L'idée de génie

nat28

Projet Bradbury - Semaine 36

     Quand ma copine Sidonie m'a dit "Je me marie !", j'étais trop contente pour elle. Après cinq années d'amour fou avec son chéri, il était grand temps qu'ils passent devant le maire ! Et puis j'adore les mariages : les fleurs, les gens sur leur 31, les jeux, le banquet, la soirée... Et puis cette concentration d'émotion ! Je suis accro, vraiment, je m'incruste à toutes les cérémonies dont j'entends parler, c'est ma passion à moi. La famille, les amis, les collègues, les voisins... Je dois me retenir de ne pas éplucher les bans à la mairie pour repérer tous les vins d'honneur potentiel. Et franchement, comment résister à une bonne occasion de s'offrir une belle robe et des escarpins assortis ?

     D'ailleurs, j'ai déjà repéré une robe cocktail rose et verte trop mignonne sur Internet. Je fais régulièrement des repérages, on ne sait jamais, un mariage surprise est si vite arrivé... L'an dernier, une cousine a pris tout le monde de court en annonçant son union pour le week-end suivant. Tout le monde a recyclé des tenues déjà vues à d'autres événements familiaux (la honte), sauf moi, qui avait une robe longue bleu ciel encore sous housse dans le fond de ma penderie. Ma devise : toujours prête ! J'ai une trousse de maquillage "spéciale cérémonie" dans la boîte à gants de ma voiture et le numéro d'une coiffeuse à domicile capable de débarquer à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit pour me faire une tête d'enfer. Si le métier d'invité de mariage de secours existait, on pourrait m'appeler 24 heures sur 24.  

     Bien sûr, avec toute cette expérience, je suis devenue experte en animation et en préparation de surprise. C'est simple, les témoins (quand je n'en fais pas partie) ne se prennent pas la tête : ils me sollicitent pour tout organiser. Présentation photos, chanson sur les mariés, petits jeux pour faire passer le temps entre les plats... J'ai un classeur rempli de questionnaires et de petites idées à personnaliser pour pouvoir m'adapter aux goûts et aux envies de chaque couple qui a eu la sagesse de s'unir en ma présence.

     Pour Sidonie, cet aspect de la journée a été pensé il y a bien longtemps, le jour où je l'ai vu débouler chez moi avec le dernier numéro de "Mariée Magazine" sous le bras, il y a deux ans de cela. Le projet "d'officialiser" n'était pas encore à l'ordre du jour, mais mon amie avait été prise d'une sorte de frénésie, causée en grande partie par le mariage de Kate et William.

"On ne sait jamais, ça peut arriver un jour, alors je veux être prête !" avait-elle affirmé, assise sur mon canapé, feuilletant les pages présentant des robes, tandis que je préparais un thé dans la kitchenette de mon deux pièces (depuis, j'ai déménagé : j'avais urgemment besoin d'un dressing). Nous avions passé l'après-midi à imaginer une cérémonie idéale, des petits fours au lâcher de ballon, en prenant des notes le plus sérieusement du monde.

     Et aujourd'hui, ce projet devient réalité. C'est trop bien !

    Sauf que... Ils ne vont pas faire de liste de mariage. Et ça, pour moi, c'est l'angoisse. Dans 9 mariages sur 10, les futurs époux déposent une liste pleine d'assiettes, de couverts hors de prix et d'électroménager fantaisiste dans un quelconque grand magasin. Il suffit alors aux invités de piocher un truc pas trop ruineux ou d'alimenter une cagnotte en ligne, et le tour est joué. Quand le couple choisit l'option "urne", un petit billet, et là aussi, c'est facilement réglé. Mais dans le cas qui m'occupe, il s'agit de ma meilleure amie. Certes, je mettrai une carte et 50 euros dans la boîte, pour leur voyage de noce, mais je ne peux pas ne pas marquer le coup avec un petit cadeau ! Ne serait-ce que pour son enterrement de vie de jeune fille ! (Planifié depuis plusieurs mois, lui aussi, j'avais lancé le processus lors du dernier anniversaire de Sidonie, vu que j'avais quasiment toutes ses copines sous la main. Prévoir, c'est la clé de la réussite en toutes choses.)

     Mais là... Je sèche. De la vaisselle, c'est trop classique et elle n'aime pas, un vêtement, c'est bizarre pour un mariage, un livre, ce n'est pas assez original, une carte cadeau, c'est bien trop impersonnel, un sex-toy, c'est de mauvais goût... Un bijou ? Sauf que ce jour là, la seule breloque à laquelle elle portera attention, ce sera son alliance ! (Quoi de plus normal). Pour la première fois de ma vie, j'ai peur de me planter. Et je ne peux pas lui demander ce qui lui ferait plaisir, car, premièrement, cela signifierait que je ne suis pas capable de trouver toute seule, et deuxièmement, je sais qu'elle me répondrait "rien". Aucun intérêt.

     Et c'est là que je regrette mon cahier "idée cadeau" que j'ai rempli consciencieusement, du jour où j'ai appris à écrire jusqu'à ce que je quitte la maison de mes parents. J'y inscrivais toutes les idées de présents, pour les autres, et surtout pour moi, et je le dégainais aux anniversaires et à Noël. Très efficace. Malheureusement, j'ai perdu l'habitude. Et là, je suis perdue.

     Le futur mari ne me sera d'aucune utilité. C'est moi qui lui souffle des idées à chaque fois qu'il cherche un cadeau pour sa moitié, alors...

     Internet ! Mon moteur de recherche va me sortir de cette galère, c'est sûr ! Des ingénieurs travaillent jours et nuits sur ses algorithmes ! "Cadeau de mariage idéal", je clique, et zou, des milliers de résultats ! Je n'ai plus qu'à faire le tri !

     Rien ne m'inspire, c'est nul... Et c'est en train de me gâcher le plaisir cette histoire ! Zut, c'est le mariage de ma meilleure amie, je devrais être super contente !

     Oh, je sais, le DIY va me sauver la mise ! Je vais lui faire un truc avec mes petites mains, elle sera forcément ravie !

     Un objet unique, oui, mais quoi ? Un mug avec la photo des mariés ? L'horreur. Je lui tricote quelque chose ? Ça existe, les écharpes de mariage ? Un vase en terre cuite ? Je ne suis pas assez douée... La prise de tête !

     J'ai trouvé ! Je vais leur faire un carnet avec des photos d'eux, et des citations en lien avec leur histoire ! Trop bien ! J'en ai plein, des photos d'eux, en plus. Allez, au boulot.

     Sidonie vient de m'appeler. Son fiancé vient de la quitter. La tuile. Deux options s'offrent à moi : la consoler, et m'asseoir sur tout mon travail de préparation, ou bien les rabibocher tant qu'il en est encore temps...

     "Mec, faut qu'on parle". Je n'allais tout de même pas laisser un homme tout gâcher...

       

Signaler ce texte