L'onglerie

bartleby

Je passe devant chaque jour. En fait, dans mon quartier, il y en a toute une tripotée. C'est le coin dédié à ce genre d'instituts. Pas loin, ce sont des boutiques de réparation informatique, des quincailleries, etc.. Et donc, à mon mur mitoyen, c'est une onglerie. Je regarde parfois la vitrine: des photos d'ongles longs, bien taillés, entretenus, sur certains doigts, il y a même des petits strass, comme des petites perles, du vernis de toutes les couleurs... J'ai toujours trouvé ces établissements un peu vendeurs de superficialité, prodiguant des soins pour les femmes qui ont le temps et l'envie de "paraître" jusqu'au bout des... ongles, donc.

Je ne sais pas trop ce qui m'a pris ce jour là, mais j'ai voulu pousser la porte. Et je l'ai fait. Aussitôt, une petite dame aux mains parfaites vint à ma rencontre. Elle tenait ce qui ressemblait à une lime.

- "Venez avec moi... D'habitude on prend sur rendez-vous, mais là je peux vous prendre de suite. On y va ?". J'acquiesçai. À droite, à gauche, des tas de produits, dissolvants, alcool, des objets tranchants: un pousse-cuticules, un ciseau, un petit scalpel.

- "Asseyez-vous... Montrez-moi tout ça.... Oh ! La vache !!! Je suis désolée, mais ici on ne fait pas de soins d'épilation, ni de liposuccion, ni coiffeur, d'ailleurs... Ah ! Ah ! Ah ! Laissez, je blague ! Désolée, je ne fais jamais attention au fait que cela pourrait blesser les femmes qui manquent de confiance en elles. Bon, tendez-moi vos mimines, qu'on voit ça... Vous êtes fumeuse n'est-ce pas ?

- Oui, oui...

- Oh ! Comme tant de gens ! Je ne vais pas vous jeter la pierre pour ça. J'aurai juste un peu plus de boulot avec vous, c'est tout. Moi, ce qui me fait mourir, ce sont les statistiques ! Pas vous ? On va pas mourir plus vite pour autant. Bon, ceux qui ont pas de chance, ce sont ceux qui doivent subir la trachéotomie, par exemple, ça c'est épouvantable...! Vous connaissez quelqu'un à qui c'est arrivé ?

- Oui, malheureusement, oui... Dans ma famille.

- Oh ! Je suis désolée, excusez-moi...! Mettez vos mains dans la petite bassine, pour qu'on élimine tout ce jaune marron. Deux petites pierres solubles et on va laisser tout ça trois minutes Après, à l'attaque...! Vous avez quel âge dites-moi...? Oh. Ok. Mais vous savez, l'important, c'est l'âge qu'on a dans sa tête !

- ...

- Bon trois minutes, c'est bon. Mettez vos mains sur le linge, que je les sèche. On va commencer par limer... Oh ! Joli anneau ! Vous êtes mariée ?

- Euh... Plus ou moins...

- On l'est ou on ne l'est pas, non ?

- Je viens de me séparer, c'est récent. Ça n'allait plus du tout...

- Alors pourquoi gardez vous tout ça ?

- Je ne sais pas... Je ne sais pas".

Elle commença à limer côté blanc, l'ongle se tailla au fur et à mesure, faisant un bel arrondi propre. Puis elle la retourna du côté rouge, pour limer de façon plus précise.

- "Vous êtes donc libre ? Célibataire ?

- C'est exactement ça...

- Oh ! Le soulagement que ça doit vous faire ! Plus de contrainte, on mange quand on veut, on se couche quand on veut, on fait ce qu'on veut avec qui on veut, finalement, on sort avec ses amis ! Ça c'est top, la liberté !

- Oui. C'est vrai.

- Vous sortez souvent ? Vous aimez quoi dans la vie ?

- Le cinéma, principalement. J'y vais très souvent. Mais j'avoue, surtout quand je ne vais pas bien, que je déprime

- Oh ! Oui ! Une bonne fiction ! Rien de mieux pour déconnecter, vous avez raison ! Un truc qui vide l'esprit... Un peu comme la musique, aussi, pareil ? Un truc bien prenant et limite abrutissant. Oui, ça fait un bien fou, parfois !

- Oui, c'est ça.

- Et les réseaux sociaux ? Vous aimez aussi ? Facebook, Twitter, tout ça ?

- J'y vais peu.

- Oh, c'est vrai, le monde virtuel ça vous coupe un peu du reste des vivants...

- Mais je vais très souvent sur un site pour écrivains

- Ooohh ! Vous écrivez ? Mais c'est génial, ça ! Des romans ? Des nouvelles ? Des poèmes enflammés ? Hi hi...

- Non, juste quelques textes, rien de bien sérieux, ça fait du bien, simplement...

- Rien de concret et de solide ? Bah. Vous savez, l'inspiration ça va ça vient, n'est-ce pas ?

- Oui. Et ça me permet de dialoguer aussi, de garder contact avec..."

Soudain, la tranche de la lime ripa fortement sur mon doigt. Une toute petite goutte de sang naquit de la plaie fine.

- "Oups ! Ohlà ! On papote, on papote... Et je ne fais pas attention, moi. Je suis désolée ! Attendez, je reviens !"

Elle revint en effet avec un petit flacon d'alcool à 70° et imbiba un coton tige.

- "Voilà, ça pique un peu, mais vous verrez, on n'y verra que du feu sous le faux ongle. Faites voir ?"

Elle prit le pousse cuticule, un petit ciseau et un vernis sensé coller les faux ongles. Elle commença à ôter les petites peaux sous les ongles. Parfois, elle était obligée de tirer un peu. Elle se pencha sur son œuvre.

- "J'imagine que vous avez quelqu'un ? Je dis ça parce que le type du kebab d'à côté vous a fait de l'œil tout à l'heure. Puis, il vous a demandé si vous viviez seule et vous vous êtes empressée de lui dire que vous étiez en couple et que votre ami vous attendait pour manger.

- Oui, j'ai vu. Bien sûr. Mais...

- Oui, il n'est pas assez bien pour vous, j'admets. Un kebab, quoi.

- C'est juste que j'aime véritablement quelqu'un d'autre. Il ne me viendrait pas à l'idée de le tromper !

- C'est tout à votre honneur ! Eh..! Vous avez une petite photo ? Je suis curieuse..."

Elle poussa sur la base de longue avec force, je ne m'en étais pas rendue compte, les peaux mortes remontèrent. Avant qu'elle ne prenne le ciseau, je retirai ma main de la sienne et cherchai une photo dans la poche de ma veste posée sur ma chaise haute.

- "Voilà, c'est lui.

- Pardon de dire ça, mais vous aimez les petits jeunes ?"

Je regardai de nouveau la photo, vue mille fois.

- "Ah non ! Ça c'était il y a très longtemps, à l'époque où on s'est rencontré. Il a bien 20 ans de plus, maintenant !

- Et vous n'avez pas de photos récentes ?

- ........Non. C'est vrai...

- J'imagine que vous êtes toujours pendus au téléphone, à vous dire et à vous envoyer des petits mots d'amour !!! Ah ! Comme je vous envie, c'est si charmant ! Je serais presque jalouse et si j'étais méchante, je vous dirais qu'il est trop bien pour vous !

- Peut-être.... Aaahouww !".

Elle s'excusa, elle venait de couper trop fort une peau qui dépassait du bas d'un des ongles. Je la regardai, elle prit un scalpel de manucure.

Je ne voulais pas qu'elle pose la question. Je ne voulais pas !

- "Au fait, vous avez des enfants...?"




  • Tendre et cruel... j'aime beaucoup. La chute est top.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    26012013757

    franz

    • Merci beaucoup !

      · Il y a plus de 6 ans ·
      49967 4832e34b8ef74d58bc32

      bartleby

  • Les coiffeurs c'est pareil ! en tout cas, l'interrogatoire étourdissant c'est comme un confession involontaire. La fin blesse...Joli, très joli.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

    • Merci de ta lecture

      · Il y a plus de 6 ans ·
      49967 4832e34b8ef74d58bc32

      bartleby

  • Marrant. Cette histoire me rappelle quelqu'un... et merde encore un faux profil...

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    Marcus Volk

    • Bah. Nous les filles, on a toutes plus ou moins la même vie...

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      bartleby

    • ah. tu es une fille ?

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Marcus Volk

    • Attends je regarde...
      Ah ouais dis donc !

      · Il y a plus de 6 ans ·
      49967 4832e34b8ef74d58bc32

      bartleby

    • Facile. C'est con : j'aimais bien te lire.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Marcus Volk

    • Rrrhooo...
      Il en faut très peu pour perdre un lectorat

      · Il y a plus de 6 ans ·
      49967 4832e34b8ef74d58bc32

      bartleby

  • Y- a-t-Il une suite ?

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Oeil

    anne-onyme

    • Faut-il une suite à ma tristesse ? Parce que oui, forcément, ce texte est une métaphore de ces choses qui me tourmentent: la maladie, la vision que j'ai de moi-même, de mon rapport aux gens, de la façon dont j'oublie de considérer mon amour comme un homme faisant bien partie de ma vie présente et future, en repensant trop au passé, mon manque de profondeur lorsque j'écris, et ma vie de famille que j'ai fait voler en éclats

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      bartleby

  • Si tu me lisais par le plus grand des hasards, mon amour, j'aimerais qu'un jour nous nous photographions ensemble.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    49967 4832e34b8ef74d58bc32

    bartleby

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