L'homme et la bête

stockholmsyndrom

Murphy





Il est trois heures du matin.

Murphy, les billes écarquillées, attends toujours un signe du destin. C'est une nuit d'été chaude et électrique comme il en est coutume à Los Angeles. Dans la camionnette, ça sent la clope et la transpiration. Collins, à demi assoupi, est tenté de jeter l'éponge.

Il se pointera pas, on devrait rentrer Murph'.

Encore une petite heure. Réplique nerveusement Murphy.

Il se lève et sort dehors. Sa main tremblante attrape un sachet blanc dans la poche de son short. Il dispose tant bien que mal un peu de poudre sur l'ongle de son index épris de spasmes et le porte à ses narines. Aspire sèchement en levant ses yeux fermés au ciel noir, comme pour acheminer au plus vite les paillettes dans ses voies nasales, puis se lave les dents.

Les lieux sont quasi vides.

Quelques lambeaux humains, des fantômes de la réalité se glissent entre les arbres sombres au loin, des ombres mouvantes se dessinent dans un décor funèbre. Il jette un œil à son téléphone. Polly a essayé de l'appeler plusieurs fois. Ça fait trois jours qu'il ne lui a pas donné de signes de vie.

Il écoute un message:


"Brady, réponds moi, je t'en supplie, j'arrive plus à fermer l'oeil, réponds moi putain, je vais appeler tes collègues, je suis morte de trouille, tu penses un peu à ce que j'endure! Il faut que tu lâche putain, tu es en trAin de sombrer, il faut que tu"

Murphy la coupe sèchement en raccrochant le téléphone. Y'a vraiment que ça qui t'inquiète, pense Murphy pris d'un relan de colère. Me fous pas la honte devant mes collègues. Il lui envoie un message écrit:


"Je vais bien Dolly, c'est juste, tu sais, cette affaire, je peux pas t'en parler. Je rentre bientôt je te le promets."


Nerveusement, il est au pic abominable de sa forme. Cela fait trois mois qu'ils n'ont flairer aucunes traces du loup solitaire. Trois longs et interminables mois.

Un contact assez peu fiable les avaient branché sur le parc où ils se trouvaient, un parcours de joggers sous le soleil, un repère de junkies la nuit tombée. Le mec, un consommateur avisé, avait vu traîner trois nuits d'affilée un homme louche, grand, élancé et vêtu d'une longue parka beige. C'était là les seuls indices qu'ils avaient sur l'aspect physique du suspect numéro un de l'enquête, indices récoltés grâce à deux vidéos surveillances différentes de deux lieux différents quelques minutes après deux meurtres différents à intervalles chronologiques différentes. Un grand cintre à parka imbu de tout visage, de toute identité concrète. Murphy se souviens de ce qu'avait alors dis son chef:


On tiens notre homme, faut vraiment être un Putain de dégénéré pour se trimbaler en parka en été à L.A!


Il se souvient des rires de collègues, prêts à sauter sur le premier morceau de viande qu'on leur jetterait dans la fosse, les dents acérées et longues comme, ils l'espéraient tous, leurs futures carrières.

Pour Murphy c'était différent.

Les micros, les projecteurs, les banquets avec le Maire, la distinction du meilleur flic de l'année, c'est pas ce qui l'intéressait.

Et il avait ses raisons.


Trois putains de mois sans que ce fils de pute ne comète un nouveau crime. Le silence radio. C'était assez inhabituel. Depuis maintenant trois ans, peu être beaucoup plus, les meurtres du loup solitaire s'échelonnaient à intervalles plus ou moins régulières d'environ un mois. Le processus et le profil des victimes était toujours le même, ramenant inévitablement les accusations à la même entité infernale. Principalement des jeunes femme, à l'exception d'une adolescente et de deux femmes mûres, toutes accro à différentes drogues, disparaissaient dans la nature. On retrouvait les cadavres nus quelques jours après. Des meurtres particulièrement sauvages et violents: Viol, traces de tortures sur l'intégralité du corps, traces de différentes palettes de drogues dans le sang. Et puis, encore et toujours la même signature macabre: La morsure effroyablement grotesque sur le cou des pauvres proies.

Jamais de traces d'ADN. Les labos avaient fait des analyses. Aussi invraisemblable que cela pouvait paraître, les dents plantées dans la chair humaine provenaient d'incisives d'une puissante mâchoire canine.


Putain de timbré.


Le loup solitaire.


C'est suite à cette découverte que le chef a cru bon de le surnommer ainsi.

Pour crâner un peu, un jeune flic avait déballer l'info à un journaliste insistant, et le tueur aux canines puissantes terrorisait maintenant tout le Grand Ouest des États Unis.


Le loup solitaire.


Quelle putain de mascarade.


Il doit savourer son expresso, ce matin, devant son journal, s'était exclamé Murphy, abattu par tout ce cirque médiatique.



Quelques branches crépitent sous la faible expiration d'un léger vent. L'atmosphère est digne d'un décor de Tim Burton. Murphy jette un regard en direction des bois, des caméras sont placées à tous les recoins du parc mais il a tendance à croire plus en l'homme qu'en la machine, malgré les monstres qu'il a croisé durant toute sa vie.

Le bois est désert.

La cocaïne le maintien éveillé mais sa motivation commence à défaillir.


Il n'y aura rien ce soir.


Peut être même jamais.


Murphy le sait, le loup solitaire est machiavéliquement intelligent, c'est trop facile, il s'est jeté sur ce tuyau par désespoir, ce même désespoir qui lui a fait retoucher à la coke en le replongeant dans les plus sombres de ses cauchemars.

Mais il fallait tenir le coup.

Il s'allume un clope.

Trois putains de mois, chuchote il. Puis pense au côté positif de ses paroles. Un peu moins de pauvres femmes massacrées sur ce foutu monde.

Il lance un long soupir.

Le loup ne viendra pas.

Il n'est même jamais venu. Pas plus ici que sur les tombes de ses victimes, pas une seule fois. Ce qui décontenançait Murphy. Fort de son expérience, Il sait que les psychopathes sont des fumiers égocentriques qui ressentent constamment le besoin d'arracher l'attention d'autrui. L'une des pratiques les plus courantes dans la police criminelle consiste à placer des caméras autour des tombes des victimes de prédateurs. Dans souvent bien des cas, le prédateur ressent le besoin de venir contempler son trophée, avide de reconnaissance envers lui même, véritable enfant du diable fier de la prouesse accompli.

Le loup ne s'est jamais pointé nulle part. Il fait partie d'une autre espèce encore, plus infime, plus infâme, celle que Murphy redoute plus que tout, le calculateur reptilien, le diable en personne.


Une sueur froide s'empare soudain de son épine dorsale, une peur inexpliquée, mais bien présente, le paralyse quelques instants. Il est épris de vertiges, l'air lui manque. Quelques branches hautes craquent et la nuit noire semble vouloir l'avaler. Il reprend ses esprits assez rapidement et emboîte le pas pour remonter dans la camionnette.


Tout ça n'est qu'un mauvais rêve.


- Il ne viendra pas.


En l'absence d'une réponse, Murphy s'aperçoit que Collins s'est endormi.


Putain d'incompétent!!


Le jeune flic sursaute sur sa chaise.


Désolé Murph', vraiment désolé!


Murphy, qui lutte contre les paillettes de cocaïne qui nagent dans ses veines gonflées retiens sa rage prête à exploser.


T'ES QU'UN PUTAIN DE BRANLEUR DE MERDE!


Sa vision se floue, il se fait violence pour ne pas étaler la sienne dans la gueule de Collins. Quand se dernier se mets à vivement lui répliquer:


Là! Murph'! On le tiens! Les yeux excités de Collins sont rabattus sur les écrans de contrôle. Murphy jette aussitôt les siens dessus. Un homme aux allures d'échassier se faufile doucement entre les bois ténébreux, il porte une horrible parka qui lui donne une impression de flotter.


Murphy attrape instinctivement son revolver et sort du véhicule comme une furie.

Un instinct primitif le pousse, il court à fendre l'air. Son coeur bat à pleins tubes, pilonne sa cage thoracique, il ne sent rien, ni ses pieds, ni son corps, ni l'air qui lui fouette la figure, encore moins la fatigue de son souffle.

Il redouble encore et toujours d'efforts.

L'homme a la parka, rasant dans une paisible légèreté les arbres, finit par se dessiner distinctement dans son champs de vision.

Il n'est plus très loin maintenant.

Plus que quelques mètres.

Murphy pousse un cri de rage, a peine le temps d'attirer l'attention de sa proie que cette dernière le voit surgir de la pénombre pour lui sauter dessus et le plaquer violemment au sol.


FILS DE PUTE! FILS DE PUTE DE MERDE!


La violence sans limite de Murphy est incontrôlable, il fracasse le visage de l'homme à grands coups de poings, les os craquent sous la pluie de phalanges, ceux des pommettes du pourchassé, ceux des doigts de Murphy, peu lui importe, il ne voit rien, frappe, frappe, frappe, encore et toujours.

Rien ne semble présager dans ce désormais bain de sang que Murphy s'arrêtera un jour de frapper.

Ce n'est plus Murphy, plus rien qu'un prédateur avide de sang, dénué de tout autre but que de le faire couler, réduit à ceux qu'il pourchasse et qu'il maudit tant, réduit à lui même, frappe, frappe, frappe, jusqu'en apercevoir la mort s'approcher félinnement.


Collins arrive, à bout de souffle, et se jette sur Murphy, lui empêchant de commettre l'irréparable.

Les deux hommes se débattent violemment, Murphy s'est transformé en une hystérique bête féroce.

Collins réussi à sortir son flingue.

Un coup de crosse sec sur le crâne de Murphy.

Le sang qui pisse un peu.

La bête est hors d'atteinte...


Le bois retrouve son calme froid et habituel.


Un cri guttural sort des entrailles de parkaman, agonisant sur la terre chaude de L.A.


La lune le regarde. Elle a des airs de blanche Madonne.


Collins regarde autour de lui.


Le sang rugit sur le sol lisse.


La nuit risque d'être longue.

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