LR 185

L'affiche appelait à une rencontre impromptue et minutée entre patrons et chômeurs, une de ces jobs sessions où l'on doit se vendre en dix minutes chrono. On exigeait des demandeurs qu'ils apportent avec eux leur CV, comme la clef auto-formée de la barrière qui leur livrerait passage ou les rejetterait, comme un certificat d'authenticité attribué par soi-même mais toujours contestable par une autorité indéfinie et partiale. Avant de franchir les portes vitrées automatiques, en sa tête il grava les mots magiques, les gestes qu'on lui avait enseigné pendant les jours de préparation aux entretiens d'embauche. Il avait appris comment décoder l'art hiératique du recruteur, comment argumenter sur les passages troubles de son passé pour qu'on n'y vît pas quelque aveu remanié en pseudo temps de réflexion sur soi. Lorsqu'il s'assit, le rude patron qu'il anticipait de voir était une jeune femme avenante et joyeuse. Il ne savait pas vers quelle destinée étrange elle allait l'entraîner.