LR 235

Des littérateurs bien peu scrupuleux, des scribouillards infatués, toute une ligue d'écrivaillons s'était constituée. Ceux-ci, piètres tortionnaires d'une syntaxe qu'ils méprisaient à défaut de la comprendre, avaient fomenté un coup d'éclat contre l'Académie, et levé des troupes de sbires illettrés pour prendre d'assaut le temple de la vertu dictionnairique. Une première vague de forcenés s'attaquait de front à la façade de l'édifice, avançant aux accents graves d'une sonnerie guerrière. Les sages retranchés dans une annexe sommaire, dans leur beaux habits verts tenus par agrafes et épingles, assistaient encore muets à la montée des borborygmes et des onomatopées, emplis à ce point d'exclamations que cela n'avait plus aucun sens, mais cependant se créait à ce moment la conjonction et la coordination des différents régiments. Par parenthèse, parmi les cris ressassés par la foule hypothétique dont le volume ne cessait de s'amplifier, surgissaient par instant les grossièretés de mâles alpha bêtes comme leurs pieds. Quant aux manants qui, en temps habituels n'avaient pas voix au chapitre, ils faisaient tout pour tirer à eux la couverture afin que leur avis tranche, et leur masse compacte se groupait alors vers la droite, formant un angle aigu avec le gros de la bande des assaillants. En guise de première réponse aux mots thétiques, du cortex péri-encyclopédique des vieux sages jaillit une réplique au verbe euphémique, qui cloua sur place la moitié au moins des crétins assemblés. Le plus vieux des immortels, décrivant dans le ciel une parfaite parabole, atterrit près d'un groupe de compléments subsidiaires sujets à des troubles dyslexiques. Le vieux sage prit alors la parole : « Les mots appartiennent à tous, mais nous devons en préserver l'essence, au risque sinon de l'incompréhension. Ce n'est pas l'immobilisme que nous prônons, mais un respect substantif et une certaine orthodoxie qui lui est subordonnée. Sans accords, sans consensus auxiliaire, ce n'est que chaos où tout programme erre et se dissout. » A l'écoute de cette mise au point, les révoltés se figèrent et se turent. Leurs chefs tentèrent une contre attaque au moyen de pamphlets chevauchant les poncifs, mais la troupe vacillait, déjà était prête à se rendre. Du balcon de l'Académie se mirent à tomber des pièces, des billets, des devises de toutes sortes. Evidemment, l'appât de la monnaie sonnante et trébuchante finir par avoir raison des misérables, retournés comme des palindromes. Dollars ou écus, couronnes, yens ou pesos, francs ou livres ; toute cette pluie les emporta, les détourna du mot d'ordre qui les avait rassemblés, et la folie atteignit son comble quand les pauvres hères tels un cheptel ivre, sous les yeux ébahis virent guldens et florins. Ce fut l'ultime ruée où chacun tentait de s'accaparer plus que son voisin. « Eh oui, Messieurs, dit le vieux sage revenu près de ses pairs, ainsi parfois parmi les requins une anguille met la zizanie, car ce n'est point à la ligne que l'on sait pourquoi l'être aima. » Ainsi s'acheva la guerre des langues et l'aréopage des sages pour fêter sa victoire à défaut de vodka but l'air.