L'homme qui tue

june

La version masculine de mon texte "Sauvages" ... Un "vieux" qui veut tuer sa "vieille".

Le vieux veut flinguer la vieille. Il a commandé un revolver l'autre jour. Sous le manteau, c'est son copain André  qui lui a filé. Il ne supporte plus rien, chez elle. Sa vue et son ouïe défaillantes. La façon dont elle tient sa tasse, les mains légèrement tremblantes qu'il a embrassées tant de fois il y a des siècles. La loupe qu'elle brandit tous les matins pour espérer lire Le Parisien. Les bonnes femmes. Bonnes à marier puis bonnes à la casse au bout de quelques années de service. Et la jeunesse qui s'y met, maintenant ! Il a entendu les échos d'une conversation, l'autre soir. Les minettes envahissaient son coin de tranquillité, le bar à côté de chez l'épicier. Oui tu sais Arthur m'a dit que j'étais moche, du coup je l'ai quitté fissa le mec, non mais il se prend pour qui ? Laisse meuf, tous des cons. Le vieux avait failli en tomber de sa chaise. Comment ça, tous des cons ? Il avait simplement bougonné dans son coin, puis continué à siroter sa heineken comme du petit lait. À l'époque, une femme, ça se taisait,  aurait certainement gueulé son grand-père en tapant du poing. Il allait devoir changer de repaire. À ce train-là, la vieille boiteuse qui servait serait vite remplacée par une version plus fonctionnelle. Il profitait de ces instants loin de la vieille pour peaufiner son plan. Un peu d'action, après tout, pourquoi pas ! Et puis, il passerait sûrement sur BFM. Les copains ouvriraient des yeux grands comme des ronds de quille en le voyant sortir de chez lui, le sweat-shirt ensanglanté et les menottes aux poignets. On en parlerait pendant des mois et des mois dans la ville, de son heure de gloire. Peut-être même qu'on lui demanderait d'écrire un livre, pourquoi pas. Et puis Donatien Delarue, ça sonnait plutôt bien comme nom d'auteur. Un curé viendrait pour l'aider à se repentir, et aux yeux de Dieu il serait gracié, bien que le bon dieu, il n'y croie pas vraiment. Mais sait-on jamais, au cas-où un paradis existerait. Ah, ça, il en avait soupé de la religion avec la vieille ! Le crucifix dans la chambre, la petite prière avant de manger pendant que lui était tranquillement installé devant la télé, la fiole d'eau bénite dans le courrier de la poste. Et puis la messe, tous les dimanches avant de faire le marché. À cette occasion, la vieille se parfumait, ce qu'il trouvait vaguement agréable. Toujours la même fragrance depuis trente ans, légèrement fleurie, évoquant une promenade champêtre. Elle ajustait son foulard autour de son visage, et, avant de partir, effleurait quelques secondes la photographie de leur fille. Un petit visage rieur dans le cadre, qui depuis avait dépassé la quarantaine. Lorsque sa femme rentrait, en fin de matinée, elle faisait toujours brûler un cierge jusque très tard. Pas le temps de s'appesantir pourtant, elle le réquisitionnait déjà pour la cuisine. Va mettre la tarte dans le four, non ce n'est pas le bon thermostat. La plupart du temps, les reproches pleuvaient. Lorsqu'il voulait protester, elle citait un passage de la Bible ou d'un Evangile quelconque pour contrecarrer ses tentatives. Oui, le vieux va tuer la vieille. Et il espère qu'elle n'atteindra pas le paradis.

Signaler ce texte