Manuka.

ellis

Chagall. Le Paysage Bleu.

Manuka ce matin a les cheveux sauvages qu'elle a tenté de replier sous un gros turban de maille. Elle a enfilé ses baskets comme on saute dans une flaque de pluie, de l'élan au cœur pour affronter le dehors. Ce matin elle s'est levée seule et n'a réveillé personne. La petite est partie chez son père hier soir. Manuka se dit quelque part en elle que c'est une bonne chose, que la petite connaisse ce père. Elle s'accroche bien à cette idée. Elle repense aux mots de la dame de la maison des droits. Elle grandira et vous savez, ce sera dur, elle vous reprochera vos choix. Donnez-lui l'opportunité. Et puis laissez une chance à son père. Des semaines entières, une tempête sourde avait chaviré son ventre, rué entre ses côtes. Son père. Ce père, cet homme. Qu'elle avait fui à peine avait-elle su qu'elle portait la vie. Cet homme, qui l'avait tant transportée, bouleversée, fascinée, qu'elle avait suivi jusqu'au Brésil, qu'elle aurait suivi jusque dans la tombe, qu'elle aurait suivi, qu'elle aurait suivi, aveugle devenue, avide et puis abîmée, le soleil qui vous brûle les yeux. Et puis le réveil. Manuka un jour épuisée. Une dispute de trop. Une incompréhension de plus. Cet homme-soleil-furieux qui n'a pas de limite, qui l'entraîne toujours plus loin dans sa folie. Il lui fait peur, maintenant, chaque pour un peu plus. L'amour se corne sur les bords, la peur le grignote. L'aventurier est un enfant terrifié et rageur. L'aventurier donne des coups de pieds-coups de couteau dans la toile. Ce matin, on lui annonce qu'elle porte son enfant. Ce sera son échappatoire. Propulsée hors de cette course effrénée par un sentiment de responsabilité nouveau, Manuka prend le premier avion et rentre en France. Il y a 4 ans.

 

Pier a décidé de retrouver Manuka. Il est rentré une année après son départ. La colère passée, il ne guérissait pas d'elle. Manuka devait lui revenir.

Pier a appris qu'il avait une petite fille. Juni, elle s'appelle.

C'était hors de propos. Pier est sorti marcher longuement. Il n'a pas compris ce qui lui arrivait. Manuka n'était plus sa femme et Juni était sa fille. Lui, venait pour que Manuka lui soit rendue, et ne voulait pas d'un enfant.

Sommeil. Manuka Manuka. Ses yeux de forêt. Juni. Quel curieux prénom.

Longtemps Pier est resté prostré dans le vieil appartement fatigué qui l'avait attendu pendant ses années de voyages.

Puis il s'est relevé, et il a choisi de connaître Juni.

 

 

Manuka a traversé des kilomètres les yeux dans la vitre, son vieux sac à dos sur le siège d'à côté. Elle s'est débarrassée d'anciennes chaînes au fil des lacs des forêts des arbres. Manuka caresse son ventre et c'est le retour au bitume, au ventre de son enfance. Reprendre les choses là où elle les avait abandonnées. Revenir. Et renaître.

 

 

Soirée-fausse-couche. Gestes à contre-coeur. Se chanter des bêtises. Préparer le sac de Juni, ne pas oublier sa brosse à dent, ni son cahier de vie. Son bonnet et sa paire de lunettes. Et puis son doudou, surtout son doudou. Fermer le sac. Ouvrir la porte. Embrasser son enfant. Lui dire au revoir. Au revoir ma Juni-libellule. Et croiser dans un demi-éclair le regard voilé de cet homme dont elle s'était libérée, à qui elle remet son enfant pour le week-end. Elle aime bien l'histoire des légumes qui parlent, je te l'ai mise dans le sac.

Pier ne sourit pas. Il fait juste un petit « d'accord » de la tête. Il prend la main de Juni qui lève vers lui des yeux intrigués et admiratifs. Pier est grand. C'est un aventurier. Juni a de drôles d'étoiles dans les yeux. Manuka a le fond du ventre qui tremble. Elle dit juste un dernier au revoir et ferme la porte.

 

 

_ Tes yeux, on dirait la forêt, c'est drôle. Ils sont verts de noir.

_ Tu dis des bêtises.

_ Tu m'aimeras encore quand je serai un pauvre type ?

Rires

_ T'es déjà un pauvre type…

_ Tu peux rigoler Manuka, moi je te laisserai jamais partir.

 

  • Mystérieux comme un conte de fin de soirée, chaud comme une pluie d'été, beau comme un texte d'Eliis...
    Pas déçu par cet opus. Merci :-)

    · Il y a environ 7 ans ·
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    wic

    • merci, et puis merci de ta fidélité sous mes écrits, malgré ma présence irrégulière....

      · Il y a environ 7 ans ·
      248407193 78b215b423

      ellis

    • Non non... c à nous de teyt remercier pr le plaisir que procure tes écrits... ;-)
      Bonne journée par chez toi...

      · Il y a environ 7 ans ·
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      wic

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