Ma maison

divina-bonitas

Pensée

C'était un W.E de pâques il y a des lustres. Je n'aurais pas dû être là. Comme si le hasard existait, tout cela partit d'une histoire de train parti sous mon nez. C'est parce que j'ai raté le dernier TGV que j'atterris ici.


Je franchis la porte de bois chocolat patinée par le temps et découvris la cour. Un houx gigantesque, un buis tordu, un platane omnipotent, un frêne pleureur aux allures baroques, un antique rosier accroché à sa cage rouillée, une rangée d'hortensias bleus.


En face la maison ou plutôt ce qu'il en restait: une façade décrépite, un toit cabossé, des volets défraichis, un escalier asymétrique, quelques rambardes tarabiscotées. Il m'avait prévenu qu'il n'y avait pas vraiment de chambres, juste un lit étroit pour des séjours rustiques, des sanitaires au sous-sol.


Je compris en entrant. Des pièces multiples et exiguës juxtaposées se succédaient sans ordre logique, sans aucune commodité. Il fallait contourner celle-ci, franchir cette porte ci pour accéder là, descendre trois marches et emprunter un escalier vermoulu pour atteindre le même niveau de l'autre côté du premier mur. Invraisemblable dédale, étrange labyrinthe resté dans son jus depuis le décès des ancêtres: moutardes et confitures dans leurs pots collants trônant sur des étagères branlantes, incroyables tapisseries vintage côtoyant des cavaliers à cheval, tomettes contre moquette élimée, poêles à charbon ou à gaz, cheminées barbouillées, plafonds grisâtres, trumeaux extravagants peints d'un mauvais goût assuré. Le grenier acheva de m'enchanter: meubles, poussières et araignées s'y mêlaient dans un fatras indescriptible du sol au plafond. En haut de ces échafaudages précaires, des bassines de zinc recueillaient l'eau de pluie. Aucune fenêtre digne de ce nom mais des planches de bois piquées aux vers poussées contre les petites embrasures et calées par des branches. Là, un atelier de photo perché en haut d'une tour. Des objectifs poussiéreux dans une niche, des boites de plaques de verre, des papiers partout écrits d'une plume fine.


Le jardin était à l'unisson: à droite des rangs de poireaux émergeaient entre des rosiers sarmenteux, quelques carottes nouvelles pointaient leur fanes à l'ombre de forsythias, un massif de pivoines tendait ses corolles roses, de part et d'autre un verger chétif se partageait une friche herbeuse. La fontaine profonde de plus de deux mètres arborait un grillage sinistre pour éviter les accidents.


Je ne sais toujours pas ce qui m'attira tant dans cette ruine: le charme désuet des vieilles pierres, mon amour des araignées et papillons, mon ascendant bélier prompt à l'action et aux chantiers d'envergure, le souffle d'un ancêtre archéologue, mon attirance pour les causes désespérées et les chefs d'œuvre en péril, ma frustration de ne pas avoir été architecte, mon côté bohème fantaisiste aimant d'emblée ce qui n'est pas ordinaire, mais cela fait 28 ans que je me félicite chaque jour d'avoir entrepris ce sauvetage et ne cesse d'y œuvrer sans relâche, dessinant des plans, remaniant les jardins, plantant ici et là, redressant tel mur, enduisant un autre...


Aujourd'hui j'écris tandis qu'un bourdon tourbillonne au-dessus du PC, que les roses entrent dans mon bureau, toutes fragrances exhalées, que les abeilles bourdonnent dans le rosier liane, que les oiseaux piaillent en haut du frêne, des pins et des cèdres, du tilleul et des saules dans un charmant concert. Demain c'est décidé, cet endroit encore inexploré sera un jardin à l'anglaise et le vieux hangar va recouvrer des accents asiatiques grâce à quelques vieilles planches et un décor fleuri.


Je crois que c'est la maison qui m'a choisie et non l'inverse. Elle avait dû flairer mon âme de bâtisseur de l'extrême et d'amoureuse de nature. Combien d'émotions ressenties au quotidien en y vivant, en la rénovant, combien de surprises et de bonheurs renouvelés, de ressources engendrées. Un pas dans le jardin, une rose humée, une cerise attrapée, un regard sur le pré et c'est la sérénité assurée.




  • Quel joli texte qui reflète bien l'atmosphère de cette "bicoque" adorable. J'aime les vieilles maisons, elles ont une âme. Elles nous comprennent comme nous les comprenons !

    · Il y a presque 6 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Oui, je trouve aussi. J'ai beaucoup de mal de ce fait avec les maisons contemporaines du style carrées blanches béton métal...l'impression désagréable d'être dans un frigo aseptisé.

      · Il y a presque 6 ans ·
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      divina-bonitas

  • je viens de relire... Quelle belle façon de comprendre le monde ! Je crois que vous et moi fuyons les mêmes traquenards : les éviers surjavelisés, les barrières en plastic pour-empêcher-les-enfants-de-tomber, les écrans plats, les stores (en plastic) au fenêtres...

    · Il y a presque 6 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

    • Oui je le crois aussi; je déteste les produits chimiques et la javel, les huisseries en PVC, fuis la domotique, ai laissé mes enfants descendre les marches des escaliers...ils sont intelligents et ne sont jamais tombés d'ailleurs. Une de mes pires expériences fut de passer une nuit dans un appartement avec des stores électriques...impression d'être dans une boîte et de suffoquer.

      · Il y a presque 6 ans ·
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      divina-bonitas

  • oui... je partage ! Le matin, tres tôt, (vers 6 h) l'allée de tilleuls bourdonne déjà... Les abeilles sont fidèles malgré les orages !

    · Il y a presque 6 ans ·
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    Gabriel Meunier

    • Merci Gabriel! Oui le matin c'est le meilleur du jardin...

      · Il y a presque 6 ans ·
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      divina-bonitas

    • Cette maison doit être très belle...

      · Il y a presque 6 ans ·
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      Gabriel Meunier

    • Oui je le crois aussi...elle possède un charme très romantique, sans doute un peu désuet. Elle choisit ses visiteurs: certains tombent immédiatement sous son charme et d'autres fuient...

      · Il y a presque 6 ans ·
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      divina-bonitas

    • l'eau à la bouche ! une petite photo ?

      · Il y a presque 6 ans ·
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      Gabriel Meunier

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