Lui

Louve

Elle s'est enfin décidée à sauter le pas...


Bientôt il sera là, à l'attendre à la sortie du métro. Avant qu'il ne l'aperçoive, elle l'observera quelques secondes, cachée dans le flot des voyageurs remontant vers la lumière. Elle laissera, entre elle et lui, les toutes dernières marches, comme une barrière protectrice, pour le détailler tout à son aise.

Mais, voilà qu'à présent, elle n'était plus certaine de rien, comme si elle n'était plus en accord avec elle-même. Tout était flou dans sa tête et la panique, peu à peu, s'installait.

Ce matin, elle avait décidé, sur un coup de tête, un coup de cœur, de le rejoindre, mais, à présent, elle "dégoulinait" d'appréhension. Et pourtant, voilà qu'elle était presque arrivée "au pied du mur" et la peur courait de la racine de ses cheveux à ses pieds, qu'elle sentait soudainement lourds, en passant par le bas de ses reins. Sa bouche était sèche, sa respiration de plus en plus courte.

Quelle folie ! Qu'avait-elle fait ? Qu'avait-elle dit ? Un bref échange au téléphone : -Je viens...et sa voix chaude qu'il voulait mystérieuse, en retour : "Vous vous décidez enfin !"

Et voilà, à présent, le métro l'emmenait vers lui, happée par ce monde indifférent qui courait. Où couraient-ils ainsi tous ? A leur perte...? Ils ne pouvaient deviner l'orage qui passait en elle, la faisait trembler, la liquéfiait littéralement, comme elle ignorait ce qui les faisait sourire ou ce qui les tracassait intérieurement.

Et s'il ne l'attendait pas, tout là-haut, à l'air libre, en haut des marches. Si, d'un seul coup, il avait eu la même peur au ventre qu'elle, s'il avait fui ? C'était vrai, après tout, ils se connaissaient sans se connaître vraiment. Juste quelques mots échangés au hasard d'une rencontre chez des amis communs. Quelques banalités, mais leurs regards s'accrochaient, se cherchaient déjà. Les "06" échangés, et puis des conversations de plus en plus régulières, à l'autre bout du fil. A la fois, si près et si loin  l'un de l'autre. Des jeux de mots, des rêves fous, peu à peu, tissés. De sa part à elle, du moins. Toute une histoire qu'elle s'inventait, se brodait. Lui, restait lucide, et jouait avec elle, comme le chat avec la souris, avant de la croquer ou de la laisser pantelante, vidée de toute sève.

Elle voulait le revoir, lui, était plus réticent, hésitant. et elle, continuait à se faire "des châteaux en Espagne", qu'il alimentait d'ailleurs, le rusé. Un jour "Oui", un jour : "Non", et puis, sans qu'elle s'y attende, le déclic : "Venez, vous n'êtes pas si loin, après tout!" La faisait-il encore "marcher", une fois de plus ? Elle allait bientôt être fixée !

Mais à présent, que le dénouement approchait, elle avait une folle envie de se sauver dans l'autre sens, elle priait pour qu'il ne soit pas au rendez-vous.

Que lui dirait-elle ? Quels seraient ses premiers mots ? Et les siens ? Quelle idiote elle faisait ! L'on aurait dit une jeune fille en fleur à son premier rendez-vous. Mais l'amour n'était -il pas ainsi ? Un miracle toujours renouvelé. Et puis, il pouvait rendre bête, paralyser. Oui, mais pour lui, c'était spécial, déroutant...et ces frémissement dans son ventre, tout son être, lorsque le téléphone sonnait. Communiquer des jours et des jours, sans plus jamais se rencontrer, s'approcher. Seulement, pour elle, se repasser en boucle cette rencontre si fortuite.

Mais cette voix envoûtante, toutes ces folies échangées. Lui, serein, elle, bien cachée derrière le récepteur. Il ne la voyait pas rougir parfois, lorsque ses mots, à lui, devenaient crus, osés, mais il le pressentait, le savourait, elle le savait. Elle était comme ensorcelée tant il était prolixe et doué...voir un rien machiavélique.

Et, à cette heure, cette crainte de lui déplaire. Un autre regard sur elle depuis tous ces mois passés. Le charme allait-il être rompu, pour lui, comme pour elle...?


Il n'est pas là, il ne l'attend pas ! soulagement, déception se mêlent... E puis soudain, le désir fou de le voir s'approcher, de s'élancer dans ses bras...elle va attendre cinq, dix minutes...non, ce n'est pas la peine, elle a décidément trop rêvé ! Déjà, elle se retourne pour s'engouffrer dans la bouche sombre et malodorante, ses rêves tout cassés.

"Vous partez déjà ?"

Il était là, grand, décontracté, les mains dans les poches de son pardessus gris, le regard brillant, un brin amusé, derrière ses lunettes. Il était tel qu'elle se l'était remémoré depuis tout ce temps.

"Venez, allons boire un café "

"Oui....................

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