Mémorial

Christian Lemoine

La rumeur des marées lance quelques échos flous, comme des voix voilées d’embruns joyeux. Mais le flux qui remonte la grève masque les litanies, les étouffe, les renvoie dans des limbes d’où elles ne devraient pas sortir. Dans l’éclat du rouleau rabattu, des brillances cristallines s’épousent, et dansent sur le gémissement des goémons alourdis de mémoire. Longues chaînes décolonisées, poignets, chevilles, cous enferrés. Il faut aller plus loin. Les crissements ensablés du rivage ne suffisent pas. Il faut aller plus loin. Braver les tempêtes parfois, supporter les bonasses encalminées, subir la matraque des soleils. Alors peut-être, quelque part en dessous, dans la noirceur des profondeurs, pourra s’exhaler la complainte, celle que portent vers la surface de longues chevelures vertes emperlées de bulles d’air. Ici, ce sont d’autres poèmes gravés, d’autres stances scandées, des runes de longtemps déchiffrées sans mystère, mais est-on bien sûr de leurs chroniques. Les murs en racontent la fin, les fortunes, les hasards, et leur notoriété de sacrifiés. Les yeux passent. Les regards glissent. Ils ne voient plus les inventaires macabres. Ceux-ci ne sont plus qu’anecdotes dérisoires jetées et digérées au milieu les arguties minérales. Et pourtant, c’est encore exister, même réduit en item anodin d’une liste ; c’est encore s’exposer à la lumière, tandis que du fond des mers ne s’accomplit pas la théorie des anonymes.
Signaler ce texte