Luminescent

ttr-telling

Thème imposé : La magie

Passage en terre Eïdrée - jour 27

- "Si je peux me fier aux lunes, il doit être aux alentours de la mi-nuit. Il faut qu'on accélère le pas." Je rabattis mon capuchon pour me protéger du froid grandissant.

Il nous restait plusieurs lieues à parcourir avant d'arriver au camp, et il fallait absolument l'atteindre avant l'aube. Le sable ralentissait dramatiquement notre allure, et ce champ infini de dunes rendait la progression lente et surtout difficile à ressentir. Nous n'avions que les étoiles pour nous repérer. Une chance que le ciel fut dégagé.

- "Si tu peux t'y fier? t'es en train de me dire que si ca se trouve on fait fausse route?"

La voix grave d'Einhard claquait dans le calme du désert. Sans être encore essoufflé, il souffrait lui aussi de la marche sur ce sol mouvant.

- "Tu veux que je te relaye pour porter le sac?" J'espérais que cette pique à peine voilée lui redonnerai un peu d'énergie.

Il cracha par terre avant de répondre en grognant.

- "Cesse tes âneries fillette. Contente toi de nous guider."

Nous continuâmes notre lente progression dans le silence, marquant de temps à autres de courtes pauses pour vérifier notre direction. L'immensité du désert semblait irréelle.

Alors que nous arrivions au sommet d'une nouvelle dune, Einhard me saisi le poignet, et me fit signe de m'arrêter sans faire de bruit. Au bout de quelques secondes immobile, à tendre l'oreille, je fini par l'entendre. Un très léger crépitement dans l'air.

- "Le bouclier doit être à peine à quelques mètres. Leur campement doit surement se trouver derrière cette dune." Einhard chuchotait, en scrutant l'espace derrière moi, à la recherche d'une déformation. "Là, regarde, ces trois étoiles." Il pointa le doigt vers le ciel.

Les trois étoiles en question semblaient anodines au premier regard, mais en s'y attardant, on pouvait remarquer que l'une des trois disparaissait par intermittence.

- "Bien vu. Je m'en occupe." Je pris de la poudre d'Orion dans une de mes sacoches, et entrepris de dessiner le glyphe de Nya sur ma paume. Une fois le glyphe terminé, je pris une longue inspiration, les yeux fermés. L'air crépita un instant autour de moi.

- "Putain, je m'y ferai jamais..." jura Einhard dans mon dos.

- "Shaï E'Nya." Je rouvris les yeux, et pu voir distinctement le dôme de protection. Il devait faire presque un quart de lieue de diamètre. Il semblait onduler en surface, comme un liquide agité. "Rapproche toi, il va falloir qu'on passe en même temps." Je lui tendis la main tandis qu'il soufflait dans son écharpe.

Il hésita un instant en arrivant à ma hauteur, puis me pris la main avec un grognement. Il grimaça lors du contact, comme à chaque fois. Nous avançâmes alors droit vers le dôme, ma paume glyphée en avant.

Un craquement sourd fusa lorsque ma paume atteignit le dôme, le désagrégeant sur une portion de la taille d'une porte cochère. Nous nous faufilâmes au travers, avant qu'il ne se reforme derrière nous.

- "Y'a rien à faire, quand tes yeux luisent comme ça j'ai toujours les jetons" fit-il en étant parcouru d'un frisson.

Je reportais mon attention en contrebas. Comme prévu, un petit camp se tenait dans le creux des dunes. Je comptais quatre tentes, et cinq mules. Je balayais le reste de l'espace du regard.

- "C'est quand même bizarre qu'il n'y ai aucune vigie... Ils ont beau avoir un Lumineux, ils savent que leur dôme n'est pas sans faille...

- Je suis d'accord. Pas de précipitation." Il pris en main sa dague et se mis à descendre la dune à pas de loup.

Alors que nous nous approchions du camp, un sentiment désagréable grandissait. Quelque chose clochait. Einhard le sentait aussi. Je me tournais vers lui, et il hocha la tête d'un air entendu, avant de s'avancer plus près du camp après avoir déposé son sac à mes pieds. Les mules étaient comme figées. Même endormies, elles n'auraient pas pu être aussi immobiles. Einhard se rapprochait furtivement des tentes, l'arme au poing, l'oreille tendue. Au bout de quelques secondes qui parurent interminables, il fini par jeter un œil à l'intérieur de l'une d'elles. Je le vis se crisper, avant de se déplacer vers la deuxième tente.

Il procéda de même, en attendant quelques instants pour s'assurer que personne ne l'attendait le pied levé à l'intérieur, avant de jeter un œil. Il recommença une troisième fois, puis une quatrième fois. Après la quatrième tente, je le vis scruter la pénombre autour du camp. Je restais moi-même prête à réagir au moindre mouvement, mais rien ne semblait perturber le calme nocturne.

Il fini par revenir, toujours sur ses gardes. En arrivant à ma hauteur, je vis ses traits crispés. Il avait peur.

- "Quelqu'un est passé avant nous. Et pas un cave. Y'a dix cadavres là bas. Tous surinés net, mais y'a pas de sang."

Je le fixais, sans comprendre.

- "Comment ça "y'a pas de sang" ?

- Y'a pas de sang. Ils ont la gorge ouverte, tous les dix, mais ils sont raides comme des piquets, et y'a pas de sang. Ils sont figés." Il fit un signe vers les mules "Comme les bestiaux".

La chair de poule commença à s'étendre sur mon corps.

- "Et le Calice?"

Il secoua la tête

- "Aucune trace."

Mon sang se figea alors que je sentis une onde me traverser, qui semblait venir de derrière Einhard.

Je fus trop lente.

- "COURS !"

Je me retournais pour fuir, laissant par instinct une parcelle de Lueur gagner mes jambes. Einhard, que l'expérience avait habitué aux situations d'urgences, ne pris pas la peine de regarder derrière lui. Il ramassa le sac d'un geste vif avant de me talonner.

Nous fumes trop lents.

Un claquement assourdissant digne d'un éclair d'orage se répercuta contre les dunes, avant qu'un flot de sable s'envole à quatre pieds de nous dans une explosion bleutée. Le choc nous envoya valser en avant. Einhard réussit à se relever presque aussitôt grâce à une roulade digne des meilleurs acrobates, tandis que je m'écrasais la tête la première dans le sable. Il me redressa d'une main en passant à ma hauteur, et nous reprîmes notre course alors qu'une nouvelle détonation claquait derrière nous. Le sort fut moins précis cette fois, et l'explosion fut suffisamment loin de nous pour ne pas gêner notre fuite.

Après presque vingt secondes sans nouveau signe d'incantation hostile, et alors que le sommet de la dune était à peine à quelques mètres de nous, l'incompréhension grandit avec l'inquiétude.

- "Tu crois... qu'il est... à court... de Lueur?" Einhard avait lâché sa question en essayant de conserver son souffle, grandement amoindri par la course dans le sable. Je n'avais pas son endurance, et préférais ne pas répondre tout de suite.Mais bien que l'hypothèse soit possible, vu que c'était probablement le même Lumineux qui avait figé le campement, il était tout de même peu probable qu'il soit déjà à sec, au vu des incantations dont il était capable.

Je vis soudain Einhard se figer. Nous étions presque au sommet. Et je compris enfin pourquoi mon inquiétude n'avait fait que croitre à mesure que nous approchions de ce qui semblait être notre salut.

Il était là, planté au sommet de la dune. Ses yeux verts iridescents, ses cheveux que même la nuit n'empêchait pas de rougeoyer, sa stature princière et hautaine. J'étais paralysée.

Einhard laissa tomber le sac de ses épaules, et se mis en position, campé sur ses jambes, la dague levée.

- "Tu dois vivre Liv." Il m'avait balancé ces mots sans se retourner, de sa voix grave et calme, comme s'il me souhaitait bonne nuit. Puis il bondit en avant, rapide et silencieux comme une panthère.

Je fus trop lente.

Un nouveau craquement sonore. Un nouvel éclair.

Ce fut la dernière fois que je vis Einhard.


TTR.

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