L'ordre pyramidal

Jean Marc Kerviche

Un passage du livre « L’amant de lady Chatterley »...

Un passage du livre « L'amant de lady Chatterley » m'a fait beaucoup réfléchir sur l'idée que peut se faire certains d'entre nous sur les hiérarchies sociales, ou comment s'articulent les pouvoirs dans ce bas monde.

Extrait du Chapitre XIII. A quelques lignes du début :

Discussion pendant une promenade entre Clifford sur une voiture pour handicapé et Constance.
- … Le problème de la propriété est devenue maintenant un problème religieux, la question n'est pas prends ce que tu possèdes et donnes-le aux pauvres, mais sers toi de ce que tu possèdes pour donner du travail aux pauvres, c'est le seul moyen de nourrir toutes les bouches et de vêtir tous les corps. Donnez ce qu'on possède équivaut à la famine pour les pauvres aussi bien que pour nous et la famine universelle n'est un bien pour personne.
- Et l'inégalité ? Hasarda-t-elle
- C'est le destin ! Pourquoi Jupiter est une plus grande planète que Neptune ? Vous ne pouvez pas changer la structure des choses !...
Il s'arrête un moment puis reprend. 
- Votre situation implique des responsabilités et c'est lâcheté de ne point vouloir l'assumer. Le destin vous a choisie et vous devez vous y tenir…
S'ensuit une discussion sur le sort des ouvriers, sur leurs libertés, leur éducation quelque médiocre qu'elle puisse être, les conditions sanitaires où ils vivent, leurs livres, leurs musiques, tout est passé en revue et leurs mérites si tant est que les ouvriers en soient pourvus…
- Et qui leur a donné tout ça ? Serait-ce eux-mêmes qui se le sont donné ?
La discussion tourne court Clifford arguant sur le romantisme de son épouse pour justifier ses réactions qualifiées de "maladies à évanouissements et langueur".
- Ce n'est pas étonnant que les ouvriers vous haïssent. Dit-elle
- Ils ne me haïssent pas et ne vous trompez pas, ce ne sont pas des hommes dans le sens que vous donnez à ce mot. Ce sont des animaux que vous ne comprenez pas et que vous ne pourrez jamais comprendre. Ne prêtez pas vos illusions aux autres. Les masses ont toujours été les mêmes, et le seront toujours. Les esclaves de Néron ne différaient certainement pas de nos mineurs ou des ouvriers de chez Ford… Ce sont des masses, et on ne les change pas. Un individu peut émerger des masses mais ce fait exceptionnel ne change rien. On ne peut pas changer les masses. C'est là un fait important de la science sociale. Panem et circences ! (du pain et des jeux). L'éducation moderne n'est qu'un mauvais succédané du cirque. Ce qui nous perd aujourd'hui, c'est que nous avons fait de larges coupures dans la partie cirque du programme et empoisonné nos masses avec un peu d'éducation… Et ce qu'il nous faut saisir maintenant ce sont les fouets et non les sabres. Les masses ont été gouvernées depuis le commencement des âges et jusqu'à la fin des âges il faudra qu'elles le soient. C'est une plaisanterie hypocrite de dire qu'elles peuvent se gouverner elles-mêmes…
A ce moment précis la discussion s'oriente sur l'incapacité qu'a Clifford à gouverner plus tard son domaine et ses avoirs compte tenu d'un état de santé lui occasionnant une stérilité.
- Et donnez-moi un fils et il saura prendre sa part après moi !
- Mais il ne sera pas votre vrai fils, il n'appartiendrait pas à votre classe dirigeante, ou peut-être pas bégaya-t-elle.
- Je ne me préoccupe pas de ce que peut être le père, pourvu que ce soit un homme normal, doué d'une intelligence normale. Donnez-moi le fils de n'importe quel homme sain normalement intelligent et j'en ferai un Chatterley parfaitement capable de tenir sa place. Ce qui compte ce n'est pas l'homme qui nous a engendré mais la place que le destin nous donne. Placez un enfant quelconque dans les classes dirigeantes et il deviendra pour autant qu'il en sera capable un maitre, placez des enfants de rois ou de ducs dans les masses et ils deviendront de petits plébéiens, des produits de la masse. C'est l'influence irrésistible du milieu… Tout le reste n'est qu'illusion romantique... Ce qui compte c'est la fonction pour laquelle vous êtes élevé, à laquelle vous êtes adapté, ce ne sont pas les individus qui forme les classes sociales, c'est la fonction à laquelle vous êtes appelé que vous soyez aristocrate ou élément de la masse… Nous avons tous besoin de nous remplir le ventre, mais dès qu'il s'agit du fonctionnement expressif ou exécutif il y a un gouffre entre les classes dirigeantes et les classes servantes. Les deux fonctions sont opposées et c'est la fonction qui détermine l'individu…

Je vous laisse à vos réflexions
….

  • très justes citations, bravo

    · Il y a presque 8 ans ·
    Cavalier

    menestrel75

    • Tous les jours je me pose des questions sur le pourquoi des choses, pourquoi s'articulent-elles ainsi et pas autrement.
      Un exemple parmi d'autres : Pourquoi le communisme qui est au demeurant une idée généreuse est vouée à l'échec dès qu'il arrive au pouvoir. Je pense que c'est une utopie romantique parce que les hommes qui le portent ne font que remplacer ceux qui le combattaient quand ces derniers étaient eux-mêmes au pouvoir.
      Cela s'est vu dans tous les pays qui sont parvenus à l'établir. On ne construit rien sur le sable en faisant table rase du passé.
      Et autre exemple : Pourquoi les hommes tergiversent-ils la plupart de temps pour des riens alors qu'ils acceptent souvent leur mort pour prix d'un sacrifice ?

      · Il y a presque 8 ans ·
      Rerefaite d%c3%a9finie

      Jean Marc Kerviche

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