L'HOTEL DE LA DERNIERE CHANCE
giuglietta
L'HÔTEL DE LA DERNIERE CHANCE
« Tant qu'y a d'la vie y'a d'l'espoir. Vos désirs vos
rêves seront exaucés un soir. Avant que votre vie
s'achève ... »
C'est l'aube. Il vient de s'endormir et elle, elle le
regarde. « C'est beau un homme endormi. ».
Pour une fois, elle n'a même pas envie d'ajouter, cynique,
« Malheureusement, ils finissent par se réveiller » Non.
Elle le regarde avec tendresse, les yeux plissés, le regard
doux. On dirait que cette fois, elle a tiré le bon numéro.
La loterie de sa vie ! Une vraie goualante des
années 20 ; au premier couplet, son père la frappe ;
son mari la trompe au second ; le refrain, les amants d'un soir
l'entonnent à l'apéro, faisant des gorges chaudes de sa
gentillesse naïve.
Mais lui, on croirait Gabin au début du « Jour se
lève », poli, prévenant d'une façon presque désuète, d'une
galanterie démodée. Mais passionné aussi ! Ça...
Elle a du mal à se dire que ça lui arrive à elle ces conneries
comme dans les films : les fleurs, les sourires, le resto,
une nuit de fièvre.
Il ne s'est pas rhabillé aussi sec pour partir tête
basse, non, il a chuchoté « dors bien ».
Pour profiter de ce nouveau bonheur,
elle est restée éveillée un peu.
La rue s'agite en bas, devant la gare du Havre, et
elle a le sourire encore quand le sommeil l’emporte.
Il se lève de bonne humeur, le soleil ruisselle sur
les vitres de la petite chambre d'hôtel. Pour qu'elle n'ait
pas trop chaud, il entrouvre la fenêtre. À l'espagnolette.
« C'est marrant ce mot-là ! » Il a envie de rire, de
siffloter, mais elle dort alors il s'habille en silence.
« Quelle nuit, quelle fille ! ».
Il griffonne quelques mots,
referme la porte, dévale l'escalier.
Cours de la République, la première boulangerie
est fermée. Devant la suivante les gens font la queue,
presque midi. Le clochard sur le trottoir a l'air mal en
point. Il se penche vers lui : « Ça va camarade ? ».
Ça ne va pas fort, l'homme au teint gris et rouge comate,
lourdement, écrasé dans sa torpeur d'ivrogne. « Et mon
portable qui est déchargé !!! » Faudrait appeler les
pompiers tout de même ! Secouer la pauvre épave,
doucement, plus fort. Du sang sur sa main.
Ça sent l'embrouille. Il faut se tirer, il faut vivre, et tant pis.
Égoïste oui. Il est heureux comme pour la première fois
ce matin, heureux vraiment grâce à cette gosse aux
manières douces, tout droit sortie d'un mélo d'autrefois.
Il faut la rejoindre, le temps passe, elle l'attend peut-être
déjà, elle a faim sans doute.
Le flic le fait sursauter avec sa grosse voix et sa
poigne de colosse ! « Que se passe-t-il ici ? »;
C'est bien sa veine. S'expliquer, le sang sur ses doigts,
l'homme à terre qui... « Il est mort, chef ». Putain !
D'époque, de ville, de flics ! « Suivez-nous. »
Il est presque deux heures quand elle ouvre les
yeux. Le soleil se voile un peu, elle frissonne.
La fenêtre ouverte laisse passer un friselis d'air qui
donne la chair de poule à ses épaules nues.
Où est-il ? Il n'a pas fait ça, pas lui, il va revenir bien sûr.
Mais oui, il a dû aller acheter des cigarettes.
Alors ce ne sera pas long, le bar en bas de
l'hôtel fait tabac, elle l'a remarqué hier soir pendant qu'ils
s'embrassaient sous les néons.
Il suffit d'attendre et il sera là avec ses bons yeux,
ses mains douces, son air de vouloir la protéger de tout et rien.
Le temps passe et la vieille angoisse revient.
Et s'il était finalement comme les autres.
Alors si c'est comme ça, c'en est fini! C'était le
dernier, l'imprévu, c'était lui ou plus personne. Jamais.
Une joie dans sa vie, tu parles ? Jamais elle n'a connu ça,
les cadeaux. Les surprises ça oui ! Toujours mauvaises !
Peut-être que le tabac était fermé... peut-être.
Allez va, ne te raconte pas d'histoires...
Sorti du commissariat à 15 heures, il marche vite
vers l'hôtel et son cœur cogne une rythmique industrielle
à en crever, vite, vite, il court presque. Elle sera partie à
la longue. Il n'a même pas son numéro de téléphone.
Et ces hôtels, passée l'heure, ils vous fichent dehors.
Une ambulance au loin, sa funèbre complainte.
Devant le bar tabac, pas mal de badauds encore... et le
sang sur le trottoir comme un cri !
On n'en doute pas du malheur, quand on en a
comme lui, tellement l'habitude ! Dans le caniveau file un
petit bout de papier enivré, qui a tourbillonné dans l'air,
bloqué sa course sur une gouttière, flirté avec les oiseaux
du deuxième étage, un papier dont l’encre à présent
délavée dit :
« Vais chercher des croissants, attends-moi»,
et « Je t'aime ! »
« ... Le bonheur viendra vous voir. Il faut
l'attendre sans trêve. Chassez les papillons noirs,
tant qu'y d'la vie y'a d'l'espoir.
Tant qu'ya d'la vie y'a d'l’es.... »
Merci, merci ! bises
· Il y a plus de 13 ans ·giuglietta
Du rythme et un panel d'émotion caractérisant bien l'être humain servi par une écriture vraiment plaisante. En très peu de temps, bravo
· Il y a plus de 13 ans ·leo
Dur, rude, net, précis et ... tellement vrai !
· Il y a plus de 13 ans ·polluxlesiak