Merry-go-Wound -chapitre onzième

Juliet

-Je ne veux plus entendre parler de cet enfant.

La maison a beau être spacieuse, elle semble toujours aussi agitée et empreinte d'un relent d'angoisse fluctuant dans chacune des pièces et imprégnant chaque parcelle des murs. Au sous-sol, au-dessous même de ses pieds immobiles, des cris sourds retentissent et attaquent son cœur.
Il a peur. Dissimulé derrière l'infime entrebâillement de la porte, Uke demeure figé, son souffle chaud haletant. Il porte la main à sa bouche pour ne pas se faire entendre. Il sent qu'il est sur le point de craquer. Son cœur bat trop vite, ses yeux sont secs, sa gorge est nouée, mais il reste derrière la porte, rongé par l'inquiétude. En dessous, toujours, les cris continuent sans cesse mais sont étouffés dès leur naissance. Asphyxiés par le confinement forcé, par l'enfermement cruel de celui qui les pousse. Dans le garage, ses cris déchirants ne semblent être plus que des murmures sans force.

-Il rend la vie impossible à la famille.
-Mais, chérie...
-Je sais ce que tu vas répéter. Comprends-moi. Je n'en peux plus de vivre ainsi. Toi, tu travailles toute la journée, tu ne rentres que tard le soir, et tu ne peux pas te rendre compte de ce qu'est ce quotidien avec un enfant pareil. Le soir, il est souvent si épuisé par ses crises de démence qu'il n'a même plus la force d'émettre un son. À ces moments-là il reste silencieux et inerte comme un attardé mental, c'est à peine s'il remarque notre présence. Il se contente de s'enfermer dans sa chambre et voilà tout. Mais le jour, sais-tu ce que c'est le jour ?!
-C'est notre fils, tu ne peux pas parler comme ça de...
-Et c'est parce qu'il est notre fils que nous ne pouvons tolérer ça. Ce garçon est un malade mental. Tu ne le réalises pas ? Il devrait aller en hôpital psychiatrique immédiatement !
-Hôpital psychiatrique ? Et pourquoi pas l'asile ! Takanori n'est pas fou, il est seulement atteint de...
-Tu n'es qu'un égoïste ! Ah, toi, tu mènes la belle vie au boulot ! Je te mets au défi de supporter ce gosse une seule semaine et tu verras quelle souffrance j'endure chaque jour ! Et Uke, tu as pensé à Uke ?! Lui qui a tant besoin de notre attention, lui qui est si gentil, sage, intelligent mais qui a eu le malheur de tomber malade... Nous devrions nous consacrer à lui et parce que Takanori est là, nous ne pouvons même pas offrir à notre fils les soins et l'attention qu'il mérite et dont il a tant besoin !
-Tu insinues qu'il faudrait abandonner Takanori, c'est ça ?
-L'abandonner ?! Mais le soigner ! Il faut le soigner sinon notre vie, celle d'Uke et la sienne même seront un Enfer ! Parce que Takanori souffre aussi, je le pense !
-Je suis heureux que tu comprennes au moins cette évidence.
-Tu te moques de moi ? Écoute, nous devons l'amener... loin d'ici. Dans un endroit où l'on saura traiter ses tares, et...
-Tares ?! Tu oses nommer ses crises des tares ?!
-Je te défends de me hurler dessus ! Décidément, tu ne comprends rien !
-Tu parles de ton propre fils comme s'il était un monstre !
-Mais il en est un !

Des bruits de porcelaine brisée se sont fait entendre. À travers l'entrebâillement, Uke a aperçu des débris de verre. Et les sanglots de sa mère lui parvenaient, recouvrant les cris avortés venant du sous-sol.
-Si cela continue ainsi, Seichirô, je partirai ! Oui, je partirai dans ma ville natale et j'amènerai Uke avec moi ! Je retournerai chez mes parents et je me trouverai un métier pour ensuite pouvoir élever Uke seule ! Là-bas, au moins, il aura l'attention qu'il lui faut ! Mes parents pourront prendre soin de lui lorsque je serai prise par mon travail ! Il respirera un air pur ! Il ne subira plus les crises incessantes de son satané frère ! Ça ne peut plus continuer, je suis en train de devenir aussi folle que lui, ne le vois-tu pas ?! On dépense inutilement une somme colossale d'argent pour Takanori, essayant de lui trouver des soins qui puissent avoir de l'effet sur lui, mais rien ! Et pendant ce temps-là, nous ne nous occupons même pas de la maladie d'Uke !
-Tu sais bien que nous ne pouvons rien faire pour Uke.
-Alors tu préfères laisser ton fils mourir pour ce monstre de Takanori ?!
-Je ne délaisse ni l'un, ni l'autre ! J'aime mes deux fils et bien que je sois rarement présent à cause de mon travail, je veux pouvoir leur offrir toutes les chances possibles !
-Takanori est un cas désespéré ! Il est atteint de la folie jusqu'au plus profond de lui, elle l'a pourri, cet enfant n'est plus mon fils, je ne peux plus le voir !


Derrière les larmes inextinguibles d'Uke, les morceaux de porcelaine n'étaient devenus plus que de floues taches blanche. Il a entendu un claquement sec, le cri de sa mère et elle s'est laissée tomber à genoux au milieu des débris, en pleurs.
-Seichirô... tu oses ?! Tu oses me frapper, moi ! Tu ne te rends pas compte de tout ce que j'ai fait, des efforts inhumains que j'ai déployés pour cette... chose ! Tout ce que tu as fait, c'est fuir en avant ! Alors si tu l'aimes tant, si tu tiens tant à ce monstre irrécupérable de Takanori, prends-le ! Je te le laisse bien volontiers ! Moi, je pars avec Uke !
-Avec une mère si indigne, je doute qu'Uke puisse être heureux, fait la voix grave et douloureuse de son père.

Uke n'entend plus rien, à présent. Ou plutôt, les pleurs et les paroles tranchantes de sa mère, les protestations de son père, le vent qui souffle et font vibrer les vitres, les tambourinements enragés de la femme contre le sol, rien, plus rien d'autre n'existe à présent que les échos réprimés des hurlements de souffrance de Takanori.
Uke veut le voir. Il le veut tant, la pensée de son frère le hante tellement qu'il ne se rend même pas compte qu'il est purement en train de s'étouffer par le poids de ses sanglots. Derrière le rideau de larmes, tout est brouillé, indistinct. Le corps avachi de sa mère sur le sol, il est finalement heureux de ne plus le voir. Lui ne peut pas se retenir de pleurer, ses larmes coulent toutes seules, évacuant superficiellement toute la tristesse, l'angoisse, la peur, la détresse et la rancœur qui le rongent.
Finalement, s'il doit mourir, c'est bien s'il ne doit plus entendre des choses pareilles.
Mais dans le fond, Uke ne veut pas mourir. Il ne le veut pas, parce que cela signifierait confier Takanori à deux êtres incapables de lui apporter ce dont il a le plus besoin...
Sa tête tourne. Des élancements aiguisés traversent son crâne de parts et d'autres. Il enfoui sa tête entre ses bras, grimaçant de douleur, et se laisse effondrer le long du mur.
Son oreille contre le sol, les hurlements de son frère lui semblent encore plus douloureux.
 
 
 
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-Uke ?! Uke, qu'est-ce que tu fais là ?!
Des mains fermes le secouent avec retenue, sans violence. Une voix grave et douce, presque caressante, lui parvient du fond de sa conscience endormie.
-Uke, réveille-toi je t'en prie.
Il voudrait ouvrir les yeux, pourtant il n'en a pas la force. Il a peur de ce qu'il pourrait voir en les ouvrant.
-Maman... murmure-t-il faiblement. Où est Maman ?
Il y a eu un silence marqué d'hésitation et d'inquiétude. À la fin, son père a fini par déclarer maladroitement :
-Elle est partie.
-Elle... ne va pas m'amener ?
-Non, je ne l'ai pas laissée faire mais... Elle reviendra, tu sais. Elle part juste chez ses parents pour se reposer et réfléchir dans le calme, comme elle l'a dit.
-Papa, Takanori... Il...
-Oui ?
Uke sent les bras forts et sécurisant de son père le soulever et le tenir fermement contre lui. Les yeux clos, il se laisse bercer par ce parfum masculin si familier, cet effluve par lequel il aimait s'enivrer lorsque, enfant, il jouait dans les bras de son père.
-Takanori, Papa... Il hurle. Je veux voir Takanori... Si Maman est partie, on peut le sortir du garage, Papa, Takanori ne peut pas subir ça, Maman n'a pas le droit...
-Je le sais, Uke. Pardon d'être si faible, pardon d'être si absent. Ne t'inquiète pas, Takanori dort à présent dans sa chambre.
-Je veux le voir...
-Non. Il dort, tu sais bien que lorsqu'on le réveille, il peut devenir violent.
-C'est faux ! s'étrangle Kai dont le visage lisse s'assombrit du froncement de la colère. Takanori ne me frappe jamais, moi, il ne m'a jamais frappé. C'est parce que vous ne savez même pas y faire... Surtout Maman, elle se plaint mais c'est de sa faute, elle est toujours agressive et cruelle avec lui, elle le frappe et le traite comme s'il était un animal enragé... Takanori est angoissé et terrorisé, il se défend comme il le peut. Moi, je ne le menace pas, je ne l'accuse pas. Je veux voir Takanori, Papa, laisse-moi le voir...

À travers ses paupières closes, ses larmes coulent à nouveau sur ses joues, creusant de petits lits de rivière salée. Il sent la main de son père se perdre dans ses cheveux, et le menton de l'homme s'appuyer contre son crâne.
Uke n'est pas très sûr, mais il lui semble entendre les reniflements chagrinés de son père.
-D'accord, alors. Va le voir, mais fais attention, c'est compris ?
-...Papa ?
-Oui, Uke.
-Je dirai à Maman... que je n'accepterai jamais de vivre avec elle. Si elle renie Takanori alors, je lui dirai que moi, je ne souhaite que rester avec lui, toujours, jusqu'à ma mort.

Il n'a pas pu le retenir. Il ne l'avait même pas senti venir, il n'en avait pas pleine conscience. Uke a laissé échappé un infini cri de douleur qu'il a étouffé contre la poitrine chaude de son père, déversant toutes les larmes de son chagrin contre lui.
Mourir. Pourquoi cela devait-il arriver si tôt ? Pourquoi la fatalité l'avait choisi, lui, et le forçait à se séparer de son frère ? Pourquoi, alors qu'il lui avait juré de le protéger, pourquoi devait-il abandonner Takanori ?
Et parce que les cris de douleur et les larmes de chagrin ne pouvaient pas lui apporter de réponse, Uke s'est silencieusement détaché de l'étreinte de son père et s'est lentement avancé vers la chambre de Takanori.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


Par-delà son état de conscience engourdie, encore plongé dans un sommeil semi présent, Takanori a laissé échapper un soupir de bien-être. Inconsciemment, un sourire discret et radieux s'est dessiné sur ses lèvres, et son corps a remué, légèrement, se renfonçant un peu plus contre cette douceur chaleureuse qui l'enveloppait.
Ah, la félicité d'une étreinte qui ne vous veut que du bien... Il s'est dit au fond de lui qu'il pourrait dormir pour l'éternité si seulement cette douceur-là pouvait ne jamais le quitter. Il s'est senti envahi d'un vif sentiment de reconnaissance et de volupté. D'un geste impulsif, il a sorti son bras de sous le drap et l'a passé autour de ce corps tiède et sécurisant qui se trouvait contre lui.
Il a dû serrer son bras un peu fort, dans son élan d'affection, parce que le corps contre lui s'est mis à remuer et un soupir ensommeillé est parvenu à ses oreilles. Takanori a gardé les yeux clos, nullement perturbé, puis a senti une main chaude se poser contre sa nuque avant de commencer à titiller des mèches de ses cheveux.
Un frisson parcourt son corps, par un réflexe irrépressible il replie ses jambes contre lui. Ces doigts qui se perdent dans ses cheveux le chatouillent, et au bout d'un moment, Takanori n'y tenant plus, laisse échapper un rire.
-Arrête ça, s'il te plaît, U...
Ses mots se bloquent dans sa gorge quand il ouvre les yeux. Le visage de Reita lui fait face, souriant. Takanori laisse échapper un petit cri de surprise et d'un bond se redresse, se cogne accidentellement contre le mur, et, remarque avec stupéfaction qu'il est torse nu. D'un geste maladroit il saisit le drap pour s'en recouvrir. Reita le regarde faire, effaré.
-Qu'est-ce que tu as ?
-Reita ? Qu'est-ce que tu fais ici ?
-Qu'est-ce que je fais ici ? répète l'homme ahuri.
Dans un rire nerveux il s'étire -dévoilant par-là même à Takanori que lui aussi est à moitié dévêtu- avant d'ajouter :
-Je te signale que c'est chez moi, ici.
-Mais... qu'est-ce que tu fais dans mon lit ?
-Ton lit ? Ah, Takanori, tu es devenu amnésique durant ton sommeil ? Ce lit est le mien, tu sais. Enfin, c'est toi qui hier soir m'as supplié de te laisser dormir avec moi parce que tu te sentais mal... Tu ne te souviens pas ?
-Chez toi... a répété Takanori.
Déglutissant, il a balayé la pièce de son regard paniqué.
-Je suis chez toi...
-Oui, Takanori. Tu habites chez moi maintenant. Tu es revenu, tu ne te souviens pas de ça non plus ?

Reita se redresse et le dévisage, mi-intrigué, mi-soucieux. Takanori fuit sont regard, sentant la sueur froide perler le long de sa nuque.
-J'ai cru que... j'ai cru... Ah, pardon...

Sous sa poitrine, il sent son cœur se serrer subitement et d'un seul coup les larmes affluent dans les yeux écarquillés de Takanori. Il porte ses mains à sa bouche comme pour étouffer des cris qu'il sent naître en lui. Comme Reita le dévisage avec incompréhension et contrition, il secoue vivement la tête, le visage décomposé par une douleur intérieure.
-Pardon, Reita, ce n'est pas ce que tu crois, seulement j'avais cru, l'espace d'un instant que... Ah, j'étais mal réveillé, excuse-moi je t'en prie.

C'est au tour de Reita de secouer la tête, et les yeux qu'il pose avec douceur sur Takanori sont empreints d'une infinie tristesse.
-Non, ne t'excuse pas. Je ne peux pas t'en vouloir.
-Parce que tu m'étreignais comme ça... Ça m'a rappelé des souvenirs. Alors quand j'ai ouvert les yeux et suis revenu à la réalité...
Mais il n'a pas pu finir sa phrase, parce que la main de Suzuki Reita s'était doucement posée contre sa bouche. Il a levé vers lui des yeux brillants.
-Ne dis rien. Si j'ai fait cela, c'est parce que je le savais. Tu sais... Kai me l'avait dit. Qu'il avait l'habitude de te caresser les cheveux lorsqu'il dormait avec toi. Il m'avait dit que cela t'apaisait après certaines crises... Pardon, je n'aurais peut-être pas dû, je l'admets. Comme je te voyais dormir contre moi je me suis souvenu de cela, alors... Non, ne pleure pas.
-Je ne pleure pas, Reita, hoquette Takanori. Pardonne-moi, je suis si idiot... Après tout ce temps, je ne suis même pas capable d'oublier.
-Parce que le temps n'efface rien, Ruki. Surtout pas l'amour que l'on ressent pour une personne.
Takanori a planté dans le regard de Reita ses yeux larmoyants et interrogateurs.
-Tu l'aimes encore ? Reita, tu es toujours amoureux de mon frère ?

C'était étrange, la manière dont Reita a regardé Takanori à ce moment-là. Il était agenouillé sur le lit, présentant son torse nu et finement sculpté, et dévisageait Takanori comme si à l'intérieur de lui il avait aperçu quelque chose, une chose infime qui, profondément enfouie, avait attisé sa curiosité. Cela mettait Takanori quelque peu mal à l'aise, mais à la fin Suzuki Reita a détourné le regard, gêné, avant d'émettre un rire nerveux.
-Il est mort il y a huit ans, alors...
-Mais tu viens toi-même de dire que le temps n'efface pas l'amour.
-Oui, je pense ce que j'ai dit, a répondu Reita d'un ton ferme.
Il gardait toujours son regard sombre rivé vers le mur à côté pour ne pas avoir à supporter les yeux inquisiteurs du jeune homme.
-Mais si le temps ne le peut pas, peut-être que quelque chose d'autre le peut.
-Qu'est-ce que tu veux dire ? s'enquit Takanori, de plus en plus troublé.

Reita a semblé hésiter un long instant ; les traits de son visage étaient tendus, ses yeux dans le vague, et il a murmuré comme à lui-même :
-Je serais sans doute encore amoureux de lui si... Bien, je l'étais encore il n'y a pas si longtemps.
-C'est... C'est à cause de moi si tu ne l'aimes plus ? fait Takanori d'une voix tremblante qui recelait toute sa culpabilité. Tu lui en veux de t'avoir infligé le fardeau que je suis, pas vrai ?
À ces mots, Reita a reporté son regard sur Takanori. Un regard qui ne contenait plus aucune tristesse ni mélancolie. C'était simplement un regard profond dans lequel scintillait un éclat de douceur et de bienveillance.
Reita a ri, à la fois amusé et attendri.
-À cause de toi ? Non, Takanori. Bien que je tienne encore infiniment à lui, je ne dirais pas que c'est à cause de toi si je ne suis plus amoureux de Kai. Disons que... c'est plutôt grâce à toi.

Cette fois, c'est Reita qui a trouvé la situation étrange et troublante. Étrange que Takanori le fixe de ces grands yeux interloqués et perdus, comme s'il ne comprenait pas. Il demeurait là, abasourdi, silencieux, attendant une explication de Reita. Mais il n'y eut pas d'explication. Décidément, que Takanori ne comprenne pas, cela paraissait invraisemblable à Reita.
Pourtant, ça l'a quand même fait rire, sur le coup.
Dans un élan de tendresse il a attiré le jeune homme contre lui.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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-Où est-ce qu'il est, dites ? Monsieur le Professeur ! Vous savez où est-ce qu'il est, Tôru Nishimura ?
-Veuillez rester concentrés durant le cours je vous prie, de plus cela ne vous regarde pas.
-Qu'est-ce qu'il est rabat-joie, ce prof...
-Uke, ce n'est pas parce que vous êtes arrivé premier aux derniers examens que vous devez vous permettre de parler ainsi en pensant que je ne vous entends pas.
-C'est parce que je savais que vous m'entendiez que je l'ai dit, Monsieur.
-Petit insolent ! Tu me feras trois exercices supplémentaires pour demain !
-C'est compris... Ah, la poisse ce cours. Et Tôru...
-Eh, Uke, tu n'es pas au courant ?
-Quoi ?
-Ce matin, Tôru a été aperçu devant le lycée. Il paraît qu'il avait un cocard énorme à l'œil.
-Qui est-ce qui t'a dit ça ?
-Ce sont des garçons de terminale.
-Notre aîné ? Tôru ? Ah, c'est vrai qu'il se bat souvent... Jusqu'ici, il a toujours gagné pourtant. Moi, je le plains.
-Non, il ne s'est pas battu. Il y a certaines rumeurs qui circulent, à propos de son père, tu sais.
-Qu'est-ce que tu racontes ?
-Mais oui. Il y a un garçon de terminale qui habite à côté de chez lui. Eh bien, d'après ses dires, hier soir il a entendu des cris monstrueux provenant de chez Tôru. Il a assuré que son père le battait.
-Tu mens, pas vrai ?
-Moi, je te dis ce que j'ai entendu. Va savoir si ce garçon n'a pas menti. En tout cas, ça expliquerait le cocard et la raison pour laquelle Tôru n'est pas venu en classe aujourd'hui.
-Ne me dis pas ça. Si c'est la vérité, ça ne va pas cesser de me hanter.
-Quoi ? Tu es amoureux de Tôru ? Tu sais, tu ne devrais pas. Ce n'est qu'un raté. Enfin, tu sais combien de fois il a redoublé ? Sans compter qu'il a manqué deux années d'école !
-Ce que tu peux être agaçant avec tes préjugés tordus. De plus, je ne suis pas amoureux de lui. En fait, je ne lui ai presque jamais parlé. C'est juste que... Il me fait un peu de peine, parfois, je ne sais pas pourquoi...
-Les mecs, écoutez ! Y'a Uke qui fait le sensible ! Dis, Uke, t'en as pas assez de t'occuper de ton frère dément ? À dix-sept ans, tu veux aussi jouer les nounous avec Tôru ?!
-Espèce de...
-Ne les écoute pas, Uke.
-Mon frère est tout sauf fou ! J'ai le meilleur frère qui soit et j'en suis très heureux !
-Ça suffit !  Le premier que je surprends à discuter aura droit à la corvée de nettoyage de tout l'étage pour une semaine !
-Oui, Monsieur.
-Bon, en ce qui concerne Tôru...
-Uke, vous êtes de corvée pour la semaine.
-Mais, Monsieur ! Pour mon frère...
-Deux semaines.
-Oui, Monsieur.


C'était un mercredi chaud et ensoleillé. Un matin de printemps où les cerisiers laissaient timidement poindre leurs rose bourgeons aux bout de leurs branches graciles. Un matin portant à l'onirisme où les promeneurs se laissaient librement rêver sous les doux rayons du soleil. Tout simplement, l'hiver venait de prononcer son au revoir. L'on tendait les bras vers le Printemps, les écoliers saluaient l'année scolaire terminée et préparaient la nouvelle qui approchait.
À travers la fenêtre de l'hôpital, Uke n'échappait pas à la règle. Ses yeux rivaient mélancoliquement les sommets des cerisiers se dressant fièrement à l'extérieur. Pourtant, ce n'étaient pas eux qu'ils voyaient. Au-delà des pétales rosés et du ciel infini, il songeait à son frère. De la patience. Il fallait juste un tout petit peu de patience. Encore quelques minutes et il sortirait d'ici.
Il s'est éloigné de la fenêtre et est venu saisir son gilet qu'il avait posé sur un siège de la salle d'examens et a attendu. Bientôt, un homme en blouse blanche a pénétré dans la pièce.
-Désolé pour l'attente. Vos parents ne sont pas arrivés ?
-Ils ne viennent pas.
-Vraiment ? Ils viennent toujours d'habitude.
-Aujourd'hui, ils ne pouvaient pas.
-Bien sûr, cela ne me regarde pas. Tenez, ce sont les résultats. Veuillez les regarder, s'il vous plaît. Je voudrais vous entretenir là-dessus.
-Je ne peux pas rester. J'ai quelque chose d'urgent à faire.

Uke a jeté un dernier coup d'œil vers la fenêtre, a laissé planer quelques secondes son regard sans âme sur le médecin désarmé et, après un silencieux salut de la tête, il est sorti de la pièce, tenant les radios sous son bras.
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

De toute façon, les résultats, il les connaissait déjà. Il a presque été tenté de jeter les radiographies en passant devant la poubelle à l'entrée du bâtiment, mais s'est ravisé. Ses parents auraient été en colère et affolés. Il ne voulait pas ça, et puis, les résultats importaient peu. Tout ce qu'il voulait à ce moment-là, c'était voir Takanori. Retrouver son frère le plus tôt possible.
Il a accéléré le pas tout en enfilant son gilet. Une brise fraîche s'était levée sur la ville. Comme Uke avait les yeux rivés sur l'asphalte gris du trottoir, il s'est heurté de plein fouet à quelqu'un au moment où il tournait au coin de la rue.
-Je suis désolé, je ne faisais pas attention...
Il s'est immobilisé. Ses lèvres ont marmonné un enchevêtrement de mots écorchés et dénués de sens et dans sa maladresse, il a laissé tombé l'enveloppe contenant les radios. Il s'est baissé en s'excusant confusément et lorsqu'il s'est redressé, il a vu le regard sans émotion de Tôru posé sur lui.
-Qu'est-ce que c'est ?
Son ton était détaché, comme s'il se fichait éperdument de ce que cela pouvait être. Même s'il était éveillé, c'était comme si ses sens et son âme dormaient encore à l'intérieur de lui.
-Ce n'est rien, bredouilla Uke qui ne pouvait s'empêcher de regarder avec un mélange de curiosité et d'effroi l'énorme tache violacée qui s'étendait sous l'œil gauche de Tôru. Qu'est-ce que tu fais là ? Je veux dire... Cela fait longtemps que l'on ne s'est vus. L'année dernière, tu as séché les trois derniers mois de cours et...
-Je n'ai pas séché les cours, a répondu Tôru en détournant les yeux d'un air agacé. Je ne pouvais pas venir.
-Ah bon ? Pourquoi ?
-Cela ne te regarde pas, cracha le jeune homme.
-Et tu reviendras au lycée, à la rentrée ?
-Je ne sais pas, a-t-il fait dans un haussement d'épaules.
-Ah, ne te fâche pas, je m'inquiétais seulement pour toi.
-Je ne suis pas fâché, a-t-il rétorqué en le considérant avec curiosité. Pourquoi est-ce que tu t'inquiéterais pour moi ?
-À vrai dire... Je ne sais pas si j'ai raison de te le dire, mais...
-Dis-le, puisque tu as commencé. Sinon je vais croire que tu me caches des choses pas nettes.
-Non, non. Il y avait des rumeurs qui circulaient lorsque tu étais absent.
      
Uke s'est demandé s'il avait rêvé. L'espace d'un instant, le regard de Tôru lui est apparu comme voilé de tristesse.
-Je le sais, ça. Comme je me bats souvent et que je suis plus âgé que vous à cause de mes années de retard, j'ai une réputation de voyou. Je m'en moque, en réalité.
-Ce n'est pas vraiment ce qui se disait sur toi, a répondu Uke d'une voix hésitante en baissant les yeux.
-Vraiment ? a fait Tôru qui semblait retrouver toute sa vivacité comme il rivait intensément le garçon qui en fut intimidé. Et qu'est-ce qu'on dit, sur moi ?
-Tu sais... ce garçon de terminale qui est ton voisin de quartier...
-Oui. Il s'appelle Mao, je crois ?
-Je ne sais pas, mais il a raconté qu'il entendait des hurlements chez toi. Des cris d'homme et de femme.

Durant de longues secondes de supplice, il n'y eut pour réaction que les bruissements des fleurs des cerisiers sous la brise printanière. Uke tremblait malgré lui, tête baissée.
-Tu sais, a bredouillé Uke, beaucoup de gens disent que ce dénommé Mao est un menteur. Alors tu ne devrais pas te soucier de...
-Je peux te poser une question ?
Uke a relevé des yeux ronds et brillants sur Tôru qui ne laissait déceler en lui nulle trace de colère.
-Oui, bien sûr.
-C'est bien toi qui as un frère qui... cause des problèmes, c'est ça ?
   Uke a semblé chercher la réponse dans sa tête, évasif, avant de marmonner :
-À moi, il ne pose aucun problème. Le problème serait s'il n'était pas là. Beaucoup de gens le traitent de fou, ce n'est pas vrai. Il est juste malade. Il fait des efforts. Il est juste victime. J'ai l'impression que personne ne le comprend.
-Alors, tu es le seul à l'aider ?
-Non, bien sûr ! Mes parents font tout ce qu'ils peuvent pour lui.
-Mais tu l'aimes, non ?
-C'est évident que je l'aime, répondit Uke qui sentit une impression étrange et désagréable naître au creux de son ventre.
-Qu'il soit malade, ça ne t'a jamais empêché de l'aimer ?
-Non, jamais, assura Uke qui commençait à trouver le comportement de Tôru de plus en plus troublant.
Il a serré les radios contre sa poitrine, cachant par-là même son visage jusqu'à hauteur du nez comme si cela pouvait le protéger d'un quelconque danger.
-Parce que toi, tu n'es pas comme les autres.

Ce n'était ni une question, ni un reproche. Cela ressemblait simplement à un pur constat totalement assuré. Tôru avait déclaré cela du ton le plus naturel du monde, et malgré la pointe de tristesse cachée dans sa voix, les yeux qu'il posait sur Uke dévoilaient un fond d'admiration et de reconnaissance. Sans savoir dire pourquoi, Uke s'est senti très mal à l'aise.
Comme le jeune homme continuait à l'observer de ces yeux intrigants sans rien dire, Uke a fini par laisser échapper un rire teinté de nervosité :
-Ne t'inquiète pas. Comme je te l'ai dit, beaucoup de gens assurent que Mao a toujours été menteur. Cette rumeur sur toi disparaîtra très vite.
-Ça ? Pourquoi ? Mais c'est la vérité, tu sais.

Bien sûr, Uke n'a pas pu répondre. Il a gardé la tête baissée sur ses pieds comme pour se détacher de la réalité, l'enveloppe toujours collée à lui.
Une corolle de fleur de cerisier est doucement venue se déposer sur le bout de sa chaussure dans un gracieux ballet aérien.
Pourquoi est-ce qu'il ne pouvait rien dire ? À ce moment-là, le besoin de voir Takanori se fit plus fort et douloureux.
-Tu veux bien m'accompagner ?

Il est brusquement sorti de sa torpeur, écarquillant des yeux étourdis sur Tôru.
-Pardon ? Où ça ?
-À l'hôpital.

Silence.

-Bien sûr, tu n'es pas obligé d'accepter. Je suppose que tu as des choses plus intéressantes à faire, de plus je vois bien que tu en viens justement, de l'hôpital, et que ce n'est pas très drôle d'y retourner, alors si tu refuses, ce n'est pas comme si je pouvais t'en vouloir, hein.
-Pourquoi est-ce que tu me le demandes ? Je veux dire, nous ne nous sommes quasiment jamais parlés avant ça et...
-Parce que toi, tu es gentil. Je veux dire, tu l'es sans même faire semblant.

Uke gardait désespérément les yeux baissés sur le sol. Il a senti des larmes poindre au coin de ses paupières.
L'image récurrente de son frère en son esprit s'est amalgamée à celle du visage de Tôru. Il a souri, sans même s'en rendre compte.
Au bout de quelques instants de silence, il a saisi le bras de Tôru et lentement, tous les deux se sont dirigés vers le bâtiment.
 
 
 
 
 
 

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-Tu ne m'avais pas raconté tout cela... a murmuré Suzuki Reita après que le silence les eût recouverts de son fin voile blanc.
Sous les draps, blotti contre la poitrine du jeune homme, Uke a secoué la tête.
-C'est comme si jusque-là, la pudeur et la crainte m'empêchaient de le faire. Pourtant, à toi, je peux tout confier, pas vrai ?
-Tout ce que tu portes en toi comme un fardeau, tu peux me le dire.
  En guise de réponse à cette preuve d'amour, Uke a déposé un baiser contre la peau nue de son ami.
-Cela s'est passé il y a six mois. Tôru et moi avions fini par devenir amis. Finalement, c'était vrai. Qu'il était battu par son père. D'après ce qu'il me disait, lui, ce n'était rien par rapport à ce que sa mère subissait. Il m'a avoué avoir un dégoût irrépressible pour les hommes, surtout les hommes d'âge mûr. C'est aussi pour cela qu'il ne venait plus en classe. Et puis, il ne pouvait pas décemment se présenter aux autres avec des blessures apparentes. C'est ce qu'il pensait. Bien sûr, à sa place, j'aurais sans doute eu honte aussi, et je n'aurais pas osé en parler à quiconque. C'est pour cela que le fait qu'il se confie à moi ainsi m'avait énormément touché. Il m'accompagnait lors de mes rendez-vous réguliers à l'hôpital. Il avait fini par découvrir ce que j'avais. Mais jamais ni lui ni moi n'en parlions. Je sais que si je l'avais voulu, j'aurais pu lui dire ce que j'avais sur le cœur, pourtant je ne le voulais pas. Il était inutile de penser à moi qui suis voué à mourir...
À ces mots, le corps de Reita se raidit et il resserra plus fort son étreinte contre le jeune homme qui regretta ses paroles.
-Il y a toi, et puis mon frère, et puis Tôru qui avez plus besoin d'attention. Vous seuls comptez pour moi. Tout ce que Tôru faisait pour moi, il le faisait de manière toujours nonchalante comme si ça lui était totalement naturel... Je le lui rendais du mieux que je le pouvais en l'accompagnant toujours à l'hôpital à mon tour. Tu sais, son père était de plus en plus violent avec lui. Je le voyais aux marques de plus en plus conséquentes qu'il présentait sur les parties visibles de son corps. Et bien sûr, je ne voyais rien du reste. Mais jamais il n'en parlait, jamais il ne se plaignait. C'était comme si son sort lui était complètement indifférent. Depuis le début, il n'y en a toujours eu que pour sa mère.


Uke s'est tu un instant, parce que le dernier mot qu'il avait prononcé avait été étranglé dans un sanglot naissant. Il a senti la main de Reita caresser tendrement son dos lisse, et ses lèvres tièdes et humides se poser en plusieurs endroits du creux de son cou.
-Comme il ne venait plus au lycée, même après la rentrée, a-t-il continué avec difficulté, je venais de temps en temps lui apporter des cours. Et c'est ce soir-là... Excuse-moi.
-Ne t'excuse pas, mon ange. Pleure tant que tu le veux.
Uke a porté ses mains à son visage, toujours blotti dans le creux de l'étreinte de Reita, et a silencieusement laissé couler ses larmes de chagrin. Au bout d'un moment il a essuyé son visage et a levé ses yeux brillants vers son ami.
-Il y a trois mois, alors qu'un soir à la sortie du lycée je suis venu lui apporter les cours de la semaine, j'ai entendu du bruit provenant de l'intérieur de sa maison... Des cris, Ryô...comme je n'en avais jamais entendus. Les gens ont peur des hurlements de mon frère lorsqu'il est en pleine crise, mais ces cris-là n'ont rien à voir, ils font partie d'un autre monde, un monde d'horreur, de drame et de désespoir. J'étais terrorisé, je n'osais pas m'avancer. Sa mère hurlait. Elle hurlait à la mort. Il était impossible que personne ne les entende. Très vite, son voisin est sorti de chez lui. J'ai aussitôt reconnu ce garçon appelé Mao qui est accouru chez Tôru et a tambouriné contre la porte. Sortant de ma torpeur, je suis venu le rejoindre. Il nous a fallu nous épuiser à force de cris et de tambourinements pour que l'on vienne nous ouvrir enfin. Alors que Mao avait été sur le point de retourner chez lui pour alerter la police, la porte s'est ouverte en grand. Tôru se trouvait là, sur le seuil. Semblant ne même pas avoir remarqué Mao, il me regardait d'un œil totalement dénué de vie. C'était comme si son regard passait à travers moi pour atterrir dans l'infini, dans le nulle part. Il y avait une giclée de sang sur son visage. Je refusais d'y croire, Reita, pourtant tu vois c'était bien réel.
Je l'ai attrapé par les bras, l'ai secoué, j'étais tellement horrifié que je ne me rendais pas compte de la violence avec laquelle je lui hurlais dessus pendant que Mao, lui, s'était engouffré dans la maison. Et puis j'ai entendu son cri, Reita, le cri de Mao. Il m'a déchiré en mille morceaux. Avec mes yeux qui pleuraient sans retenue, j'ai supplié Tôru comme si ce pauvre garçon aurait pu me venir en aide, alors même que c'était moi qui devais lui en apporter, et lui, d'une voix blanche, sans émotion, avec ses yeux morts qui demeuraient désespérément secs, il m'a dit :
-Maman est morte.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Natsuki s'était offert au ciel. Comme la dévotion de son être entier au monde supérieur dont il savait ne pouvoir concevoir la beauté, il s'est allongé sur le sol et a fait de sa personne une offrande dans son entièreté.
Il fermait les yeux, paisiblement, et les mains soigneusement reliées sur sa poitrine témoignaient de sa passibilité dévouée. Il voulait se donner à lui qui le dominait, lui qui régissait son monde, ou du moins le sien, pour lui prouver son amour saint et sa reconnaissance.
Même par ce geste qui lui était pourtant propre, Natsuki avait du mal à se reconnaître. Auparavant une fierté mal placée l'aurait empêché de se dévouer ainsi à quiconque, ou à quoi que ce fût. Mais il était heureux. La sérénité avait enveloppé chaque cellule de son corps, chaque parcelle de son âme. Il aurait pu lui tendre les bras, essayer de saisir sa magnificence mais non, il ne se sentait pas le droit de faire cela et il attendait simplement que le ciel vienne à lui.
Sous ses paupières closes, Natsuki était certain que le ciel était bleu.

Il a frémi, imperceptiblement. Il aurait fallu avoir les yeux posés de près sur son visage pour constater que son nez s'était à peine retroussé.
Ses cils ont battu très légèrement, mais il n'a pas ouvert les yeux, pas esquissé le moindre mouvement.

Malgré tout, il était certain que le ciel était bleu et dénué du plus infime nuage. Même si une goutte de pluie est venue s'écraser sur sa joue, son assurance n'était pas perturbée.
Et puis avec le Ciel, une autre entité, caressante et aérienne, est venue frôler son visage avec la plus pure douceur qui fût.
Les herbes chatoyantes et grasses chatouillaient gentiment sa peau nue. Par-delà sa conscience endormie par la plénitude, Natsuki a souri.
Il se donnait tout entier à ce monde qui l'entourait, ce monde qui le laissait s'ancrer en lui, de toute façon. Alors lorsqu'il a senti ensuite les branches des arbres l'étreindre, fines mais fortes, il s'est laissé faire sans manifester la moindre opposition. Son corps était lâche et abandonné à toute la tendresse de ce monde. Il devait lui appartenir, il le désirait ardemment.
Natsuki pourtant ne se souvient pas du moment où il a commencé à ressentir ce désir. C'était comme si celui-ci venait de naître en même temps que son calme sommeil.
Il y avait le soleil, aussi ; lui qui à travers les feuilles joliment frémissantes des arbres, comme de clairs carillons, apportait à Natsuki sa chaleureuse caresse enveloppante.

Très vite, il s'est senti soulevé. Oh, nulle brusquerie dans cette sensation que l'on le détachait du sol pour l'emporter quelque part ailleurs au milieu de ce monde de rêves. Juste, ce monde-là tout entier s'était mobilisé en harmonie pour venir le transporter là où il ne savait, mais là où il n'aurait pas peur.

Sur son passage, une seconde goutte de pluie est venue s'écraser sur son visage. En dedans de lui, caché au plus profond derrière les rêves, Natsuki a commencé à ressentir un soupçon d'inquiétude, tache infime sur le tableau idéaliste.

Puis c'était indéniable. Parce que sur son visage, puis sur tout son corps entier, il a senti les larmes du ciel pleuvoir sur lui, il a su que le ciel n'était pas bleu. Ou du moins ce bleu-là était recouverts de nuages gris.
Alors, presque à contrecoeur, mais vêtu d'un infini amour, il a ouvert les yeux.


Les yeux bleus de Hakuei, penché sur son visage, pleuraient. Ses larmes venaient mourir sans gêne sur ses joues lisses et diaphanes.
Inconsciemment Natsuki a souri, mais ce sourire était teinté de tristesse.
Pourtant il était doté d'une telle chaleur -une chaleur dont à l'extérieur Natsuki semblait totalement dépourvu- que ce sourire-là contribua à assécher les larmes de Hakuei.
-Où est-ce que tu m'amènes ?
C'était une question sans étonnement, sans peur. Peut-être une simple curiosité, ou un espoir inavoué même.
-Chez moi.
-Quelle heure est-il, Hakuei ?
-Quatre heures du matin.
-Mais, le ciel était bleu, tout à l'heure.
Hakuei l'a regardé avec un mélange de surprise et d'amusement.
-Oui, tout à l'heure, avant qu'il ne fasse nuit, il était bleu.
-Ce n'est pas ce que je voulais dire, marmonna Natsuki, mais comme il voulait juste savourer la douceur des bras de Hakuei qui le transportaient, il n'a rien ajouté.
Ils ont traversé les couloirs sombres dans le plus grand silence. Cela n'avait duré que quelques minutes, pourtant Natsuki avait failli s'endormir à plusieurs reprises. Mais parce qu'il se disait par-devers lui que sentir l'étreinte de Hakuei était plus doux que ses rêves de ciel, il est resté éveillé.
Le ciel, c'était Hakuei. Voilà tout.
C'est lorsque l'homme a sans un mot délicatement déposé le corps de Natsuki sur le siège passager de la voiture que Natsuki a posé la question :
-Hakuei, c'est un enlèvement ?

Il n'y eut pour réponse que le sourire en coin s'étirant finement sur le visage impassible de Hakuei, et la voiture s'est mise à démarrer.


Qu'on l'arrache à son hôpital, que l'on défie la loi, que l'on agisse avec immoralité et inconscience, et de plus qu'il se retrouve simplement vêtu de sa chemise de nuit blanche de patient, cela n'a pas inquiété Natsuki. Ou plutôt, il a semblé trouver cela naturel.
En entrant chez Hakuei, il a parcouru l'appartement de ses yeux émerveillés comme s'il découvrait là une merveille du monde, et c'était précisément ce qu'il ressentait alors. Plongé dans le microcosme qu'était l'appartement de Hakuei, c'était comme un rêve réel. Il a levé les bras et la tête au ciel et, avec ses pieds nus sur le sol frais, il s'est mis à tournoyer de joie et d'euphorie. À la fin, il fut pris d'un si grand vertige qu'il faillit tomber à la renverse, ce qui n'aurait pas manqué si Hakuei n'était pas venu le retenir à temps pour ensuite l'installer sur le canapé.
Natsuki a replié ses jambes contre sa poitrine, dénudant involontairement ses cuisses, et il a tendu les bras le plus naturellement du monde.
Hakuei est venu se fondre dans cette invitation inespérée. Il a attiré Natsuki à lui et une fois que tous deux furent confortablement lovés sur le canapé, Hakuei a commencé à caresser les lisses cheveux noirs de l'homme qui gardait le silence.
-C'est tellement étrange... a fait Hakuei dans un murmure étouffé parce que ses lèvres étaient collées contre le crâne de son ami. Il y a si peu de temps encore, tu me détestais à en mourir. Maintenant, tu me laisses te caresser comme si nous étions les êtres les plus proches du monde.
-Hakuei, tu ne devrais pas dire ce genre de choses. Prends garde.
-Pardon ?
-Je ne t'aime pas encore. Je me demande même si je ne suis pas encore en train de te détester. Peut-être que je me laisse faire par lassitude. Ou tout simplement parce que je suis fatigué, ou que je n'arrive pas à avoir peur en ce moment même. Mais te détester, c'est ce que j'ai su faire de mieux depuis que tu es arrivé. Depuis ce jour où, pour la première fois, quelqu'un est venu me rendre visite à l'hôpital... Un inconnu, toi.
Natsuki, qui avait la joue collée à la poitrine de Hakuei, a lentement relevé le visage qu'il a enfoui contre le cou de l'homme. Celui-ci n'a pas réagi et a continué à noyer ses doigts dans ses cheveux, inlassablement.
Une kyrielle d'anges est passée au-dessus d'eux, apaisant leurs esprits et imposant un long silence serein. Combien de temps s'était écoulé sans qu'aucun d'eux ne prononce le moindre mot ? Ils avaient perdu à ce moment-là toute notion du temps.

-C'était normal. J'avais gardé un si mauvais souvenir de toi.
-Pourquoi t'aurais-je fait du mal après tous ces merveilleux souvenirs que tu m'avais laissés ?
Ils se sont fixés, ahuris et décontenancés. Ils avaient chacun prononcé ces mots au même moment, et leur incompréhension était totale. Intrigué, Natsuki s'est redressé, se détachant de l'étreinte de Hakuei, et l'a dévisagé avec méfiance.
La crainte a semblé s'emparer de lui car subitement il s'est jeté hors du canapé pour courir vers la porte d'entrée, prêt à fuir au moindre signe de danger. L'incompréhension de Hakuei n'en fut que plus grande.
-Qu'est-ce que tu veux dire ? fit-il d'une voix tremblante.
-Ce que je veux dire ? cracha Natsuki avec un brusque mépris qui le rendit méconnaissable. C'est plutôt toi qui devrais m'expliquer. Tu essaies de me mentir, c'est ça ? Alors, je ne m'étais pas trompé ? Tu cherches encore à me soudoyer pour m'avoir dans tes filets. Ah, voilà pourquoi je t'ai toujours haï. Tu ne m'as jamais voulu que du mal.
-Non ! clama Hakuei.
Dans son désarroi il a tendu une main pleine de déréliction vers Natsuki qui recula encore d'un pas pour venir se plaquer dos contre la porte.
-Je te jure que je ne comprends pas, Natsuki. Quel mauvais souvenir t'aurais-je laissé ? Qu'ai-je fait de mal dans le passé ?
-Ce que tu as fait de mal ? répéta le jeune homme dans un rire crispant d'ironie et de rancœur. Hakuei, et toi ? Ou plutôt devrais-je dire, et moi ? Tu prétends n'avoir gardé que des bons souvenirs de moi, mais je ne vois pas ce dont tu parles. Je ne t'ai rien laissé de cela. Parce que les seuls souvenirs que tu as de moi... sont souillés par la haine que tu ressens à mon égard. Oui, quels bons souvenirs aurais-je pu te laisser après tout, hein ?

C'était absurde. Chacun était persuadé de dire la vérité pourtant, leurs idées et leurs propos se contrecarraient, s'opposaient, et luttaient jusqu'à ce que la bataille ne finisse qu'en une bouillie de non-sens. Alors même que Natsuki vrillait l'homme d'un regard glacial et empli de haine, celui que Hakuei portait sur lui était brillant de détresse. Confusion mentale.

-Explique-moi, finit par lâcher Hakuei dans un soupir abattu. Natsuki, explique-moi, je t'en prie, je ne peux vraiment pas comprendre ce que tu veux dire...
-Ne joue pas les innocents ! protesta violemment le concerné. Toi ! Mais tu pensais donc que je ne t'avais pas reconnu ?! Dès la première seconde où tu es entré pour la première fois dans ma chambre d'hôpital, Hakuei, dès que l'infirmière est venue me prévenir de ton arrivée sans que je ne sache de qui il s'agissait, dès que tu es apparu devant mes yeux, j'ai aussitôt reconnu qui tu étais ! Toi ! Et pendant tout ce temps, tu as joué les gentils pour essayer de me rouler dans le but d'accomplir ta vengeance ! Je ne me laisserai pas faire, Hakuei ! Regarde-moi ! Même pris au piège, même enserré dans la gueule du loup, je ne me laisserai pas vaincre ! Tu ne me tueras pas ! Tu ne me tueras pas comme cette fois où tu as essayé de le faire en tirant une balle sur mon corps ce soir où je suis venu cambrioler ta maison !

Natsuki haletait. Il a été pris d'un soudain vertige agrémenté de sueurs froides et il s'est laissé glisser le long de la porte, à bout de forces. Lorsque Hakuei a fait mine de s'approcher, il lui a lancé un regard si noir que l'homme se ravisa.
Très vite, les yeux écarquillés de stupeur et d'effroi de Hakuei se sont brouillés de larmes irrépressibles. Il a porté ses mains à sa bouche pour étouffer un cri d'horreur. Cette horreur que lui prodiguait alors une soudaine prise de conscience. La gorge nouée, incapable de prononcer un mot, Hakuei s'est laissé affaler sur le canapé et s'est mis à bruire avec violence ses sanglots. Ses yeux ne quittaient pas Natsuki, lui qui était recroquevillé contre la porte, son corps si maigre semblant souffrir d'une infinie douleur intérieure.
-Je ne savais pas...

Hakuei s'est mis à trembler de manière incontrôlée et si démesurée que ça n'avait rien de naturel.
-Je ne savais pas...
Sa voix ne ressemblait plus en rien à la sienne. C'était la voix d'une déchirure et d'une souffrance sans nom. La culpabilité parlait à travers ses cordes vocales.
-Natsuki, je ne savais pas...
-Menteur, articula le jeune homme avec difficulté.
Hakuei a vigoureusement secoué la tête. Il aurait voulu dire quelque chose mais ses mots se sont noyés dans ses sanglots.
-Tu penses que je pourrais croire un seul instant que si, toutes ces années après, tu es venu me voir à l'hôpital, c'était par pur hasard ? a craché Natsuki. J'ai immédiatement su que tu m'avais retrouvé. Par quel moyen, je ne sais pas, toujours en est-il que lorsque tu m'as retrouvé et appris que j'étais à l'hôpital, tu as voulu profiter de ma faiblesse pour venir me voir. Tu pensais pouvoir t'attirer mon affection et ma reconnaissance, tu parles... Je savais que c'était toi. Je ne pouvais pas avoir oublié le visage de l'homme qui m'avait traité et parlé comme une ordure, qui s'était délecté de me voir battu par les policiers dont tu t'étais entouré, et qui avait fini par tirer une balle sur mon corps. Tu voulais te venger, c'est ça ? M'avoir fait subir cette douleur et cette humiliation ne t'avait pas suffi. Tant d'années après, tu n'as pas su radoucir ta haine et tu as voulu te venger. Pas vrai, Hakuei ? Pourquoi ne pas l'avouer simplement ? Puisque je le sais, puisque je suis là, impuissant, à ta merci, pourquoi est-ce que tu ne te venges pas maintenant ? J'ai commis un crime, après tout. J'avais manigancé un cambriolage, et le hasard ou le destin a fait que c'est tombé sur toi. Alors vas-y, venge-toi. Je ne peux rien y faire. Venge-toi mais ne prétends surtout pas que tu ne le savais pas. Ne me dis pas que tu ne savais pas que j'étais celui qui avait commis ce cambriolage raté ! Si tu l'ignorais alors, pour quelle raison serais-tu venu me voir à l'hôpital, toi avec qui je n'ai jamais eu d'autres liens que celui de ce mauvais souvenir ?!

-Je t'aime, Natsuki.


 
 
 
 
 
 
 
 
 

Mais où était le sens dans tout ça ? Dans cette embrouille enchevêtrée de paroles contradictoires, mensongères et noircies de haine, de rancœur et de résignation ? Derrière le rideau noir et humide des mèches de cheveux collées à ses joues par les larmes, Natsuki a dirigé son regard trouble et vide vers Hakuei. Cette silhouette floue avachie sur le canapé, était-ce bien d'elle que venaient ces mots troublants ? Ces mots qui n'étaient qu'un cruel mensonge prononcé avec tant de déréliction, tant de tendresse et tant de sincérité ?
-Je t'aime.
-Tais-toi, a prononcé Natsuki au milieu de ses hoquets compulsifs. Comment oses-tu...
-Parce que c'est la réponse à ta question. La seule, l'unique réponse Natsuki. Tu m'as demandé pourquoi serais-je venu te voir à l'hôpital si j'avais réellement oublié que tu étais celui qui était venu cambrioler ma maison ? Mais elle est là, la réponse. Si je suis venu te voir après toutes ces années, c'est parce que je t'aime. Mais ça, depuis le début, tu n'es émotionnellement pas apte à le comprendre.
-Ne raconte pas de conneries, fit Natsuki de sa voix étranglée tandis qu'il se relevait avec difficulté.
Il s'est maintenu debout, chancelant, et a essuyé son visage rougi par les larmes d'un revers de manche. Il a défié Hakuei du regard, glacial.
-Pourquoi est-ce que tu as essayé de me tuer si c'est la vérité ?

Cette fois le visage de Hakuei s'était figé dans une expression d'assurance et de profonde gravité.
-Je n'ai pas tenté de te tuer, non. Natsuki, moi j'ai voulu te sauver.
   Natsuki a secoué la tête mais à son air exténué et déboussolé, il n'était manifestement plus très sûr de lui-même. Ou peut-être tout simplement était-il trop fatigué pour tenter de s'opposer à Hakuei.
-Je dois te faire un dessin ? déclara Hakuei avec contrition. Au moment où les policiers allaient signer ton arrestation, Natsuki, tu as tenté de te suicider avec un couteau. Tu étais si déterminé à le faire que la force avec laquelle tu aurais accompli cet acte n'aurait pas permis que tu sois sauvé à temps. Alors, qu'est-ce que je pouvais faire ? Me jeter vers toi et t'arracher la lame des mains ? Je n'en aurais pas eu le temps. Natsuki, je n'ai pas essayé de te tuer. Je n'ai pas voulu toucher ton corps avec ma balle, ou plutôt je n'ai pas voulu atteindre un point vital.
-Ne me mens pas...
Terrassé par l'affliction, Natsuki s'est laissé tomber à genoux. Lorsque Hakuei s'est levé pour le prendre dans ses bras, il l'a repoussé sans aucune violence, détournant le regard.
-Je ne mens pas. Toi, j'ai voulu te sauver. Mais je n'avais pas de temps, Natsuki. Alors pour te faire lâcher cette arme qui allait te tuer, pour te priver de toutes tes forces que tu allais retourner contre toi, j'ai tiré sur ton bras.

Ces paroles abjectes semblaient prononcées avec tant d'assurance, comme si cela pouvait être la vérité, comme si Hakuei n'avait rien à se reprocher. Natsuki a lâché un mot de mépris et a baissé la tête pour cacher son visage derrière la cascade raide de cheveux noirs.
Pourtant, dans le fond, il ne demanderait pas mieux que de le croire... Il était si fatigué d'avoir peur, de se méfier et de haïr... Si fatigué de lutter contre tout ce qui l'entourait pour préserver sa vie, sa propre vie qu'à côté de tout cela il mettait en danger en refusant de se nourrir.
-Après ça, tu as été amené d'urgence à l'hôpital... J'avais refusé de porter plainte, j'avais réussi au moyen d'une forte somme d'argent à dissuader les policiers de te faire encourir la moindre peine pour l'offense que tu leur as infligée... Malgré tout ça, Natsuki, je te jure que je ne le savais pas. Que c'était toi, je n'avais aucun moyen de le savoir ; moi, pardon, je ne t'avais pas reconnu ce soir-là.

Natsuki a été secoué d'un soudain frisson qui se propagea le long de son corps. La surprise a été si forte qu'il s'est accidentellement mordu la langue et a laissé échapper un gémissement de douleur. Sans hésiter, Hakuei est venu s'agenouiller face à lui pour l'attirer contre sa poitrine. Malgré sa crainte, le jeune homme se laissa faire, plus par épuisement que confiance.
-Si tu ne savais pas que c'était moi... c'est possible, car ce jour-là j'étais déguisé mais... Alors pourquoi malgré tout es-tu venu me voir à l'hôpital ? Parce que toi et moi n'avons aucun lien, Hakuei.
Dans sa poitrine, Hakuei a senti son cœur se serrer avec une telle violence qu'il crut mourir. Il a ressenti une douleur si forte qu'une fois de plus, il ne put retenir ses larmes.
-Aucun lien ?
Il riait, mais ce rire n'était qu'une succession de tremblements vocaux nerveux et teintés de la musique du désespoir.
-Natsuki, tu te moques de moi, pas vrai ?
Natsuki n'a pas répondu. Il désirait seulement en ce moment même s'endormir dans ces bras vigoureux. Dans l'espoir qu'ils ne le tuent pas pendant son sommeil.
-Natsuki, ne te moque pas de moi, je t'en supplie...
-Je ne me moque pas de toi !
Natsuki se disait que Hakuei était bien le seul à se moquer de lui, toutefois quelque chose mettait en doutes ses pensées. Si Hakuei mentait, pourquoi sa voix refléterait-elle une aussi grande détresse ? Natsuki a préféré ne plus se poser de question et comme pour étouffer sa tête, étouffer ses pensées, il a appuyé ses mains contre son crâne et a enfoncé son visage contre la poitrine de Hakuei.
-Natsuki, toi et moi étions les meilleurs amis d'enfance.

Silence.


-Et tu ne te souviens pas de ça ?! Tu fais semblant, pas vrai, en réalité celui qui cherche à se venger c'est toi ! Tu essaies de me faire souffrir par la manière la plus cruelle qui soit ! Mais Natsuki, mes plus beaux souvenirs d'enfant et d'adolescent, c'est toi qui me les as offerts ! Alors ne me dis pas que tu ne te souviens pas ! Comment pourrais-je te croire ! Natsuki, moi j'étais si heureux de te retrouver ! Après toutes ces années passées sans toi, à t'avoir perdu de vue, j'avais l'impression d'être sauvé ! Et lorsque j'ai vu pour la première fois dans quel état tu étais à l'hôpital, tu ne peux pas imaginer la douleur que j'ai ressentie ! Mais dès le début, j'ai cru que tu faisais semblant de ne pas te souvenir de moi ! Je ne te crois pas, non, Natsuki, je ne te crois pas !

De faibles sanglots ont résonné dans la pièce. Hakuei a baissé des yeux voilés de chagrin vers le corps si fragile de Natsuki. Ce corps blotti contre lui avec ses jambes nues et maigres étalées sur le sol dur et froid. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que c'était Natsuki qui pleurait ?
-Hakuei...
En réponse, Hakuei a plongé sa main tendre dans les cheveux du jeune homme, caressant la chevelure, chatouillant sa nuque, massant son crâne.
-Oui, Natsuki, dit-il avec douceur.
Pendant un moment, le corps de Natsuki est demeuré totalement immobile, si immobile que Hakuei a cru avec horreur qu'il s'était arrêté de respirer. Mais ce n'était pas le cas.
-Hakuei, moi, je n'ai gardé aucun souvenir du passé.

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