Marceline

caiheme

Inspiré par la musique  « Parasyte - Next to you »

Marceline part à l'école en sautillant, des ressorts de fer gris aux extrémités crochetées relient ses hanches à ses genoux. Sa marche est grinçante, chacun de ses rebonds s'accompagne d'un bruit de matelas payant, d'un son de sommier usé. La petite fille suit les cases d'une marelle imaginaire, lorsqu'elle arrive au ciel elle tournoie sur elle-même. Ses chaussettes blanches entourées de souliers noirs allument les pavés. Les pierres prennent saut après saut l'éclat rosé d'une enseigne de bar, l'orange électrique d'un clignotant de voiture, le blanc immobile d'un néon de parking. Le long du trottoir, assis sur des bancs de bois usé, des visages gris entourés de barbe blanche s'émiettent doucement. L'air sucré que provoque le passage de la fillette fait s'effondrer ces statues de cendre.

La joueuse de marelle arrive à l'arrêt de bus, le véhicule est là, il l'attendait, les portes de métal s'ouvrent brutalement. Marceline monte les marches et salut le chauffeur à l'uniforme bleu. Gardant son sourire de poupée et ses yeux écarquillés le conducteur tire à lui le levier argenté et tourne la clef dans la fente violette. Les portes se referment et le bus se met à rouler, les rayons verts du soleil glissent sur la carcasse jaune scolaire. Marceline s'assoit,  elle enfonce son dos contre la laine rouge du siège. Derrière les vitres, le paysage commence à s'étirer, le bus accélère, les roues noires s'écrasent sur le moelleux bitume. Le chauffeur maintient son sourire, il change de vitesse, les engrenages de sucre s'encastrent et crépitent comme des céréales chocolatées dans un bol de lait, le bus commence à zigzaguer calmement  entre les voitures. Marceline colle son nez contre la fenêtre, le paysage urbain frotte contre la plaque transparente, le frottement chauffe le verre, des bulles aux couleurs savonnées émergent de la vitre. Marceline maintient son regard, la surface transparente clapote, la planéité tend à s'effacer. La fillette éloigne son visage, les sphères éclatent et le verre lui pique les yeux. Le bus s'étire, le chauffeur s'enfonce loin dans l'horizon en continuant de zigzaguer comme un serpent entre les différents véhicules de l'autoroute tandis que l'arrière du car scolaire s'éloigne de Marceline en choisissant son propre chemin. La musique baisse de volume pour finir par entièrement s'arrêter, le manège cesse de tourner, l'enfance de Marceline s'éteint, soixante-trois années reviennent froidement flétrir sa peau et durcir ses os. Le majordome soupire, il regarde sa vieille maîtresse millionnaire descendre de l'attraction foraine qu'elle s'est achetée ce mois-ci. La voix monotone du serviteur annonce la venue des petits enfants, Marceline grommelle quelques mots. Courbée par le temps, elle marche et s'assoit sur un fauteuil de roi au règne oublié. Le poids des années de la millionnaire écrase le foin séché qui sert de rembourrage, la poussière s'échappe et laisse voir ses particules dans le rayon de lune qui traverse le vitrail du manoir de famille. Les enfants accourent dans la grande salle en criant, chahutant et riant. Marceline observe avec envie ce présent qu'elle aime tant revivre dans ses souvenirs.

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