L'onction

Christian Lemoine

Pardonner ; mais que ? Les offenses ; et les blessures ? Les censures ou les souffrances ? L'honneur bafoué des candides peut-être, adoubés au chœur des lamentations par leur destin obéré. Ou celui des exécuteurs, sommés contre vie trébuchante de solder leur avilissement. Que pardonner ? Les colères ; et les insultes ? Les tumultes ou les revers ? L'harmonie tuméfiée des landes peut-être, inscrites au registre des vestiges par leur printemps hypothéqué. Ou celui des éclipses et des comètes, échappées d'un ciel noir où ne subsiste plus même la foi des anges. Pardonner ? Comme cela serait beau. A simplement étreindre le bourreau et l'esclave, le serf et le tyran, en identique satisfaction. Mais qui ? Cette enfant sévère au corps percé ? qui ne connaîtra pas la jouissance d'être offerte, non en victime sacrificielle mais en étrenne d'elle-même. Qui autre ? Cette dépouille vitrifiée aux hardes moisies ? vivant spectre des vitrines mafflues. Au moins, celle qui ne sait vie que de ses plaies ouvertes, aux lèvres plus béantes que sa bouche ahurie, son baiser saignant contre sa salive asséchée. Qui donc ? Cette tête effarée, ce visage incrédule, ses yeux dessillés sur leur propre vide, inaptes à tout jamais pour contempler le corps dont ils étaient vigies. Cette gorge tranchée net, tuyaux d'orgues aphones. Ah, pardonner ! et ne plus voir qu'au lever du soleil apaisé du pardon, de l'absolution, quand il n'est plus que des sanctuaires inanimés autour d'autels désertés. Pardonner, mais que ? Quand rien plus n'est par offrande, altruisme ou charité.
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