Mémoires, pages 26 à 28 / 312

Dominique Capo

Mémoires personnelles

Puis, je me suis résigné à reprendre le cours de mes lectures habituelles. Un pincement au cœur, je me suis replongé dans les textes de la Bibliothèque Rose, de la Bibliothèque Verte, etc. Pourtant, désormais, je leur trouvais moins de saveur. Je les sondais avec moins de ferveur et de passion. Quelque part dans mon esprit, dissimulé dans les profondeurs de mon âme, s'inscrivait en lettres d'or et d'argent la Chronique de cette période ahurissante où « le Sorcier de la Montagne de Feu » s'est imposé à moi ; où il a été mon unique horizon.

Ce n'est que quelques mois plus tard – quatre, six, huit ? -, alors que j'avais totalement occulté cet intermède onirique de ma mémoire que le hasard a une fois encore frappé. Ou est-ce le Destin ? Qui peux vraiment savoir ?

En enfant obéissant que j'étais, j'accompagnais régulièrement ma famille au supermarché le plus proche de chez nous quand nous avions besoin de nous ravitailler en nourriture. Ce n'était pas un exercice auquel je me suis prêté avec plaisir. Comme tout enfant de mon age, j'aurai préféré rester à la maison, à visionner un film à la télévision grâce au magnétoscope que nous possédions. J'aurai préféré me retirer dans ma chambre, parmi mes milliers – dizaines de milliers ? - de Legos, à poursuivre l'édification de tel vaisseau spatial ou de telle cité intergalactique. J'aurai préféré me divertir sur mon ordinateur, à disséquer des logiciels de « Basic », le langage informatique commun à tous les terminaux. Ou encore, j'aurai préféré m'adonner aux joies procurées par l'une des premières consoles vidéos qui nous paraîtrait bien ridicule aujourd'hui. Mais, que ce soient les balbutiements de l'ère informatique ou des périphériques ludiques, j'y étais à l'aise comme un poisson dans l'eau. J'y ai passé des matinées et des après-midi entiers a essayer de décortiquer leurs méandres.

Bref, suivre ma mère et mes grands-parents dans une grande surface était loin de me satisfaire. Quant à mon père, une fois de plus, pour ce genre de corvée domestique, il réussissait toujours à se défiler. Il avait toujours une occupation plus importante ou plus urgente.

Entretenir le jardin aux beaux jours appartenait à celles-ci ; et Dieu sait qu'il demandait beaucoup de travail entre les parterres de légumes aux proportions titanesques qu'il y a installé. Mon père avait la manie de planter des rangées entières de fraisiers, de haricots verts, d'épinards, etc, alors que nous étions que cinq. De fait, lorsqu'il les récoltait, c'était parfois par dizaines de kilos. Je me rappellerais toute ma vie de ces étés successifs où nous avons été obligé de manger ces produits à chaque repas et à toutes les sauces. Pour ma part, jusqu'à en faire une overdose de certains d'entre eux. Combien d'années m'a t'il fallu pour réapprendre à apprécier haricots verts, fraises ou melons, entre autres ? Plusieurs années pour certains ; pour d'autres, comme les radis ou les melons, dès que j'en vois, ils me provoquent presque des crises d'urticaire.

Durant la mauvaise saison, par contre, il continuait à rénover les diverses pièces de notre habitation qui en avaient bigrement besoin. Car les travaux y abondaient, les chantiers y ont été permanents et rarement terminés. Et malgré le fait que mon père était doué dans ce domaine – comme dans bien d'autres -, il s'éparpillait et ne leur permettait d'évoluer que très lentement. Cela lui a donc régulièrement servi d'excuse pour ne pas aider ma mère dans ses taches ménagères le Samedi ou le Dimanche. Il s'y isolait et y investissait toute son énergie. Lorsqu'il estimait qu'il avait assez donné de sa personne, qu'il était épuisé, ou plus généralement au terme de nos repas de la mi-journée, il s'allongeait sur le divan du salon. Il se plongeait dans l'un des centaines de films de sa vidéothèque. Et, généralement, au bout de moins d'une demi-heure, il s'endormait l'écran de télévision allumé.

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