Ma soeur.

chachalou

La Pudeur qu'on incarne.

Bonjour ou Salut. 

" Vous" ou "tu" ? Je vais faire comme si tu me comprenais et que je pouvais te parler. Comme si t'étais là et pas perdue en Suisse dans un Bled paumé. Parce qu'au final, c'est vrai, tu ne sais pas l'ensemble de mes pensées mais seulement un dixième de ce que toujours, j'ai montré. 

Femme dure, forte et fatale parfois, qui fait passer son plus jeune avant elle et s'oublie constamment. C'était comme si tes batailles à toi étaient toutes les mêmes que moi. Comme si mes désirs et mes peines au final, t'appartenaient aussi. Comme si toi, avec pudeur et distance, tu me comprenais. 

Alors je n'ose le dire, le dépeindre ou l'exprimer mais j'ai bien envie pour la seule et unique fois de ma vie, de le poser sur papier. Tu me manques et tu m'as toujours manqué. J'ai longtemps désiré me le cacher, ne pas le voir et refuser de le comprendre. Je comblai ton absence auprès de mes amies, toutes et constamment plus âgées. Je m'accrochai à ma cousine militaire et faisait d'elle mon plus grand modèle. Je m'attachai à des femmes solides et fortes. Fortes têtes, douceurs exemplaires et vies fracassées par certains côtés... Femmes qui ne le montrent pas mais dégagent tant de pudeur, de volonté et de dynamisme. 

Oui, je n'ai jamais avoué à quel point toi aussi, tu me me manquai. Tu m'as manqué lorsque je voyais des filles maquillées à douze ans me faire des histoires. Tu m'as manqué lorsque dans le sport, l'on me traitait de garçon manqué. Tu m'as manqué quand j'écrivais et quand je dessinais mon auto-portrait avec dix ans de plus. Tu m'as manqué le soir tard lorsque je voulais être consoler. Oui, terriblement, par moments ou étapes dans ma vie, tu m'as manqué. 

Mes pensées pourtant à ton sujet sont très loin d'atteindre mon esprit conscient. J'ai bien trop de retenue et de pudeur sur le thème. Grande soeur, c'est étrange pour celle que je suis, moi-même l'aînée de ma propre famille. C'est étonnant même le respect que je te porte et la tenue que j'ai en en parlant de toi. C'est admirable, je dirais. Inconcevable. Je suis choquée, ébranlée. Secouée de l'intérieur pour cette culpabilité que je me porte, d'avoir sans cesse et trop souvent nié. 

J'ai nié ce manque, cette perte, cette affection. J'ai fermé les yeux et j'ai pris bien des passions à bras le corps. Excellente, adorée, femme trop aimée, idolâtrée... oui, je l'ai été. J'ai été bien traitée par mes paires, respectée de mes proches et amies. Mais en moi, ce Vide incessant portait trois prénoms, le même nom et ces trois silhouettes, je les gueulai le soir tard, lorsque la solitude m'attirait dans les fonds. 

Une femme m'a reproché à mots couverts de ne pas te considérer autant que Lui, notre frère. De ne pas parler de toi avec la même intensité et le même amour. De ne savoir aligner trois mots qui te prendrai en considération. Je l'ai très mal pris. De quel droit pourrait-on juger ma tenue, mes incapacités émotionnelles nombreuses ? Qui pourrait se tenir droit, ou droite, pour me reprocher de préserver un peu, ma carapace, mes défenses et celle que je suis... 

Si je ne parle pas de toi. Si je n'en fais pas tout un plat. Toute une histoire... ce n'est pas parce que je ne t'aime pas. La raison de mon silence, de cette froideur, de ce recul prit, c'est que tout est enfermé. Ce n'est pas que je ne le veux pas. C'est simplement que non, je n'y arrive pas. 

Je n'arrive pas à regarder une si belle femme et si Grande, si âgée, qui a tout pour être adorée en me disant que j'ai été privée d'une enfance à ses côtés. Je n'arrive pas à imaginer ma soeur aimant écrire ou rédiger, aimant les vêtements, les chaussures, le sport et nager dans des eaux froides ou chaudes, en été. Je n'ai pas la force de regarder en face tout ce que l'on a pas partagé et tout ce que l'on ne partagera jamais. 

Pourtant, crois-moi, il y a bien un code génétique qui s'invite souvent et me murmure que nous sommes deux soeurs similaires et que dans nos vies, tout se ressemble et s'assemble parfaitement. Il y a bien des qualités que j'ai et que je te reconnais. Il y a bien des façons d'être qui me tiennent et des mentalités porteuses que j'ai, qui t'ont toi aussi portée. Il y a bien des combats que l'on a toutes les deux menées à couvert et en silence en temps qu'aînées. Parce que quand on est la Grande, non, se plaindre n'est pas autorisée. 

Alors je sais, je vois, je comprends. Je ne me sens jamais en droit de l'exprimer, de poser des lettres sur des feuilles et faire de belles phrases et des pensées justes. Tu le sais toi, je crois, qui je suis. Une jeune femme blessée, fracassée mais qui sourit au moins autant que toi, clope au bec, qui fume parfois, en boîte de nuit tard lorsque avec les amies, il faut tout oublier. Oublier la Vie, oublier la Mort, oublier les Ennuis et s'amuser, oui. Juste rire, juste déconner, juste passer de bons moments et les magnifier. Je veux du bonheur. Et toi aussi. 

Et parce que c'est aux sortir de l'enfer que l'on tient de tels propos, je sais que tu en as bavé. Qui a la joie et qui a l'amour ne réclame pas et ne cherche pas à se protéger de la misère humaine. Celui qui possède le Tout ne part plus en quête, n'est-ce pas... 

J'ai donc envie de te dire que Notre frère a tout massacré. Que la Vie à tout détruit. Que le Monde m'a mise à terre. Que chacun dans son coin n'a fait que parler sans tenue, ni pudeur, ni respect. Mais que toi, pourtant, tu es la seule que j'ai toujours, au-delà de tous, respectée. Tu es la seule en qui j'ai encore foie. Tu es la seule en qui je crois. Tu es l'unique peut-être, résidu de ma vie, fragment de moi-même et partie de mon être. 

Au final, peut-être que tu es tout ce qu'il me reste et que ça, je ne veux pas l'exposer, le dire, en parler ou tenir des propos tendres et trop développés sur le sujet. Tu es la couche la plus profonde de mon être. Tu es le sentiment le plus pur que j'ai. Tu es bien plus qu'un frère perdu et qui ne reviendra jamais. Tu es la seule dont je n'ai jamais désiré parler, par Amour, par Pudeur et par Respect. Tu es un exemple sans avoir une seule médaille autour du coup. Tu es un modèle sans paroles ni présence réelle. Tu es discrète. Tu as l'air de n'être Rien. Mais crois-moi, tu es Tout. 

Tu es la réussite de ton frère. Tu es l'espoir de ta soeur. Tu es la modestie et la retenue. De ces femmes qui ne parlent pas beaucoup mais qui savent déjà tout. 



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