LR 179
Christian Lemoine
La grande ville étageait ses coupoles et ses toits d'or. Le soir sombrant dans les ténèbres tentait de veiller sur elle, dans une lutte insensée contre des lueurs acariâtres qui zébraient le ciel. L'incendie avait conquis la ville. D'un balcon suspendu entre deux jours critiques, l'homme contemplait le désastre qui dévorait les murs, les charpentes, comme ses ambitions. Il n'était plus question de toiser les foules avec le bras dressé célébrant le « V » de la victoire, il n'était plus question de ces étendards furibonds de couleurs éblouissantes qu'on ne verrait plus un jour arborés en fanions qu'aux yachts des nantis, il n'était plus en son esprit l'espoir de voir survivre encore son rêve hérité de la Révolution. Personne ne l'accompagnait plus dans la lente descente vers sa déchéance de monarque défait. Dans les tourbillons des fumées, dans la rage abrupte des flammes, il ne distinguait parfois que le vol erratique d'un moscovite rhinolophe, comme la danse en spirale d'une escarbille moqueuse, et il devinait le chiroptère insolent se gausser de sa chute, il l'entendait en voix off rire de sa déroute. L'animal inconscient sculptait déjà dans les fumées épaisses la débâcle d'une rivière glacée qui emporterait dans ses remous la gloire et les hommes.
Feu final.
· Il y a presque 4 ans ·yl5