L'homme qui avait un chat auquel on ne pouvait pas mentir

Son problème, il avait un chat auquel on ne pouvait pas mentir.

Il n'en savait rien et d'ailleurs c'était une chatte, nommé par son premier maître (et je n'emploierais pas, en temps normal, le mot « maître » à propos d'un chat, mais pour ce qui concernait ce chat, il était aussi son créateur, ne me demandez pas comment) Itnuk, par écho à son pouvoir, complémentaire à celui de la mère des Pandavas. Celle-ci, et le Mahabharata vous le confirmera, ne pouvait rien dire de faux. A tel point que si par erreur cela lui arrivait, la réalité se tordait, se déformait, se débrouillait en tous les cas pour que l'affirmation fût à la fin véridique. Et il en était de même, à l'inverse, pour cette chatte qui comprenait, à l'image des serpents d'autrefois, tous les langages. Elle ne pouvait entendre une assertion contraire à la réalité, sans quoi la réalité s'y pliait immanquablement. Ce chat était très dangereux mais heureusement un peu sourd. Ainsi, quand son nouveau propriétaire, sortant un matin chercher du pain, lui cria par malice : «  Je ne reviendrai pas ce soir, une grande aventure m'attend, débrouilles-toi. », il ne se doutait pas que son destin, vierge jusqu'alors, noircissait son premier chapitre.

Bien des années plus tard, voyageur hardi en halte, il repensa à ce qui avait bien pu être à l'origine de toutes ses mésaventures. Il se rappela qu'avant de trouver ce chat, le matin même, sa voisine d'en bas, qui ne lui adressait jamais la parole, lui avait demandé en le croisant : « Et vous, est-ce que vous dites aussi à votre chat que vous reviendrez bientôt quand vous partez de chez vous ? ». Question idiote, à laquelle il n'avait pas répondu, n'ayant pas encore de chat, et qu'il voulut ensuite railler pour lui-même, le lendemain, en s'adressant a son nouvel invité dans les termes que nous connaissons. Un début de quelque chose grandit alors dans l'esprit de Joseph (car à la fin, il faut bien l'appeler par son nom) qui se transforma en une idée de plus en plus nette, jusqu'à la révélation. L'intuition folle (mais confirmée par une lumière soudaine et inattendue à cette heure, rayonnant des montagnes elles-mêmes) que ce chat avait le pouvoir maudit de rendre vrai tout ce qu'il entendait. « Assurément, ce chat doit être encore en vie, magique qu'il est ! Je dois le retrouver, aussi pourrais-je lui parler et faire en sorte de finir ma vie comme je l'entends. ». Mais il était si loin de chez lui maintenant, si loin...

Le monde avait changé, comment retrouverait-il sa contrée. D'ailleurs, le chat devait être parti. Et qu'en était-il de sa maison ? Détruite ou reprise depuis longtemps. « Ce félin sert peut-être aujourd'hui les desseins d'un homme qui a compris son pouvoir. Je ne le retrouverai jamais... » . Mais il oubliait un détail. Le soir où il le trouva, il nourrit ce chat avec affection et lui parla un peu. Entre autres, il lui murmura quelques mots à l'oreille : « Je suis bien content car maintenant, je sais que tu m'attendras quand je rentrerai à la maison. »

Ainsi commence le deuxième chapitre du destin de Joseph, condamné à rentrer chez lui sans savoir qu'il doit le faire (faute à l'oubli) pour retrouver un chat qui pendant ce temps, fait je ne sais quoi.

Mais si je veux, je m'arrête là. Na.