Manga, ingrédients et influence du succès
Olivier C
Qui est le plus fort ? Sangoku, le super guerrier ou Naruto en mode ermite ? Le plus efficace est-il le Biakugan de Neji ou le bras canon de cobra ? Et le plus terrifiant ? Freezer, le grand pop ou Ken le survivant ?
Si vous n’y connaissez rien à la branche Shonen du manga (manga destiné aux adolescents) alors ces premières phrases vous sembleront être du chinois. Ou plutôt du japonais. Car c’est du pays du soleil levant que ces personnages naissent et prospèrent avant d’influencer plus ou moins consciemment notre vie quotidienne. Petit exposé sur les règles de base de ce phénomène.
Des ingrédients bien identifiés.
Les ingrédients sont souvent identiques : Un héros charismatique, souvent accompagné mais en réalité toujours seul face à son destin, voue son existence à un seul objectif. Cette quête qu’il n’abonnera jamais (conquérir les boules de cristal, sauver le monde, sa femme ou la princesse Athéna…etc.) sera parsemée d’embûches. Evidemment, pour assouvir ce désir monomaniaque, il devra comprendre la relativité du monde qui l’entoure. Comprendre qu’il y a toujours plus fort, plus important que lui. Le héros progressera alors en s’entrainant et en souffrant lors des combats qu’il n’a normalement aucune chance de remporter. Une abnégation guerrière largement inspirée de l’esprit « Budo » des samouraïs et du "ninpo" des ninjas. Le premier prône la recherche constante de la perfection, l’autre promeut la patience et le courage, l’endurance et la persévérance. Car une règle d’or au pays du manga est toujours vérifiée : la victoire appartient au plus respectueux des valeurs, à celui qui se sacrifie le plus sans jamais faillir à son « Nindo » (devise). Ainsi, lors de combats légendaires, (Freezer contre Sangoku, Yosuké contre Toburo, Shi riu contre le chevalier d’or du Capricorne.) le pourcentage de chance de victoire est proportionnel à l’énergie des convictions déployée par l’un ou l’autre des assaillants. « Plus j’y crois, plus t’es mort », c’est un peu le leitmotiv. Il faut donc croire en soi sans toutefois glisser dans l’arrogance et l’humiliation, deux vices qui collent aux méchants comme le bandeau sur le front de Naruto et qui les mènent toujours à leur perte.
Mais, les convictions ont une autre utilité : elles mènent souvent le héros à se surpasser et à devenir un « surhomme » cher à Nietzsche. Et généralement, cela passe par une transformation physique et mentale. Sangoku par exemple, se transforme en super guerrier et devient blond aux yeux bleus…. Une couleur de cheveux et des yeux qui pourraient inquiéter.
Exagérer les codes sans tomber dans les extrêmes.
En effet, au Japon, le nationalisme (voire le fascisme) trouve dans les mangas un terrain fertile. Ainsi, Kobayashi rencontre un franc succès avec sa série « A propos de la guerre ». Depuis plus de 10 ans, ce dessinateur utilise le ras-le-bol des japonais envers le devoir de repentance que les chinois et les coréens leur réclament au sujet de l’occupation nipponne durant la seconde guerre mondiale. Une vague nationaliste également visible dans les mangas animés. C’est la thèse que défend Philippe Ogouz, la voix française de « Hokuto No Ken », (Ken le survivant) : « Ils ont coupé. Je vais vous dire pourquoi ils ont coupé. Quand on a vu ça (Le manga original), j'ai dit à Michel Salvas (patron de la société de doublage SOFI) : moi et les autres, on arrête le doublage de Ken le Survivant (…). Nous, on veut bien le faire mais à une condition : c'est qu'au montage les choses qui sont avec des croix gammées et des insignes nazies soient enlevées. »*
Mais revenons à Sangoku. Se pourrait-il que ce héros culte soit raciste ?
Non, impossible. Pas Sangoku. Pas le porte-parole de la génération Dorothée. Courage, solidarité, abnégation, sens du devoir, tolérance, fair Play, écologie sont autant de valeurs que l’on peut lui attribuer. Bref, un type bien ce Sangoku. Alors même si la politique s’insinue parfois au manga, la transformation en surhomme, quoique interpellant, n’est pas forcement synonyme d’extrémisme mais plutôt de fantasme. Naruto lui aussi est blond aux yeux. Il est obtus, certes. Mais il représente surtout un physique atypique, un fantasme au japon. Comme ses femmes souvent martyrisées et en position de victimes ou au contraire développant des seins énormes et un caractère bien trempé. Celles-ci ne correspondent pas vraiment à la norme japonaise. Le pays du soleil levant s’inspire des codes de beautés occidentaux et les poussent à l’extrême dans les mangas. Ce n’est pas nouveau. Tex Avery sublimait déjà ces personnages féminins dans les années 40 en leur donnant des formes exagérément voluptueuses. Le Japon est influencé par l’occident. C’est certain. Mais les origines de cette influence sont troubles et la réciproque est également vraie.
Une influence partagée.
L’essor du manga en occident commence dès les années 1980. Le Club Dorothée n’est pas innocent à cette invasion et peut être considéré l’un des instigateurs du phénomène « adulescent ». A l’époque, l’achat des mangas animés se fait au poids. AB productions fait donc venir des dizaines de kilos de pellicules animés sans se soucier de l’ultra codification des japonais en la matière. Ainsi, des flots de mangas destinés à un public adolescent ou adulte se sont déversés sous les yeux de millions d’enfants les marquant à jamais. Il est vrai que le fameux « tu ne le sais pas mais tu es déjà mort. » que Ken le survivant lançait lapidairement à son ennemi avant que la tête de celui-ci n’explose dans d’immenses gerbes de sangs tranchait littéralement avec le « yabadabadou » des Pierrafeu et le rire étrange d’un Woody Wood Peker désormais has been.
Ainsi, l’engouement toujours croissant de la jeune génération pour les mangas pourrait être assimilé à une envie (Freudienne ?) de se détacher du monde édulcoré d’Hanna barbera ou de Walt Disney qu’il associe à leurs parents.
Or l’influence américaine n’est plus à démentir depuis Hiroshima. Les japonais traumatisés par little boy (la bombe lâchée sur la ville en 1945) auraient pu être écœurés par la technologie mais au contraire c’est à partir de cette date que le japon rattrape son retard technologique sur le monde pour devenir en quelques décennies la référence mondiale dans le domaine des nouvelles technologies. Les japonais ont repris les codes qui les avaient vaincus Leurs robots et innovations technologiques ont conquis le monde. Le manga calque sa progression sur celle-ci. Ce bond en avant se personnifie dans le manga par Astroboy (Tetsuwan Atomu en japonais) le premier manga de l’ère moderne. De nombreux ingénieurs avouent que leur carrière dans la robotique a été conditionnée par ce manga. Son créateur, le fameux mangaka Osamu Tezuka, évoque l’influence de Disney dans son style graphique. Le magicien d’Oz et Alice au pays des merveilles des œuvres qui s’ancrent fortement dans la culture anglo saxonne ont eu eux aussi leur version animée manga.
Le manga s’écrit même avec un grand M dans la pop culture. Ainsi, l’artiste japonais Murakami expose au château de Versailles des sculptures géantes d’inspiration manga. L’industrie cinématographique est elle aussi influencée. Certaines Majors hollywoodiennes ont fait passé l’animé japonais en blockbuster américain. C’est le cas de « Transformers », « Dragon ball évolution (très mauvais au demeurant) » ou encore « le dernier maître de l’air ». Enfin, d’autres films américains à grand succès se sont inspiré des dessins animés japonais. Avatar de James Cameron, par exemple, n’est qu’un ersatz du fabuleux « princesse Mononoké » de Miyazaki.
Vous vous dites hermétiques en réalité vous avez déjà été conquis.
* Cet extrait d’interview a été tiré du site http://hokuto.free.fr/ecrit.htm