Magic Tric

My Martin

Le dessin jaune

Le jour, je me cristallise ; la nuit, je me sublime.


Jour. Le cimetière, la porte principale à deux battants. Verrouillée. A gauche, une porte étroite. Poucier, la clenche se soulève. La porte résiste puis cède.

Allée, herbe basse. Un couple, dans la partie plus récente. Un homme corpulent tient le bras d'une femme, elle peine à marcher. Elle peste, bute, les allées sont inégales. Manque d'entretien, la commune n'utilise plus de pesticides.

Le terrain travaille. Des tombes penchent. Bordures fissurées. Une tombe plus importante, un oratoire. Vitrail manquant. Désordre à l'intérieur. L'autel, des vases renversés. Des couronnes mortuaires au mur, perles de verre. Une famille noble. Sur la plaque de marbre fixée au mur, les caractères dorés sont effacés. Identité en creux.

Je reviens dans l'allée centrale. Les concessions à l'abandon sont reprises, de nouvelles tombes remplacent les vieilles sépultures. Les temps se mêlent. Ils se différencient par les prénoms qui suivent les modes. Allée de gauche. La tombe. Dalle vert moucheté, brillante.


Je sors du cimetière. A gauche, une maison haute aux trois portes identiques. Clôtures, portails séparés. Couleurs différentes, entretien dissemblable. La maison à l'extrémité droite porte une architecture décorative de bois, sous le toit en avancée du pignon. Les deux maisons mitoyennes n'ont pas conservé leur décoration, seuls les bois d'accroche subsistent.

La place, la statue de métal s'ennuie sur son sur socle maçonné. Le vieux pont fait le gros dos. Passage pour rejoindre la rive. Je longe la rivière. Je passe sous le pont moderne qui tremble sous les camions. Escalier aux marches usées. Mail ombragé puis promenade goudronnée devant les pavillons disparates, jusqu'à la chaussée caillouteuse qui mène à la station de pompage. Clôture d'un champ à la fin.


Contrefort boisé. Dans les frondaisons, un écureuil vigile gronde en alerte. Prairie, abri et abreuvoir pour les chevaux d'un centre équestre. Un héron hiératique. Le tronc d'un arbre s'est développé dans une faille verticale de la roche. Puissance rugueuse, lutte silencieuse. Une haie de chênes moussus penchés vers la prairie. Branches bras morts.

A l'extrémité du chemin, un tissu vert en tas. Jeté de lit côtelé. Les ossements épars d'un animal, si parfaitement nettoyés qu'ils semblent artificiels. Tronçon de colonne vertébrale, vertèbres aux pointes aiguilles.


A l'orée de la forêt, un banc. Feuilles mortes. Gravé sur le dossier en lettres bâton, "A la mémoire de l'artiste peintre J C, qui aimait cet endroit." Une femme, charmée par la tranquillité du lieu, s'installe dans le village. Dans sa manière habituelle, depuis des années, aucun succès. Pseudonyme, elle change de style et invente une histoire. Dans une soupente promise à la démolition, un stock de toiles est découvert. Un artiste maudit. Explosion de couleurs, formes. La vie, l'âme, le sang. Les médias s'emballent, la cote du faux inconnu s'envole.


Je reviens vers le village. L'hôtel de ville. Le magasin de journaux. Bibelots, porte-clés, tasses décorées, cartes d'anniversaire. Je prends le journal du jour dans le présentoir près de la caisse. Mots ordinaires.


Le manoir. Je n'ai rien ; du mobilier de jardin. Je vais, viens, lis le journal sans le lire.

La tombe. Le précédent propriétaire du manoir. Dettes, tempête, dégâts. Son corps dans la rivière. Au début de la chaussée rocailleuse, à l'endroit où le cours de la rivière s'incurve. Appareil photo sur la rive.


*


Nuit. Une brochure, des photos aériennes. Les cultures révèlent les traces de bâtiments antiques. Des cartes d'état-major annotées. Repérages pour de futures fouilles.

Les revues porno, j'en vole une vole de temps en temps au marchand de journaux. Livres ouverts, photos.

L'octogone. Humidité. Un seau d'eau fétide, des tampons souillés, une seringue vide. Liens de soie, nœuds festonnés, masque. Suspendu. Écartelé. Rasé. Huile. Pieds sales. Cul blanc à hauteur de mon visage. Sexe soc. La sueur âcre prend à la gorge. Le rouge à lèvres bave. Bouches fiévreuses, les langues explorent, s'enlacent en serpents.

Je reboucle ma ceinture, ma main poisse. L'atelier. Le tableau m'aspire. Carton rigide granité. Je conserve les derniers exemplaires, achetés jadis. Ils ne se vendent plus dans les magasins spécialisés.

Fond noir, traits jaunes. Piscine en sous-sol, vue latérale. Moiteur. L'eau ruisselle sur les murs. Moisissure. Le sol est glissant. Une chaise, des vêtements, une serviette. Le plongeur en l'air, horizontal, bras tendus en avant, mains jointes. Verge coudée, boules en sac fripé. Porte entrebâillée. Visage à mi-hauteur, yeux fixes.


Je m'allonge. Le lacet autour de mon cou. Nœud coulant. Sur le plancher, une demi-feuille de papier. "Magic Tric". Je serre le lien


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