Ma fille

Aujourd'hui, ma fille chérie prête serment à Paris, au Palais, épitoge herminée par-dessus son épaule fine.

Des années d'études sans un ratage ni un rattrapage.

Elle est droite mon chouchou d'amour, debout dans ses escarpins, bien campée sur ses longues jambes, drapée dans sa robe noire.

Son regard vert et or se plante dans le vôtre, franc, direct, avec une pointe de rire et tant de douceur au fond.

Elle possède ce teint pâle et lumineux des êtres éclairés, que le soleil poudre aux beaux jours de minuscules points dorés.

Longtemps chanteuse à la maitrise de l'Opéra, sa voix de soprano égaye la maison depuis qu'elle est née. Enfant je la surnommait mon rossignol, ma petite fille toujours très gaie, spontanée, câline et bien décidée.

Elle a toujours eu un caractère bien trempé et un verbe vif. Je me souviens de toutes ces fois où les nounous en firent les frais, dont une qu'elle avait enfermée dehors, fermant la porte à double tour, refusant de la laisser entrer au prétexte qu'elle était méchante avec elle et son petit frère, m'assurant du haut de ses cinq printemps qu'elle était bien capable de s'occuper d'eux en attendant mon retour.

Mais ce que j'aime chez elle par-dessus tout est sa loyauté infaillible et son sens inné de la justice.

Le jour où une prof lui dit que sa vie ne devait pas être facile avec une mère comme moi, sous entendu une excentrique bohème brocanteur, une campagnarde d'une banlieue terne distillant des fragrances de térébenthine à la sortie du collège, une cancéreuse ayant l'outrecuidance d'être forte en gueule et de rouler dans un break de manouche kaki, ma fille chérie ne céda pas un pouce de terrain avant de lui dire qu'elle n'échangerait sa mère pour aucune autre.

Et quand une autre fois une de ses camarades de classe se scarifia en disant qu'elle voulait se jeter par la fenêtre, c'est encore ma fille qui sonna le tocsin pour sauver son amie, s'insurgeant et argumentant sans relâche, défendant sa cause sans fléchir auprès d'adultes pantouflards et lâches.

Alors je ne doute pas un instant qu'elle fera merveille dans les prétoires. La justice est son affaire.

Que j'en ai de la chance d'avoir cette fille là, forte, équilibrée, aimante, généreuse, belle et rayonnante comme un matin de mai. Combien il lui en a fallu de courage, d'énergie, de travail et de persévérance pour en arriver là...avec une mère comme moi.

Combien je t'aime ma Chérie!