Matricide

Christian Lemoine

Oreste en son tourment pleurait à la vengeance sur la tombe de son père. Peut-être lui eût-il fallu de nos modernes instruments, pour chevaux à sa voix déchirée, tant était profonde sa douleur. Il vouait aux gémonies, et la mère et l'amant, comme assassinés déjà tant l'emportait dans sa colère l'envie de faire couler le sang. Que lui importait à présent l'esprit torturé de Clytemnestre, seuls il voyait sans cesse la victime exsangue et les coupables satisfaits en leur méfait terrible. Qu'importaient les vies d'Egisthe et de sa mère, qu'importait que celle-ci eût été aveuglée par l'amant déloyal. Lui, ne savait que l'homme vil ; et sa mère perdue n'était qu'une schizophrène éthiquement responsable. La clameur de son désespoir roulait sur les campagnes, comme portée par des échos rageurs, grinçante comme les vieux tourne-disques, et il appelait sa sœur Electre haut en ces falots gramophones. Il n'espérait pas que suffît l'expression criée de son désespoir, il savait qu'on n'espère jamais à raison que le fait qu'on chouine gomme la détresse. Et il se roulait au sol, déchirait sa tenue, frappait sa poitrine et griffait sa peau. Loin sur la mer pourtant, il vit que s'approchait la voile : sa chère sœur revenait, et elle serait l'appui pour sa vengeance. Les vents étaient joyeux, indifférents aux querelles des hommes. Qu'ils fussent heureux ou morfondus, pour Eole et son souffle, cela était égal. Déjà l'embarcation accostait le rivage, Oreste reconnaissait en la longue silhouette descendue sur la grève sa très aimée Electre. Il s'avisa alors de son vêtement souillé, de sa toge en lambeaux, se voyant ainsi pauvre hère ou manant, en qui sa sœur elle-même risquait de ne le reconnaître pas. Vite il alla troquer pour éviter tout quiproquo habit terreux contre plus digne vêtement, il s'arma de son glaive, et des pieds à la tête revêtit la parure des combattants : des sandales aux longs lacets, une solide gamache ou armure tibiale de même usage, des cuissardes puissantes, toute une carapace digne des combats héroïques. Enfin rejoint par sa sœur devant le tombeau d'Agamemnon, il fit le serment que sa mort ne demeurerait pas impunie.

- Electre, sœur aimée, je vais venger notre père ! dit-il en la serrant contre lui.

- Oreste..., murmura-t-elle.

- Non, non, dit-il, j'y vais.

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