L'hiver de l'amour : dialogue XI - que faire ?
blanche-dubois
Marie revient avec une enveloppe dans la main. Elle ouvre la porte d'entrée et la met sur le paillasson du voisin (autre porte).
- Marie : Le petit mot "Vous vous êtes trompée". Ce message ne m'était pas destiné. Sûrement pas. Et puis - non.
Elle ressort, elle reprend l'enveloppe sur le paillasson du voisin. Elle rentre à nouveau. Elle se dirige vers son sac à main, le prend, le fouille.
- Marie : La carte de Dimitri. Où est elle, bordel?
Elle ne la trouve pas.
- Marie : L'ai je jetée? Je l'ai jetée. Tant pis. Tant mieux. À vrai dire, je n'en sais rien.
Elle tient l'enveloppe, ouvre à nouveau la porte, remet l'enveloppe sur le paillasson du voisin.
- Marie : Oui, c'est sur, ce message ne m'était pas destiné. Une erreur navrante. C'est évident. À l'heure des mails ou SMS tout azimut, comment peut on encore affirmer sa présence d'une telle manière ?
Elle rentre vite.
- Marie : Je ne serai plus touchée par rien. Je serai invincible. Une wonder woman. Là, je sens mon cœur battre à tout rompre. Je sens le sang circuler. L'hiver ne dure qu'un certain temps. Le temps de régénérer la vie. Je ne peux pas continuer à être démobilisée par lui, par les autres, par des petits mots. Seul le froid de l'intérieur m'aidera à me durcir, devenir raide voire intouchable.
Elle reprend son sac et en ressort le carnet. Le chœur revient. Un des personnages du chœur le lui prend et lit. Marie fait ses cartons
- Le chœur :
Oublier
Oublier puis m'oublier,
Et puis s'enfuir,
Revenir, tout reprendre
Faire ses valises
Tout mettre dans des cartons
Brûler
Brûler ce qu'il y a à brûler
Pour de vrai
Les photos, les vêtements
Effacer les mails, à la corbeille, faire disparaître, reconfigurer, rembobiner et jeter
Faire comme si de rien n'était
Faire comme si rien ne s'était passé
Mettre tout dans les cartons
Laisser le vide
Et puis me vider encore
Devenir livide, laisser l'hiver
Encore agir
Devenir froide
Complètement
Presque jusqu'à la cassure
Penser à mettre les cartons dans le garde meuble du coin
Si je devais mourir, désigner tout de suite quelqu'un pour les reprendre
Qui?
Regarder dans l'annuaire papier
Tourner les pages et pointer du doigt au hasard
3 personnes maximum
Des hommes uniquement
Et si personne ne vient?
Dimitri Koliakov
Appartement : remettre les clefs dans la boite aux lettres du gardien.
Partir où?
Pour de bon
Ne pas réfléchir
Surtout ne pas réfléchir
Prendre un train définitif
Un avion définitif
Aller seulement
Ma seule vision : la disparition
Renaître ailleurs
Me remplir à nouveau
Seulement cela.
Bientôt viendra l'heure de ne plus être un cœur déchu.
- Marie : Le pre-fixe RE est devenu une constante chez moi. Je ne supporte plus cet endroit. C'est toxique.
Elle enfile son manteau militaire, remet ses bottes. Elle sort précipitamment comme envahie par une fumée irritante, coté cour. Quelque temps passe. Un des personnages du chœur dépose une autre enveloppe sur le seuil de la porte de l'appartement de Marie et récupère celle laissée sur le paillasson du voisin. Il disparaît de la scène.
Elle revient.
Marie : Je n'ai pas pu me volatiliser ou me substituer à une autre. Interchangeable. C'est très problématique d'être de chair et de sang. On peut l'imaginer.
J'ai oublié mes gants. Je ne sors jamais sans mes gants. Putain de temps. Je ne savais pas non plus où aller. Je suis seule. C'est vrai où aller quand on se dit qu'il faut partir ? Toutefois, je ne peux plus rester chez moi. JE N'EN PEUX PLUS. Je n'ai plus le choix.
Elle voit la nouvelle enveloppe.
Marie : Encore une enveloppe. Décidément.
Elle l'ouvre frénétiquement presque en la déchirant car ses doigts sont gelés.
Elle la lit ahurie.
- Marie : "NON Il N'Y A PAS ERREUR". Ou est l'autre ? Le temps que je revienne, une heure et demie s'est écoulée. Mais qui a pu faire cela?
Elle déchire rageusement le papier en mille morceaux.
- Marie : Je pourrais commettre un meurtre. Je vais appeler la police pour leur dire que je suis harcelée par un déséquilibré. Ou plutôt que je suis déséquilibrée. Non, plutôt que je vais commettre un meurtre.
Elle rentre et se dirige vers un placard. L'air semble irrespirable. Elle sort du tiroir un couteau de boucher.
- Marie : OUI, ce couteau qu'on avait acheté ensemble à Clermont-Ferrand dans la boutique de coutellerie la plus chic de la ville. "Tu couperas des tranches de rosbif parfaites avec cela" m'avait-il dit amusé.
Elle l'emballe autour d'un vieux journal, le met dans mon sac, retrouve la carte de Dimitri. Elle a déjà fait les cartons.
- Marie : Le restant dans la benne à ordures.
Elle écrit sur tous ces cartons la mention "A Dimitri”. Elle pose la carte sur le premier carton se présentant à elle et inscrit.
- Marie : “ De la part d'une femme à qui vous auriez pu plaire”.
Elle se dirige côté jardin et s'adresse au public.
- Marie : Au revoir ma vie. Je vais ressortir dans ce blizzard inhabituel. Une heure pour arriver à Paris 5ème arrondissement. Je ne reviendrai plus. C'est sûr. Et déjà ma vie défile et déjà elle se termine. Car oui, tuer, couper, trancher - oui je vais le faire. Des hommes qui n'assument pas. Qui fuient des femmes. Qui quittent des femmes. Cela existe toujours. Encore d'autres amours, toujours plus. Et à chaque fois toujours plus désirable, plus belle et plus seule. Là, je suis brisée. Un joyau de brisure. Une dépression finale et psychotique. Un rideau qui se tire en se déchirant. Cric, crac. Tout se détraque.
- Le chœur qui revient : Elle ressassera ce refrain pendant tout le trajet.
A suivre : le final