MA FEMME EST UNE COUGAR

franck75

                                                                                                                                                              Ma femme est une cougar

   Jusqu’à ces derniers mois, je me croyais le plus heureux des hommes.

   Deux beaux enfants, un bon job, un bel appartement, une épouse merveilleuse, Aurélie, qui partageait mon bonheur depuis près de vingt ans : oui, vraiment, je me disais parfois en me pinçant que la vie m’avait gâté.

   Bien sûr le temps avait passé et la fougue des premières années avait laissé la place dans notre couple à quelque chose de plus routinier, plus tranquille ; de moins physique aussi, ce qui ne gênait en rien, me semblait-il, notre belle entente. Jusqu’à cette conversation, début janvier, dans la chambre à coucher. J’allais faire la bise à ma femme pour lui souhaiter une bonne nuit quand celle-ci me tint à peu près ce discours :

   - Ah oui, Franck, je voulais te dire, ça me trotte dans la tête depuis quelque temps… Voilà, je m’ennuie un peu dans notre couple, je veux dire sexuellement, alors j’ai pensé que je pourrais peut-être aller voir ailleurs…

   - Aurélie et moi sommes très complices. Lorsqu’on a quelque chose à se dire, on se le dit simplement, sans détours, et cette habitude de transparence, même sur les sujets les plus intimes, est une des raisons à mon avis de la solidité de notre union. Cette idée d’adultère, néanmoins, me troublait un peu.

   - Mais… Aurélie, tu crois vraiment que c’est indispensable ? Si tu veux, on peut essayer de faire l’amour un peu plus souvent…

   Aurélie leva les yeux au ciel en souriant.

   - Tu ne me comprends pas, Franck, j’ai envie de nouveauté, d’excitation, j’ai besoin de m’éclater. Après tout je n’ai que quarante-trois ans…

   Me voyant silencieux, Aurélie me prit la main tendrement.

   - D’ailleurs, Franck, je t’encourage à faire la même chose. Il n’y a pas de raison que je sois la seule à m’amuser. Qu’est-ce que tu en penses ?

   Je lui répondis machinalement que j’étais d’accord, oui oui, d’accord aussi pour me chercher des aventures… Au fond de moi, je me demandais surtout si Aurélie parlait sérieusement, si elle ne cherchait pas seulement à taquiner ma virilité. Je n’eus pas à me poser la question bien longtemps. Une semaine plus tard, je la vis rentrer à la maison et s’affaler dans le canapé du salon en poussant un grand waouh !... La raison ? Elle venait, m’annonça-t-elle, de passer deux heures avec un homme dans un studio. Un vrai feu d’artifice ! Ça lui avait rappelé nos amours étudiantes dans cette chambre de bonne, est-ce que je m’en souvenais ?

   - Mais… il sort d’où, ce type ? demandai-je agacé. C’est un collègue de travail ? le mari de ta copine Agnès qui saute sur tout ce qui bouge ?

   Je n’y étais pas du tout. L’amant de ma femme était en fac de lettres, il avait 22 ans. 22 ans ! Il lui avait souri dans la rue, ils avaient pris un verre, et hop, direction la piste aux étoiles…

   - J’ai un succès avec les jeunes, tu n’imagines pas. Avant-hier, j’ai oublié de t’en parler, c’est un garçon de café qui m’a draguée. Pas un intellectuel, tu vois, mais le genre costaud… J’ai rendez-vous avec lui demain soir. Je lui ai promis de passer une guêpière, tu sais, la guêpière que tu m’as offerte pour mes trente-deux ans…

   Et toi, tu en es où ? Tu as fait des rencontres ?

   Secoué, je me laissai tomber à mon tour dans le canapé et bredouillai :

   - Euh, ben écoute, pour le moment je n’ai pas vraiment cherché, mais je vais m’y mettre…

   - Ne perds pas de temps, mon chéri, me glissa-t-elle en écrasant ses lèvres sur ma joue, tu verras, c’est génial…

   Sans grande conviction, quelques jours plus tard, j’allai
traîner square Dupleix, là où autrefois nous avions coutume de promener les enfants en poussette. À l’époque, je m’en souvenais, une jolie baby sitter m’avait souri avec insistance et j’avais détourné la tête. Quinze ans plus tard, je me hasardai à m’asseoir près d’une fille qui lui ressemblait beaucoup. Je l’abordai en évoquant cette marmaille joyeuse qui s’égayait dans le bac à sable et elle me répondit poliment. Puis je risquai un compliment sur son beau visage, “ tout droit, disais-je, sorti de la Renaissance ”. Sans même me regarder, elle se leva, prit ses affaires et changea de banc.

   Le soir même, je ne sais pourquoi, je me mis entièrement nu devant le miroir de la salle de bains. Je crois que je ne m’étais pas vu ainsi depuis dix ans au moins, et j’en fus horrifié. Si dans ma tête, j’avais toujours trente ans, mon corps, lui, accusait sans fard mon âge réel : dos voûté, peau flasque, ventre tombant, un excès de poids de dix kilos au moins… C’était atroce.

   - Alors, mon chéri, la journée a été bonne ?

   Aurélie rayonnait dans sa nuisette. Elle aussi, j’avais l’impression de la regarder pour la première fois depuis bien longtemps. Elle était magnifique. Mince, alerte, la peau laiteuse, le cheveu brillant, elle avait de quoi en remontrer aux gamines de vingt ans…

   - Écoute, pas terrible, non.

   - Ah bon ? Parce que moi ça n’arrête pas… Encore trois touches aujourd’hui ! Tiens, tu ne devineras jamais où j’ai passé la pause déjeuner de ce midi… Dans le petit hôtel, tu sais, qu’on avait habité quelques jours en attendant d’emménager. Rien n’y a changé. Enfin je veux dire, à part celui qui me tenait dans ses bras… Oui, un jeune type. D’ailleurs, c’est marrant, tu lui ressemblais au même âge. Comme quoi je ne me suis pas trompé en te choisissant…

   Le constat était clair : Aurélie était désirable, elle le prouvait tous les jours,
quand moi je ne l’étais plus. Ce fut comme un électrochoc. Mon amour-propre ne pouvait rester sans réagir. Et je fus heureux de vérifier que ma force de réaction, au moins, avait de beaux restes. Dans la même journée, je m’inscrivis dans une salle de sports, décidai d’un régime alimentaire drastique, et passai deux heures - un record pour moi - rue du commerce, pour renouveler mon vestiaire. Bon sang de bon sang, on allait voir ce qu’on allait voir !

   Un mois plus tard, je me jugeai fin prêt pour faire la chasse au beau sexe.
Bien sûr, je démarrai modestement. Ma première conquête fut une quinquagénaire libidineuse rencontrée au Franprix. Puis, lentement mais sûrement, je montai en gamme. Ce fut le tour d’une quadragénaire un peu rondelette que j’abordai au café Pierrot, et qui, après une demi-heure me conduisit chez elle. Après quoi se succédèrent une assez jolie brune de trente-huit ans, un rien vulgaire, une jeune mère de famille dépressive mais pas dépourvue de charme, et enfin une pharmacienne de trente ans tout juste, vraiment jolie, elle, bien dans sa peau et qui semblait vouloir s’attacher à moi. Mais je ne comptais pas m’arrêter en si bon chemin…

   - Alors, me demandait régulièrement ma femme, tu en es où ?

   Je ne lui cachai rien de mes aventures, pas plus qu’elle ne me dissimulait les siennes. Notre rivalité, car c’était bien le mot, allait bon train.

   - Ça fait plus que s’arranger, ma chérie, je me sens littéralement revivre… Tous ces corps, ces parfums, il n’y a pas de plus grand plaisir sur terre que de faire l’amour avec une femme. Et toi ?

   - Oh moi, c’est toujours pareil, des jeunes types n’arrêtent pas de me courtiser… C’est pas croyable.

   Après une dizaine de conquêtes en trois mois, je pouvais m’estimer satisfait,
mais je ne voulais pas perdre de vue mon seul et unique objectif : coucher avec une jolie fille de 20 ans. Elle verrait bien, ma cougar de femme, qu’elle n’était pas la seule à plaire à la jeunesse…
C’est ainsi que samedi dernier, je suis retourné square Dupleix. Je ne comptais bien sûr pas revoir la baby sitter de l’autre fois, mais c’est ce qui se produisit pourtant. Elle était là sur son banc, à la même place. J’étais plus mince, mieux habillé, et plus à l’aise sans doute du fait de mes récents succès, mais de là à ne pas me reconnaître…  D’elle-même elle se tourna vers moi et nous engageâmes la conversation. Un peu plus tard, je lui donnai rendez-vous pour le soir même dans un bar. Et le reste suivit, comme une lettre à la poste.

   - Tu ne vas pas me croire, annonçai-je à ma femme au retour de mes turpitudes. Je viens de coucher avec une fille, tiens-toi bien, elle vient d’avoir dix-neuf ans… Jolie, intelligente, sensuelle, elle me plaît terriblement.

   Ma femme avait un air étrangement soucieux.

   - Et… tu comptes la revoir ?

   - Ben, oui, je suppose, à mon âge, une occasion comme ça, on ne la laisse pas filer…

   Un silence s’ensuivit. Puis Aurélie reprit la parole :

   - Franck, il faut que je te dise. Toutes mes histoires de mecs, c’est bidon. C’était seulement pour te réveiller, pour te rappeler que tu as une femme pas trop moche à tes côtés, et que ce serait bien de t’en occuper un peu plus. Mais maintenant je vois bien que je suis allée trop loin, je m’en veux de cette mauvaise idée…

   Aucune nouvelle, évidemment, ne pouvait me faire plus plaisir. Et cette nuit-là, pour fêter la fin de notre petit jeu cruel, ma femme et moi fîmes l’amour comme si c’était la première ou la dernière fois.

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