ai beau actionner frénétiquement l’interrupteur, il ne semble pas vouloir redémarrer… Et je ne me suis pas encore rasé la joue gauche !
C’est alors qu’Eivind se tourne de mon côté, et malgré ma situation peu enviable, je retiens un gloussement moqueur devant cette étrange apparition. Son visage est recouvert d’une monstrueuse couche de fond de teint trop foncé et ses joues de petits pâtés de blush rouge bordeaux. Pour maquiller ses lèvres, elle à judicieusement choisi le rouge à lèvre « Russian Red » rouge pétant que je n’ai mis qu’une fois (pour une soirée dont le thème était « Maison close ») tandis que ses paupières, alourdies de bleu foncé, papillonnent furieusement.
- Tu t’es déguisé en mère maquerelle ou quoi ?
- Eh oh, ça va ! J’ai juste pris les couleurs les plus sexy que t’avais… Y’a quasiment que du marron et du rose dans cette trousse…
Ah la découverte du maquillage : l’une des expériences les plus périlleuses qui soient pour les non-initiés…
- Enfin… tu sais que ça fait quand même un peu vulgaire non ?, je tente avec diplomatie…
- En tout cas ça fait toujours moins con qu’un gars qui s’est rasé à moitié parce qu’il ne sait pas qu’on n’utilise pas de mousse avec un rasoir électrique. Je te préviens direct, tu m’en repayes un!
- Tu n’as plus de barbe, je ne vois pas à quoi ça pourrait bien te servir !
Visiblement gênée par sa poitrine (au bas mot un 95C, selon mes estimations personnelles), Eivind attrape rageusement ma bouteille de gel douche dans un placard et commence à se nettoyer énergiquement le visage, vexée comme un pou. De mon côté, je finis par piocher au fond de mon placard un des vieux rasoirs Bic susmentionnés. Il n’a qu’une lame et je finirai certainement avec la moitié du visage ensanglanté, mais tant pis… Boys don’t cry!
Je ne m’habitue toujours pas au reflet que me renvoie le miroir mural : celui d’un mec grand et baraqué. Mâchoire carrée, cheveux bruns et épais, jambes velues… Regardons la vérité en face : j’ai l’air de sortir tout droit d’une pub pour aftershave. Sauf que je ne sais pas utiliser un rasoir électrique.
- Tu fais vraiment minet ! déclare Eivind, comme répondant à mes pensées.
- Hey, la bimbo, tu va me faire le plaisir de me lâcher la grappe. Retourne te faire belle, je dois me concentrer.
- Mais je ne sais pas faire ça ! Putain Perle, je ne suis pas une meuf ! geint-elle.
- A partir de maintenant si, et tu ferais bien de t’y habituer… Et ne m’appelle plus Perle. Est-ce que j’ai la gueule de quelqu’un qui s’appelle Perle, merde ?
- Je ne peux pas me peinturlurer la gueule tout seul, et tu dois me prêter des vêtements à ma taille ! explose Eivind qui ne parvient pas encore à se résoudre à parler d’elle au féminin.
En même temps, je peux la comprendre. Il y a moins de 48 heures Eivind Larsen, 28 ans, était un journaliste viril d’un mètre quatre-vingt-cinq qui arborait fièrement sa barbe de trois jours en se grattant les couilles. Même topo de mon côté : Moi, Perle Wozniak, l’incarnation ultime de la féminité glamour, coqueluche de tous les créateurs (ou presque), j’étais l’une des filles les plus sexy de Paris. Sans dec’… Rien à voir avec un colosse musculeux et poilu des mollets.
Franchement, on se taperait une crise identitaire pour moins que ça !
Mais pardon, je me laisse emballer par les évènements. Il faut dire que tout ceci est arrivé tellement vite : je commence tout juste à m’en remettre. Peut-être que cette histoire deviendrait plus simple à comprendre si je vous expliquais tout depuis le début. Et comme je suis ce qu’on appelle communément une bonne âme, que je n’aime pas laisser mon public dans un flou artistique et que –avouons-le - je n’ai pas grand-chose d’autre à faire, je consens à faire cet effort pour vos.
Allez hop ! Je rembobine…