Même pas une vie de chien

nat28

Projet Bradbury - Semaine 24

                J'biberonne trop. Ca plaît pas vraiment à ma blonde, mais putain, ça fait du bien. J'passe mon temps à picoler, le nez sous le tuyau. Et j'grignote aussi. Bah ouais, boire, ça donne faim, et manger, ça donne soif. Foutu mouvement perpétuel ! Quand j'déniche quelques graines à me mettre sous la dent, j'ai le droit au regard noir de la patronne. Et elle me fait la gueule. Pas grave, j'ai l'habitude de dormir à l'auberge du cul tourné. Depuis le temps... Et puis quand elle boude pas, elle me reproche de plus m'occuper d'elle ou d'avoir pris du bide. Bah ouais, j'suis plus le jeunot qu'elle a connu et qui courait dans tous les sens quand il lui montait pas dessus ! J'ai pris de l'âge, et elle aussi d'ailleurs. J'y suis pour quoi, moi, si elle me plaît plus ? J'préfère encore quand elle me cause pas, même.

 

                Et puis elle est pas irréprochable, elle non plus. Y'a qu'à voir comment elle tient notre intérieur. Y'a du bordel partout. Elle dit qu'elle peut rien y faire, n'empêche que je supporte plus tout ce bazar. Déjà que c'est petit ici... On a vite fait le tour, et puis on s'croise tout le temps. J'sors de temps en temps, mais j'vais jamais loin. Pourquoi faire ? L'herbe est pas plus verte ailleurs. Et puis tout ce blabla comme quoi faut élargir son horizon... C'est des conneries tout ça ! Même si j'voyageais un peu, pour voir, en rentrant chez moi, j'retrouverai la même merde et le même ennui. Pas la peine de se faire du mal.

 

                J'dis pas que j'ai jamais essayé. A une époque, moi aussi j'avais des espoirs et des envies d'aventure. Une fois, j'me suis carapaté, histoire d'explorer un peu mon environnement. Le bordel que ça a foutu ! Tout le monde s'est mis à me chercher, et une fois chopé, j'ai été enfermé chez moi pendant un bon bout de temps. Ca m'avait collé la peur de ma vie et ça m'avait vacciné contre l'envie de recommencer. J'ai jamais su ce qui les avait mis dans cet état là. Ils fouillaient partout en hurlant "les fils ! les fils !". J'pigeais que dalle à ce qu'ils racontaient. Quels fils ? J'en ai rien à foutre des fils, j'suis pas couturière ! Tout ça pour dire que, pour moi, bourlinguer, c'est plus d'actualité.

 

                Ma blonde, elle, elle a toujours été casanière. Faut dire qu'elle a peur de tout, et qu'elle sursaute dès qu'il y a un bruit ! Une porte qui claque, et c'est la crise d'angoisse garantie ! Elle me taper sur les nerfs... Mais j'peux pas la foutre dehors, qu'est-ce qu'elle deviendrait ? Et moi ? J'me suis habitué à elle avec le temps.  Elle serait bien fichue de me manquer si elle était plus là. Ca m'fait chier de l'reconnaître, mais c'est la vérité vraie. J'pourrais plus vivre sans elle, il me manquerait quelque chose. Même si on s'engueule, on a encore de bons moments. De temps en temps.

 

                Et puis quand j'sens que j'suis à deux doigts de péter les plombs, j'sais qu'il me reste la course. Ca peut paraître con, mais galoper jusqu'à ce que j'm'écroule de fatigue, c'est le seul truc qui me vide la tête. Ca peut m'prendre n'importe quand, j'maîtrise pas, le jour, la nuit... Surtout la nuit, quand j'arrive pas à pioncer. toutes les nuits en fait. Ma rombière, ça la dérange pas. Ca la rassure, presque, elle sait que j'suis là. Parce qu'on va pas bien loin quand on coure dans une roue.

 

                Le "colocataire" apprécie moins mon barouf nocturne. Quand il a le courage de se lever, il vient taper sur les barreaux de la cage pour me sortir de ma roue. Putain de bipède ! Mais bon, j'fais semblant de pas comprendre, et j'mets à courir plus vite, ça fait grincer l'axe et ça l'agace encore plus. Si j'ai bien compris toute l'histoire, c'est lui qui a insisté pour avoir un rongeur. Et les autres, les plus grands, ils ont dit oui pour lui faire plaisir. Et ils nous ont installé dans la chambre du plus petit, ma blonde et moi. Au début, il était tout content, et nous aussi, c'était plus drôle d'être là que dans l'animalerie. Sauf que très vite, nettoyer la cage et nous filer à bouffer, ça l'avait gonflé, le "colocataire". Les grands s'y collaient à tour de rôle, en grognant la plupart du temps. Folle ambiance.

 

                Malgré tout, j'ai jamais regretté l'animalerie. Les néons, le bruit, les gosses qui essayent de nous choper dans la cage bondée... Merci bien, mais c'est pas la joie. J'suis pas fan des barreaux, mais finalement, la cage, on s'y fait vite. La déco est correcte, et l'approvisionnement en eau et en graines assez régulier. J'essaye de voir le bon côté des choses. Parce que si j'réfléchis vraiment... Dans la maison, ils ont aussi un épagneul breton. Un autre "animal de compagnie", comme ils nous appelle tous les trois. Sauf que le clebs, lui, il a son panier bien confortable, il passe ses journées tranquille dans le jardin et il va se balader matin et soir dans le quartier ! Il sort un peu de ses quatre murs de malheur, et ils l'enferment pas, lui. Il a même un nom ! Ma blonde et moi, on change de blaze au gré des humeurs du "colocataire"...

 

                Hamster, c'est pas une vie. Même pas une vie de chien.

 

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