Masques

Christian Lemoine

On ne voyait que la douceur des traits, pas encore devenus caricatures d’eux-mêmes. La bouche un peu boudeuse, le regard triste et bouleversant, l’arrondi un peu gras de la joue duvetée. Tout était charme subtil. Nos yeux frais éclos ne savaient pas la ligne de fuite des physionomies. Nous pouvions croire les légendes, imaginer que l’horizon s’effacerait toujours devant nos marches conquérantes. Pas sur nos visages. Dépris des lumières éclatantes, déjoués des auras trompeuses, les décalages discrets ont pris le pli du dédain dans l’exploration obstinée des critiques. Les lèvres en parenthèse aigre. La joue amollie, infatuée. Les yeux bouffis. Et par hasard, dans la buée d’un pare-brise, dans un brouillard d’apprêts qui ne masque pas les ruines. Nous ne savons plus nos jeux fourbes. La joue écroulée sombrera dans l’indistinct du cou bouleversé. Le regard triste sera barbouillé dans les paupières avachies. La bouche un peu boudeuse aura cette lippe écœurante. Nos yeux intransigeants devinent sous la joliesse les acidités saillantes des débâcles futures. Ils vont jusqu’à souiller nos souvenirs, ne cachant pas que nos jeunes sultanes n’auront su s’éclipser du temps. Parfois, mêmes les vieilles photographies.
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