Louve

Christian Lemoine

Depuis le perron ouvert à l'ouest, les cariatides statiques geignent dans le silence de ne pouvoir simplement se tendre la main. L'étendue blanche s'étire sous le soleil hésitant, dormeuse alanguie dans l'encoignure de sa nuit. Cette neige précoce a tissé les draps jusqu'à s'épancher sur les arbres les plus tendres. La ligne de front tranche noire contre les allées inventées d'un gravier liquide et engourdi, s'agenouillant sous les obscurités bleuies des branchages. L'immobile de l'air froid suggère des tremblements de brises timides. Il s'est emmitouflé pour errer du regard sur les contours brouillés du parc, l'immense case blanche de son échiquier cerné de toutes parts d'un assaut de pions noirs revenus de défaite. Il n'engagera pas la prétention de ses pantoufles contre la frappe cuisante du gel. Il se contente de la dérive du regard, courant à droite, à gauche, sautant du flou lointain à la frise blanche du premier plan, grâce déposée contre les pieds des statues. Cachée dans sa vallée boisée, la demeure nargue les affronts du temps, les travées esthètes se plient avec soumission aux aléas du ciel ; à quelques distance, pris au piège sylvestre, le bourg ne prend essence qu'aux faibles récitations du clocher. Un angélus cristallise sur sa sonnerie des idées de gouttelettes en suspens, habillées soudain de flocons. Dans le demi-jour mangé par les éclats blancs, il devine un mouvement, une ombre, marche lente des pattes grises testant chaque pas. Portant la main en visière au-dessus de ses yeux, il observe la souplesse de l'échine, l'attention inquiète du poil, le souci alerte des oreilles dressées, suivis du tressautement de deux taches également grises. « La vallée aux loups », murmure-t-il à part lui. La louve et ses petits disparaissent sous les taillis. Il ressent plus sûrement le froid qui mord sous la robe de chambre tenue resserrée contre lui, et se rend à la voix venue de la maison, qui lui intime l'ordre de rentrer et de fermer la porte-fenêtre.
  • Qui sait combien de temps encore nous resterons sans la compagnie des loups. Ils reconquièrent le territoire.

    · Il y a presque 5 ans ·
    Voeux 2019 1

    Christian Lemoine

  • Je rêve parfois de me trouver nez à nez avec ce superbe animal. Impossible bien sûr dans ma région de Seine et Marne. Une rencontre magique pourtant un matin d'hiver, un renard, à quelques centimètres seulement devant moi. Deux regard étonnés se sont croisés, quelques secondes seulement...

    Superbe texte !! Pas une phrase ou les mots ne sont pas ciselés ! La nature nous enveloppe de grâce malgré le froid mordant.

    · Il y a presque 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

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