L'oeil du chat

Christian Lemoine

Le ventre de la nuit gronde d'insomnies. La nuit ventée, la nuit épouvantée, les harpes de vent sifflant leurs accords telluriens ; et dans ces tourbillons dantesques, il n'est que le noir à trouver son chemin. Aucun pèlerin, aucune nomade déroutée, rien ; nul émigré perdu sur cette terre balayée ; les paquets de bourrasques emportent avec eux le fruit des moisissures et des thallophytes, en vastes embardées de poussières et de feuilles. Craquent les bois et les branches, à mugir de l'un à l'autre pour deviner qui craquera le dernier. Totale obscurité, les nuages en horde couvrent d'un bout à l'autre le petit ciel meurtri entre les frondaisons hérissées. Il n'y surprendrait nulle bête, celui-là assez fou pour y jouer sa raison. Sous les feuilles, sous les racines, sous la terre, la vie pullulante, la vie des fourrures affolées, celle des plumes ébouriffées ; toute vie se tapit et espère sa maintenance au-delà de l'instant rageur. Pourtant, une ombre encore se faufile et nargue la tempête. Elle ne cherche pas à traquer la proie, car ce serait vésanie que d'espérer y débusquer une imprudence téméraire. Cette ombre, unique, solitaire, ne voit pas les périls, ignore de les considérer. Elle a, dans son œil subtil, saisi le frêle filet d'une lueur vacillante. Cette seule étincelle suffit à son layon pour en susciter l'achèvement. Ainsi coulant entre les obstacles, le félin intranquille traque l'éclat précaire pour guider sa fuite, cette mince lueur pour unique boussole.
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