Merry-go-Wound -dernier chapitre

Juliet

-Daddy...

Il y a eu comme un tremblement dans la voix de Sono, et c'est au moment même où Yuu allait s'avancer vers la porte qu'un assaut brutal est venu le priver de toute liberté de mouvement. Yuu a ri, un peu gêné devant l'assemblée de cette démonstration d'affection qui dénaturait jusqu'à l'image que l'on avait pu avoir jusqu'alors de Sono.
-Arrête, a murmuré Yuu en passant une main affectueuse dans les cheveux argentés du jeune homme. Ça ne te ressemble pas de faire ça.
-Mais Yuu, je t'aime, s'est défendu Sono en luttant pour ne pas laisser les sanglots lui prendre le contrôle de sa voix.
-Ne dis pas cela comme ça, voyons.
-Daddy, qu'est-ce que je vais devenir si tu pars de ce château ?
-Tu deviendras ce que tu as toujours été, Sono.
-Il ne vaudrait mieux pas, est intervenue une voix dans l'assemblée.

Yuu a lancé un regard glacial vers Kamijo qui s'est contenté de rire.
-Pourquoi est-ce que tu ne veux pas que je vienne travailler dans le bar-orchestre avec toi, Yuu ?
-Parce que je n'ai pas besoin de toi, Sono.
Déconfiture totale sur le visage du jeune homme qui a senti le monde s'effondrer autour de lui.
-Daddy, tu cherches à me ridiculiser ou bien...
-Je veux dire, je ne veux pas que tu aies besoin de moi comme cela.
-Je ne comprends pas, Yuu.
-Tu comprends, c'est juste que tu n'acceptes pas. Mais je ne te traiterais pas ainsi si je ne t'aimais pas.
-Mais, Daddy, je vais être si seul sans toi.
-Tu risquerais de vexer des personnes en disant cela, idiot. Lâche-moi, à présent.
Sono s'est exécuté à regrets, une moue chagrine sur ses lèvres qui fit rire Yuu.
-N'insiste pas, si tu ne veux pas ruiner ta réputation de monstre insensible.


Résigné, Sono s'est reculé et a effectué un salut succinct à Yuu qui posa son regard sur tous les membres du château qui étaient venus saluer son départ. Ses yeux s'attardèrent sur Yoshiki qui sourit pour dissimuler son malaise.
-Seigneur Yoshiki, je crois que je ne vous remercierai jamais assez pour ce que vous avez fait.
-Ne dis pas de bêtises, voyons. Tu sais que les portes de ce château te demeureront ouvertes à n'importe quel moment.
-Mais, je parlais de ce que vous faites pour eux.
-Ce n'est rien, je...

« Je le fais aussi pour moi ». Yoshiki a retenu ces paroles à temps, et il a semblé l'espace d'un instant qu'il allait perdre l'équilibre mais il s'est ressaisi, l'air grave :
-En ce qui concerne Tsunehito qui n'est pas venu te saluer, il m'a prié de te faire parvenir ses excuses. Il pleut fortement dehors, et comme tu le sais, Tsunehito ne sort pas de sa chambre lorsqu'il...
-Je suis là, Yoshiki.
Ils se sont tous tus, se retournant vers le fond de la salle d'où était venue cette petite voix timide. Tsunehito se tenait là, au centre de la grande porte ouverte, et il parcourait tout ce petit monde des yeux pour ne pas avoir à poser son regard sur un point précis. Gêné de toute l'attention qu'il attirait sur lui, il a baissé les yeux.
-Je ne voulais pas... paraître ingrat aux yeux de Yuu.
-Tsunehito, tu es certain que ça ira pour toi ? s'enquit Yoshiki en s'approchant de lui.
-Cela irait beaucoup plus mal si je devais me morfondre dans la culpabilité de ne pas l'avoir salué comme il se devait, a répondu l'homme avec un soudain aplomb.
 

Sur ces mots, il s'est avancé d'un pas ferme, ignorant alors Yoshiki qui se figea de surprise, et il se dirigeait droit vers Yuu qui priait intérieurement pour ne pas que les adieux de Tsunehito soient aussi larmoyants que ceux de Sono.
« Sans quoi, je perdrais toute crédibilité devant tout le monde » a-t-il pensé, anxieux. Cependant, il a gardé son expression la plus neutre lorsque Tsunehito est venu saisir ses mains pour les appuyer contre sa poitrine. Leurs visages étaient si proches l'un de l'autre, et les grands yeux de Tsunehito semblaient bien plus immenses encore ; deux spirales noires dans lesquelles Yuu se sentait enfoncer un peu plus à chaque seconde.
-S'il te plaît, laisse-moi être le cocher qui te ramènera, a prié Tsunehito du bout des lèvres.
Troublé, Yuu a jeté un regard inquisiteur vers Yoshiki qui lui répondit d'un haussement d'épaules, dubitatif.
-Je ne sais pas, Tsunehito... Il pleut énormément.
-Mais je suis un bon cocher, tu sais.
-Je ne mets pas en doute tes capacités, enfin, mais tu sais de quoi je parle.
-Je n'ai pas peur, Yuu. En réalité...

Tsunehito s'est tu, ses yeux papillonnant de parts et d'autres de la pièce comme s'ils essayaient de trouver les mots qui lui manquaient.
Autour de ses mains Yuu pouvait sentir celles de l'homme qui tremblaient avec nervosité. Tsunehito a fini par reporter son regard sur lui, suppliant.
-Si, j'ai peur, mais mon désir de te raccompagner est bien plus grand encore que cette peur. S'il te plaît, Yuu. Avant que tu partes... je voudrais au moins faire une chose pour toi.

Yuu savait qu'il aurait dû résister pourtant. Non pas seulement parce qu'il avait bien trop peur que la pluie battante ne ravive les traumatismes de l'homme, mais aussi parce qu'il devinait qu'aux yeux de tous ceux qui se trouvaient là alors, accepter revenait à avouer quelque chose qu'il ne voulait pas encore admettre. C'est pour cette raison que, lorsqu'il s'est entendu malgré lui prononcer un « d'accord » timide, il a voulu disparaître sous terre. Il n'y avait pas eu de réaction spécifique, aucune remarque qu'il avait pu craindre alors, et lorsqu'après avoir salué une dernière fois chacun d'eux, Yuu est sorti en compagnie de l'homme, il a levé son visage à la merci de la pluie.
Puis il a regardé Tsunehito, anxieux, et a senti un poids immense libérer sa conscience lorsqu'il a vu le sourire de l'homme dessiner la plus douce des embellies.
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

-Je le lui avais dit, que tu le prendrais très mal.
Sono n'a pas relevé les yeux. Sa joue mollement appuyée contre son bras, à demi-étalé sur la table, il s'amusait à dessiner dans la farine des arabesques emmêlées. Sous le regard curieux de Kamijo, il a porté le bout de son index à sa bouche et a goûté la farine avant de s'étouffer dans une brutale quinte de toux. Il a brusquement repoussé la main que Kamijo avait posée sur son épaule et lorsqu'il a levé le visage vers lui, Kamijo a dû se retenir de rire face à sa joue marquée par le tissu.
-Laisse-moi, Kamijo. Aujourd'hui, je n'ai pas envie de me disputer avec toi.
-Je ne suis pas venu dans ce but, Sono.

Sono s'est redressé et, fait étrange, Kamijo a remarqué qu'il s'appuyait contre la table pour avancer comme si même marcher lui était devenu trop pénible.
-Je suis venu dans la cuisine en pensant que je serais tranquille, mais il semblerait que ce ne soit pas le cas.
-Il fallait juste aller dans ta chambre.
-Tu m'aurais encore plus tôt trouvé, dans ma chambre.
-Disant cela, tu insinues avoir espéré dès le début que je viendrais te voir, a remarqué Kamijo dans un petit rire moqueur.
-Pas espéré, abruti. Je l'ai craint.
-Sono, je suis venu parce que tu n'aimes pas rester seul.
-Qu'est-ce que tu en sais ? C'est justement tout ce que je demande à présent.
-Tu détestes être seul, Sono. C'est la raison pour laquelle tu digères si mal le départ de Yuu.
-Et alors ? s'est défendu le garçon en lui vrillant un regard scintillant de courroux. Il faut bien que je m'habitue à être seul, non ? Entre Riku qui ne viendra jamais vivre avec moi, et Yuu qui ne veut même plus me garder près de lui... je suis condamné à rester seul.
-Yuu te l'avait dit, pourtant. Qu'en disant cela, tu risquais de vexer quelqu'un.
 

Il riait avec légèreté, Kamijo, mais le sentiment qui se lisait au fond de ses yeux semblait à l'antipode de l'allégresse dont il voulait faire preuve. Sono l'a dévisagé sans rien dire, avant de fermer les yeux et de s'écraser sur une chaise dans un soupir las.
-Pourquoi est-ce que les choses ont dû devenir comme ça, Kamijo ?
-Tu dis cela sans même savoir que Yuu ne t'abandonne pas et ne t'abandonnera jamais. Tu ne réalises pas qu'il agit juste pour ton bien.
-Je ne parlais pas de Yuu, idiot !
-Pardon ?
-Mais, je parlais de toi...
Évitant soigneusement son regard, Sono a tendu le bras de toutes ses forces pour saisir la miche de pain posée sur la table et, une fois attrapée, il y a mordu à pleines dents sans se soucier de la bienséance.
-Qu'ai-je fait de mal aujourd'hui, Sono ? s'est enquis Kamijo, un peu défiant, mais un peu désolé aussi.
-C'est parce que tu ne fais justement rien de mal que cette situation m'énerve.

Il avait parlé la bouche pleine, mais la simple désolation mêlée de provocation qui avait découlé de sa voix avait suffi à Kamijo pour lui faire comprendre ses paroles.
-Il faudrait que je me comporte comme un tyran pour te faire plaisir, c'est cela ?
-Tu ne peux pas m'arriver à la cheville dans ce domaine, a-t-il articulé, une main devant sa bouche. C'est inutile.
-Alors, pourquoi est-ce que tu continues à l'espérer ?
-Ce que j'espère, c'est que tu fasses comme si je n'existais pas.

Nouveau soupir. Brusquement la table se met à trembler, Sono sursaute et fixe avec hébétude Kamijo qui s'était assis dessus.
Les yeux levés au plafond, ses jambes se balançaient comme celles d'un enfant attendant impatiemment la sonnerie de fin des cours.
-Tu prends trop de place, Sono. Il est impossible de faire comme si tu n'existais pas.
-Ne te moque pas de moi. Ce château est immense, rien jamais ne nous oblige à la promiscuité. Mis à part durant les dîners pendant lesquels nous pouvons très bien nous ignorer, nous pouvons faire en sorte de ne jamais nous croiser.
-Mais je n'ai pas dit que c'était dans ce château que tu prenais de la place.

Silence. Dans la bouche de Sono, le pain a une saveur étrange. Il mâche et déglutit avec difficulté, et pose une main sur son cœur comme il sent son souffle se faire étrangement irrégulier.
-Tu te plaindras encore plus d'être seul si je me mets aussi à t'abandonner, Sono.
-Ne parle pas de m'abandonner comme si tu m'avais déjà adopté, toi.
-Adopté ? Non, Sono, je ne t'ai jamais adopté. Du moins, pas de la manière dont tu l'entends. Malheureusement, je n'ai pas le philanthropie et la pureté de Yuu.
-Oui, tu as raison.
Sono disait oui avec ses lèvres, mais il disait non de la tête. Kamijo l'a regardé, sidéré, avant d'éclater de rire.
-Déprimer te fait même perdre la raison.
-Justement, Kamijo, je crois que c'est l'inverse.
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
-Je viens de réaliser que je juge ce que tu es mais, dans le fond, ce que tu es, je ne l'ai jamais su.

Il y a eu un moment de malaise pour Sono avant que le rire de Kamijo ne vienne l'effacer.
-C'est bien que tu t'en rendes compte.
-Quelque part, cette situation m'énerve beaucoup.
-Oh, tu sais, j'ai passé outre toutes les fois où tu as pu me vilipender.
-Ce n'est pas le problème ; ce qui m'énerve est de savoir que puisqu'à présent je sais que j'ignore qui tu es vraiment, il va être plus difficile encore de t'ignorer.
 

Il était clair que Sono prononçait ces mots à regrets mais que s'il le faisait, c'est parce qu'au fond de lui il ressentait un besoin presque vital de les exprimer. La honte et l'amertume dans ses traits étaient manifestes, et Kamijo est venu se glisser un peu plus près de lui, taquin :
-Oh, tu n'es pas si fort que ça, Sono.
-Je suis bien plus fort que tu ne le penses, mais il faut croire que tu étais plus fort encore.
-Cela semble te désoler.
-Je déteste perdre. Surtout contre quelqu'un comme toi.
-Perdre ? Mais perdre quoi ? Nous n'avons pas livré de bataille.

Les lèvres de Sono se sont étirées en un doux sourire teinté de regrets. À la commissure, une ombre se creusait et Kamijo se demandait s'il était possible d'effacer cette ombre du bout des doigts, comme s'il se fût agi d'une simple trace de maquillage.
-C'est peut-être contre moi que j'ai perdu, a murmuré Sono, les yeux dans le vague.
-Tu peux le prendre de manière inversée aussi, tu sais.
-Pardon ?
Sono a levé vers lui de grands yeux hébétés, et à la vue de ce visage qui ne portait en lui plus aucune animalerie, Kamijo a senti son cœur se serrer doucement.
- « Perdre contre toi », si tu le penses d'une autre manière, Sono, ça peut aussi vouloir dire « gagner avec toi ».

Silence. Et alors que Sono cherchait le sens de ces paroles avec sa raison, voilà qu'il le ressentait déjà au fond de son âme, le sens qui le mettait sens dessus dessous et éveillait en lui des sentiments qu'il n'avait jamais éprouvés alors. Il se sentait pareil à un enfant seul et égaré dans un endroit qui l'aurait totalement abandonné à sa panique si, seulement, cet endroit n'avait pas été aussi onirique.
-Je suis jaloux, a fait la voix de Kamijo qui semblait provenir d'un ailleurs lointain. Parce que moi aussi, j'aurais voulu « gagner avec toi ».
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


Une nuée de vapeur blanche sortait de la bouche essoufflée de Jin. Épuisé à courir ainsi au milieu du paysage enneigé, il s'est immobilisé et a guetté, le cœur battant, les sapins au loin qui, derrière leur blancheur, renfermaient peut-être un secret. Il a pris une profonde inspiration qui lui valut une douleur glacée à la gorge et il s'est mis à courir à nouveau en direction de l'orée, son dernier espoir. Il fallait qu'il le retrouve, vite. Un mauvais pressentiment assaillait son esprit et déjà, dans sa tête se déroulait le pire scénario qu'il eût jamais pu imaginer alors.

« Yoshiki me tuera s'il lui est arrivé quelque chose ».


Il s'est dit que ça ne le dérangeait pas de mourir si tel était vraiment le cas, mais ce qu'il ne voulait pas, c'était bien justement qu'il ait pu lui arriver quelque chose.

« Cela m'apprendra à bavarder. Mais où avais-je la tête ? Quand et comment a-t-il pu disparaître ainsi sans que je ne m'en aperçoive ? »

L'idée de devoir peut-être s'enfoncer dans cette forêt de sapins lui était peu agréable, de plus il n'était pas même certain de chercher là où il le fallait. « Mais il a forcément disparu là-bas. Je le verrais sinon. »

L'orée n'était plus qu'à quelques mètres mais il avait tant couru déjà, sa panique rendant sa respiration plus difficile encore, que tout lui semblait infiniment lointain. « Pourquoi est-ce que des choses pareilles arrivent à moi ? »

-C'est moi que tu cherches ?

Il a fait volte-face, le visage défait, comme celui de Riku semblait étrangement moqueur. Le jeune homme a porté sa main gantée devant sa bouche pour étouffer le rire qui naissait tandis que Jin perdait peu à peu de ses couleurs.
-Toi, a-t-il vociféré avec colère pour se donner une contenance. À quoi est-ce que tu joues ?
-Mais je ne joue à rien, Jin, a-t-il répondu dans une moue chagrine. C'est toi qui m'as semé.
-Qu'est-ce que tu racontes ?
-Mais je ne sais pas, tu étais en train de me parler de la vie au château quand je me suis baissé pour refaire mes lacets et alors, tu as continué à marcher, puis quand tu t'es aperçu que je n'étais plus à côté de toi, tu t'es mis à courir comme un prisonnier en fuite.
-Tu mens, a balbutié Jin qui ne voulait pas le croire tant il se sentait ridicule.
-Je ne mens pas, enfin. Tu m'as semé, toi. Tu n'as même pas vu que j'étais juste derrière toi. En plus, tu cours vite.

Circonspect, Jin a minutieusement considéré Riku des pieds à la tête comme pour vérifier que rien n'avait changé, puis il a plongé ses yeux dans les siens, hagard.
-C'est parce que tu es tout blanc, alors je ne te voyais pas au milieu de la neige.

Ahuri, Riku a observé ses propres vêtements d'un noir profond avant de porter un regard sincèrement inquiet sur Jin.
-Je ne parlais pas de tes vêtements. Viens, à présent.
Pour masquer son malaise, Jin l'a saisi par la main avec autorité mais douceur, et s'est mis à marcher d'un pas ferme en direction de la forêt qui ne semblait plus loin du tout, à présent.
-Mais où est-ce que tu vas, Jin ?
Comme s'il venait subitement de se rendre compte où il allait, Jin a subitement fait demi-tour, entraînant avec lui le jeune homme qui le dévisageait avec curiosité.
-Tu rougis, Jin.
-J'ai froid.
-Tu es bizarre, aujourd'hui. Tu es sûr que tout va bien ?
-J'irais mieux si tu ne me faisais pas des peurs pareilles, idiot.
Parce qu'à travers le gant, Riku pouvait sentir la froideur de la main de Jin, il l'a serrée contre la sienne en silence. Jin regardait droit devant lui cet horizon blanc au bout duquel il pouvait déjà voir la façade lointaine du château.
-Je ne veux pas rentrer, Jin.
-Pour quelle raison ?
-C'est toi qui m'as convaincu de venir avec toi mais au final, je ne vois pas à quoi cela a servi. Tu disais que c'était important. Qu'est-ce que tu voulais ?
-Juste te voir, Riku.
-C'est absurde, a-t-il ri, mi-gêné mi-intrigué. Tu me vois chaque jour au château.
-Il y a du monde, au château.
-Qu'est-ce que ça change ?

Jin n'a pas répondu. Le froid le mordait mais c'est comme si le vent fouettant son visage ne lui était d'aucun effet. C'est que la main gantée de Riku autour de la sienne avait bien plus de chaleur encore que l'hiver n'avait de froideur. Ce que le froid lui prenait, Riku semblait le lui rendre de par sa simple présence. Peut-être qu'inconsciemment, le jeune homme comprenait ce fait car il se mit à serrer la main de Jin avec tant de force que celui-ci se figea.
-Il y a quelque chose que tu souhaiterais pour Noël, Riku ?

Il avait posé cette question comme par accident, sans diriger son regard sur le concerné. Riku a agrandi les yeux, éberlués, avant de secouer la tête.
-Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?
-Noël, c'est demain, tu sais.
-Ce n'est pas que c'est Noël que tu dois me faire un cadeau.
-C'est justement parce que c'est Noël que je peux t'en faire un, a murmuré Jin en reprenant lentement sa marche, entraînant avec lui Riku qui demeurait pantois.
-Personne n'est obligé d'attendre Noël pour faire un cadeau à quelqu'un, Jin. C'est ridicule.
-Mais en dehors de Noël, tu aurais pu trouver cela bizarre.
Riku a remonté son écharpe à hauteur de son nez, peut-être pour dissimuler le sourire espiègle qui naissait sur ses lèvres.
-C'est Noël qui te monte à la tête ? Tu n'es pas comme ça d'habitude.
-Et qu'est-ce que c'est, « comme ça » ?
-C'est mignon, je suppose.

Jin n'a pas répondu. Ils n'étaient plus qu'à quelques mètres du château et il s'est immobilisé, hésitant.
-Pourquoi "mignon" ? Peut-être sauf lorsque j'étais bébé, je n'ai jamais été mignon. Tu le sais.
-Parce que tu as peur de ce que je pourrais penser si tu m'offrais un cadeau sans que Noël ne soit là pour pouvoir t'en être une excuse.
-Tu te trompes, je déteste offrir des cadeaux. Je trouve cela niais et hypocrite. Ce n'est pas mon genre.
-Eh bien, ne m'en offre pas, Jin. Je ne demande rien, moi, et je ne veux pas que tu fasses ce geste par pure hypocrisie si cela te dérange à ce point.

Jin lui a jeté un regard un peu interloqué, un peu défiant, avant d'adresser une chiquenaude vengeresse sur le front du jeune homme.
-Va mourir, Riku.
Il l'a laissé planté là pour se diriger vers la porte du château, les mains dans les poches. Derrière son écharpe, le sourire de Riku était à son comble.
-Tiens !
Jin a sursauté comme un choc le heurta de plein fouet et il a fait volte-face, fixant d'un air désarmé Riku qui, lui, se tenait armé d'une boule de neige dans chaque main.
-Meurs toi aussi, Jin !
L'homme s'est protégé le visage des mains comme déjà un nouveau projectile fonçait droit sur lui. Jin l'a esquivé de justesse dans un bond de côté et dans un rire guerrier s'est mis à confectionner des armes à toute vitesse avant de se ruer dans un cri sauvage vers le pauvre Riku qui laissa tomber ses boules de neige pour s'enfuir au loin.
-Ne fais pas le lâche ! Tu m'as attaqué le premier, maintenant tu dois payer !
Il l'a lancée et la boule de neige a cogné sur le dos de Riku qui poussa un cri de détresse auquel s'ensuivit un éclat de rire incontrôlé.
-Tu triches, Jin ! Tu triches ! Ne m'attaque pas par derrière !
-C'est précisément ce que tu as toi-même fait et puis, je ne le ferais pas si tu m'affrontais en face !
-Bien.

Riku s'est figé si brusquement que Jin a pilé juste à temps pour ne pas le heurter. À quelques centimètres l'un de l'autre, ils se sont dévisagés avec toute la défiance contenue en eux, et cette part d'enfance qui faisait briller leurs yeux d'éclats jusqu'alors inconnus.
-Toi non plus, Jin, tu n'oses pas m'affronter en face.
-Qu'est-ce que tu veux dire ?
-Si tu veux me faire un cadeau alors, pourquoi ne m'en fais-tu simplement pas un ?
-Tu es impoli de réclamer, l'a admonesté Jin, gentiment râleur.
-Mais non, je te dis de faire ce que tu veux sans te soucier du regard des autres. De ce que j'ai compris, il semblerait que tu veuilles m'offrir un cadeau...
-Je ne sais même pas ce que tu désires.
-Je ne veux rien en particulier, moi.
-Alors ne me dis pas des choses comme...
-Je veux juste que tu m'offres ce que toi, tu as envie de m'offrir.

La vapeur blanche s'est échappée d'entre les lèvres de Jin comme il a poussé un soupir. Il a continué à souffler, fasciné par cette buée qui lui rappelait la fumée constante de la cigarette dans le bar où il venait voir Riku, il n'y a pas si longtemps encore. Jin a placé ses mains gelées devant sa bouche pour y insuffler de la chaleur. Son genou s'agitait comme il semblait trépigner d'impatience, ou de nervosité.
-Jin...
-Allons en ville.
La grimace qui déforma alors le visage de Riku fit partir Jin dans un éclat de rire irrépressible.
-Qu'est-ce que c'est que cette tête ?
-Pourquoi aller en ville, Jin ?
-Mais, pour t'acheter ton cadeau de Noël.
-Je n'en veux pas !
-Bien sûr que si, tu en veux un. Personne ne dirait non pour un cadeau.
-Je ne suis plus un enfant pour en vouloir !
-Tu m'as dit de t'offrir ce que je voulais. Alors, faisons cela.
-Admettons, se résigna Riku, agacé. Je veux un cadeau, mais cela dépend duquel.
-Tu vois, que tu sais ce que tu veux ! Alors, dis-le-moi tout simplement et je te l'achèterai.
-Et si c'est quelque chose qui ne s'achète pas, comment feras-tu ?
-Je te le confectionnerai.
-Et si cela ne se confectionne pas ?
-Je l'écrirai. Je le chanterai. Je le dessinerai. Je le danserai. Je le raconterai.
-Jin... a gémi Riku qui a baissé la tête en tapant puérilement du pied, boudeur.
-Ce que je voudrais réellement te donner, je ne peux pas te le donner.

Riku l'a regardé, et derrière les lumières curieuses qui scintillaient dans ses yeux, il y avait comme un fond de désolation.
-Pardon, a murmuré Jin. J'aimerais vraiment, tu sais, mais je ne peux pas.
-C'est un objet précieux, n'est-ce pas ?
-Infiniment précieux, Riku.
-Alors, je comprends que tu ne puisses t'en séparer, Jin.
-Non. Ce que je veux dire est que... si je pouvais seulement avoir la certitude qu'il serait aussi précieux pour toi alors, je te le donnerais sans hésiter mais vois-tu, il est plus qu'incertain qu'à tes yeux ce cadeau ait une quelconque valeur...
-Tu veux dire, ça n'a pas de valeur matérielle, mais une valeur sentimentale ?
-C'est un peu cela, a dit Jin qui a croisé ses bras contre sa poitrine comme le froid commençait cruellement à le transir.
-Mais... Un objet qui a une valeur sentimentale, Jin, tu ne peux pas le donner à quiconque, car la personne qui t'a un jour offert ou légué cet objet en serait sans doute blessée...
-Personne ne me l'a offert, Riku.
-Alors, donne-le-moi, tout simplement, a insisté Riku dont le cœur commençait à battre à une vitesse appréhensive dans sa poitrine.
-Si ça ne te plaît pas, Riku, comment feras-tu ?
-Depuis quand te soucies-tu de ce qui me plaît ou non ?
-Depuis toujours, a susurré Jin, les yeux éteints.
-Si ça ne me plaît pas, je te le rendrai, Jin.
-Oh, justement. Tu feras tout sauf me le rendre, si ça ne te plaît pas.
-Cela veut dire que je pourrais te le rendre, si jamais ça me plaisait ?
 

Jin a souri. Il se disait qu'il avait trop parlé, qu'il était à présent obligé d'agir mais pourtant, c'est aussi le fait d'avoir trop parlé qui l'empêchait de se décider. Riku s'est avancé d'un pas vers lui et lui a baissé la tête pour ne pas affronter le regard grave que le jeune homme avait plongé en lui.
-Je veux que tu me le donnes, Jin. Ne te soucie pas de ce que je peux penser. Je ne suis pas idiot ; si je devais avoir peur, je ne te dirais pas cela. Donne-le-moi, Jin. C'est la première fois depuis que je te connais que j'ai l'impression que nous sommes vraiment sur la même longueur d'onde. Ne gâche pas cela, s'il te plaît. Allez, donne-le-moi. Sinon, ça va mal tourner.
-Mal tourner ? a répété Jin, éberlué, comme il se demandait si c'étaient vraiment des menaces qu'avaient proférées Riku avec un ton si tendre.
-Tu sais que si tu ne veux pas me le donner, j'irai te le voler.
-Tu ne sais même pas où il est caché, idiot, a ri Jin, un peu anxieux, un peu heureux aussi.


Riku n'a jamais semblé aussi adulte et aussi enfant qu'en cet instant alors.
Adulte par cette empreinte de solennité gravée dans ses yeux mais enfant, aussi, par cette impatience presque capricieuse qui l'a fait émettre cette moue ostensiblement boudeuse. Il s'est approché de Jin qui l'a regardé faire sans rien dire, et bientôt les mains du jeune homme sont venues se poser contre sa poitrine comme il a levé son visage vers lui. Riku a eu une expression de surprise. Rêvait-il, ou bien était-ce la lumière de ce jour hivernal qui en était la cause ? Pour la première fois de sa vie, les yeux de Jin, qu'il avait toujours vus bleus, lui apparaissaient gris. Le gris d'un ciel qui attend de pleuvoir pour faire naître l'arc-en-ciel.
-Si je ne peux pas le trouver, Jin, donne-moi un indice, a supplié Riku du bout des lèvres.

Jin a ri. Riku a souri. Il a souri peut-être parce que Jin riait, peut-être parce que des larmes naissaient dans ses yeux et finissaient de briser le mythe de la bête effrayante qu'il avait toujours été, peut-être parce qu'il le regardait tendrement, peut-être parce qu'il passait ses mains gelées dans ses cheveux blonds poudrés de neige, peut-être parce qu'à ce moment-là, Jin semblait encore plus enfantin que lui-même et pourtant, malgré l'assurance qui manquait et les émotions qui le déstabilisaient, Jin n'avait jamais semblé aussi protecteur.
-Viens le chercher, Riku.

Il n'avait attendu que ça, depuis le début. Mais il était un peu petit, Riku, et même lorsqu'il s'est mis sur la pointe des pieds, ça n'a pas suffi. Alors, parce que les bras qu'il avait passés autour de la nuque de Jin n'osaient pas l'attirer contre lui, c'est Jin qui, tout naturellement, est venu le rejoindre.
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

-Il ne reviendra pas.

Les yeux de Yoshiki étaient rivés sur le paysage à travers la fenêtre, ce paysage couvert de blanc dans lequel tournoyaient des millions de flocons dans une danse effrénée et euphorique. C'est comme si ces flocons savaient que c'était le jour de Noël et que cette nouvelle les mettait dans une joie collective.
-De qui est-ce que tu parles ? s'est enquis une voix innocente derrière lui.

Yoshiki s'est retourné et a poussé une exclamation de surprise lorsqu'il a vu Teru. Si l'air ahuri du garçon était aussi drôle qu'attendrissant, sa tenue l'était encore plus ; pour l'occasion le jeune homme s'était vêtu d'une veste et d'un short rouge et blanc aux couleurs de Noël, sans oublier les bottes en fourrure et le bonnet assorti équipé de deux cornes de renne. Yoshiki a considéré Teru des pieds à la tête, et derrière son air émerveillé, il était évident qu'il lui était aussi difficile de ne pas rire.
Teru a tressailli lorsqu'il a senti une main se faufiler autour de sa taille par derrière.
-Terukichi, ne tutoie pas le Roi si impunément, s'il te plaît. Et qu'est-ce que c'est que cette tenue de gosse ?
-Terukichi peut bien me tutoyer, Yuki, l'a défendu Yoshiki dans un rire charmant. Mais bon Dieu, Terukichi, tu as tort de t'habiller comme cela.
-Est-ce offensant, Majesté ? s'est enquis Teru dont les yeux brillèrent d'inquiétude.
-Aucunement. Mais si j'étais à la place de Yuki, j'aurais du mal à résister à un garçon aussi mignon.

Ce fut Yuki qui devint blême tandis que Teru éclata de rire non sans taquiner son amour d'un regard moqueur. Pour toute réponse, Yuki l'a puni d'une chiquenaude sur le front avant de s'éloigner, suivant Yoshiki dont un sourire fier illuminait le visage.
-De qui est-ce que Yoshiki parlait ? est venu trépigner Teru auprès de Shinya qui s'approchait.
-De Tsunehito, voyons. Depuis qu'il est parti hier pour raccompagner Yuu chez lui, il n'est pas revenu, et il ne reviendra pas ce soir pour le repas de Noël.
-Mais, cela ne pose pas de problème ? Je veux dire... Pour l'organisation, et tout le reste...
-Il n'y a vraiment que toi qui ne te doutais pas que les choses se passeraient ainsi.
Dans un gentil rire moqueur, Shinya a passé sa main sur le bonnet de Teru qui affichait son inhabituel air éberlué qui savait le rendre si comique même dans les moments les plus graves.
Alors, ce soir de Noël, Tsunehito, lui qui avait toujours été si fidèle et attaché au Roi, ne reviendrait pas.
Teru a baissé son bonnet jusqu'à hauteur de ses yeux et devant lui, tout est devenu rouge.
En silence, Teru s'est souvenu. Alors, un sourire s'est invité sur ses lèvres.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 Deux ans plus tôt. Noël.


 -Il ne reviendra pas.
Yuu s'était retourné et, adossé contre la fenêtre givrée, un sourire désolé creusait une ombre au coin de ses lèvres. Il avait balayé la pièce des yeux où tout le monde se tenait, les sens en alerte.
« Tout le monde ? » Non, justement. Ils n'étaient pas tous là, et lorsque Yuu avait fait son annonce, ils avaient tous poussé un soupir, certains las, d'autres exaspérés, d'autres encore un peu tristes, et s'étaient affalés sur les canapé et fauteuils autour de cette table basse sur laquelle un chandelier à cinq branches étincelait de splendeur.
-Ne faites pas cette tête. Il est en sécurité, c'est tout ce qui compte.
-L'on ne sait même pas où il est allé, avait rétorqué Riku, le visage décomposé par l'inquiétude. Comment peux-tu en être si sûr ?
-Parce que je connais Sono. Il a dû choisir de passer le réveillon de Noël seul dans un pub.
-Et il nous reviendra avec dix grammes d'alcool dans le sang, avait ironisé Kyô.
-Le fait qu'il préfère passer cette soirée de la sorte plutôt qu'avec nous n'a pas l'air de t'affecter, Yuu.
-Non, Kai. Pourquoi cela m'affecterait ?
-Tu ne sembles pas tenir à lui.
-C'est parce que je tiens à lui que je le laisse faire ce qu'il veut, dans la mesure du raisonnable. Après tout, il faut bien que Sono se sente seul pour qu'il réalise qu'il n'a rien à perdre à être avec nous.
-C'est de ma faute s'il est parti si brusquement, Yuu, avait déclaré Riku d'un ton coupable. Nous nous sommes disputés.
-Vraiment ?
-Mais, je ne sais pas ce qui lui a pris... Il n'a cessé d'insister pour que j'accepte de sortir au cinéma avec lui ce soir, mais je ne voulais pas, moi, je voulais rester ici, et à la fin, il en venait à me harceler, c'était insupportable, je... Je l'ai injurié, c'était méchant.
-Oh, je vois. Dans ce cas, Sono boude.
-Il déprime, plutôt.
-Kyô, qu'est-ce que c'est que ce ton ?
-Ce n'est rien du tout. Mais cet homme est si immature ! Il n'accepte jamais la moindre contrariété, le moindre refus. Tu sais bien à quel point Sono est susceptible, surtout lorsqu'il s'agit de Riku.
-C'est une dispute de couple ? s'était enquis Toshiya avec la plus parfaite innocence.
-Ne dis pas de bêtises ! s'était défendu Riku, penaud.
-Le problème est que l'on ignore ce que Sono peut faire, lorsqu'il a bu, avait averti Miyavi. Enfin, moi, je dis ça, mais je ne dis rien... Vous savez ce que je pense.
-Non, justement, je ne le sais pas, moi, avait fait Toshiya avec tout autant de candeur.
Mais pour toute réponse il avait eu droit à un regard noir de Miyavi qui lui fit baisser la tête.
-Yuu, tu as bien l'intention de faire quelque chose, n'est-ce pas ?

Si son air n'avait pas été aussi grave, Yuu se serait amusé de voir à quel point Riku semblait affecté.
-Il semblerait que tu accordes à Sono plus d'attention que tu ne voudrais le laisser paraître, a fait Yuu dans un tendre sourire.
-C'est de ma faute s'il est parti comme ça.
-Eh bien, s'il est parti à cause de toi, supposons qu'il reviendra grâce à toi.

Yuu leur avait fait signe, à tous, de se lever. Ils se sont exécutés sans broncher, curieux, comme dans un sourire malicieux Yuu leur intimait de s'approcher de la fenêtre. Et comme des enfants autour d'un spectacle de rue, ils se sont agglutinés, poussés, bousculés, jusqu'à ce que chacun puisse apercevoir à travers la vitre le spectacle de la nuit éclairée par mille néons.
-Il est seulement trop idiot de croire qu'on ne le voit pas.
Ceux qui étaient devant ont marqué un temps de silence avant de se mettre à rire, suivis bientôt par ceux comme Kyô qui, plus petits et moins bien placés, avaient dû se frayer un passage pour voir.
Il était là.
Posté devant l'arbre de Noël géant qui surplombait toute la ville, Sono se tenait là le dos tourné qui levait la tête vers le sommet de la splendeur imposante.
-Il est trop bête pour penser que les lumières l'éclairent et que même depuis ici, nous ne pouvons que le voir.
-Il ressemble a un santon, avait dit Toshiya, et chacun avait ri.

C'est lorsque Yuu a brusquement ouvert la fenêtre et que le froid a pénétré dans la pièce qu'ils se sont tous reculés dans une plainte générale.
-Qu'est-ce qui te prend, Yuu ? avait ragé Miyavi.
Les seuls courageux avaient été Kyô et Teru qui étaient restés aux côtés de l'homme, appuyés contre le rebord de la fenêtre.
-Vous êtes prêts ? avait clamé Yuu comme il prenait une grande inspiration.
-Prêts ? Mais, à quoi ? avait fait Toshiya, pris de panique.
-Prêts à donner à Sono l'envie de revenir, bien sûr !
-Allez, à trois ! avait chantonné Teru qui trépignait d'impatience. Un,... Deux... Trois ! »
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

-Joyeux Noël ! ont-ils hurlé en chœur à travers la fenêtre grand ouverte.
Dans un éclat de rire symphonique, Yuu et Tsunehito se sont jetés dans les bras l'un de l'autre, tout aussi bien pour faire partager leur euphorie que pour se soutenir comme l'ivresse seule du rire leur faisait perdre l'équilibre. Emporté dans son élan, Tsunehito avait plongé son visage au creux du cou de Yuu, cette gorge qui vibrait sous l'hilarité et qui peu à peu s'est calmée comme l'homme se demandait ce qu'il faisait.
-Tsunehito, sale vaurien.
Yuu l'a lâché et la moue enjôleuse faussement chagrine du jeune homme l'a fait succomber.
-N'en profite pas pour me mordre.
-Je ne te mordais pas, je t'embrassais, s'est défendu Tsunehito dans un sourire radieux qui témoignait de toute sa culpabilité.
Les mains de Yuu sont venues se mêler dans les mèches rouges de Tsunehito et les deux hommes se sont dévisagés, les yeux brillants.
-Tu crois que Yoshiki m'en voudra si j'ai décidé de rester avec toi ce soir ?
-J'avais prévenu Yoshiki que si tu m'accompagnais, je me sentirais obligé de te faire rester pour te remercier, a répondu Yuu d'un air grave. Aussi, il le savait.
-Tu t'es senti... obligé ?
La mine défaite de Tsunehito était d'un si grand comique que Yuu n'a pas pu retenir son hilarité.
-Je te déteste ! s'est défendu Tsunehito, vexé.
-C'est fort fâcheux, si tu me détestes. Nous risquons alors de mal nous entendre.
Le sourire mystérieux de Yuu trahissait sa profonde jubilation et Tsunehito l'a considéré comme s'il était devenu fou.
-Fort fâcheux, a répété Yuu d'un air pensif, puisque moi, je dois bien admettre que je t'aime.
C'est un peu pour la forme que Tsunehito a grommelé, et bien plus pour le fond qu'il est venu se blottir tout contre Yuu qui referma naturellement son étreinte sur lui.
-J'avais juste peur que tu regrettes d'être resté ici, Yuu. De ne pas passer Noël avec tes protégés... cela doit te paraître étrange.
-Qui a dit que je ne passais pas Noël avec eux ?
Tsunehito a relevé la tête et l'a interrogé du regard, dubitatif.
-Je suis toujours avec eux, tu sais. Où que j'aille, quoi que je fasse, ils sont toujours au-dedans de moi. Que je le veuille ou non, je ne peux rien y faire. Parce que, d'une manière ou d'une autre, ils sont un peu les enfants que je n'aurai jamais.

Tsunehito a souri, et ce sourire-là a trouvé son reflet dans le miroir des lèvres de Yuu. L'homme a passé son index en travers de ses lèvres, les yeux brillants de malice.
-Mais ne le leur dis pas. Certains d'entre eux me prendraient pour un fou, tandis qu'un autre que je connais bien ne se sentirait plus de joie. Et puis...
Il a passé sa main derrière la nuque de Tsunehito qui a entrouvert les lèvres. Figé dans sa béatitude, il semblait à la lumière des chandelles fait de cire.
-Et puis, en ce moment même, je veux être un amoureux avant d'être un père.
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Lorsque leurs lèvres se sont séparées, une ovation générale a empli le grand hall d'un vacarme à la limite de l'hystérie. Un peu gênés, mais si allègres aussi, Shinya et Yoshiki se sont mis à rire avant de saluer leur singulier public de la main.
-Shinya est la nouvelle reine ! avait clamé une voix enjouée, et tout le monde avait dirigé sur Toshiya un regard interloqué.
-Pardon... a murmuré Toshiya comme il se ratatinait dans sa chaise. Je me suis laissé emporter...
-Eh bien, avait fait Yoshiki non sans humour, si Shinya veut être la reine, je n'y vois aucun inconvénient.
-Mon père n'est pas une femme ! avait protesté Takeru avec véhémence.
-Il est inutile de t'énerver pour une plaisanterie, ma petite.
-Mais je ne suis pas une fille ! avait réagi au quart-de-tour Takeru en rivant un regard assassin sur Asagi qui partit dans un éclat de rire accompagné de l'assemblée.
Takeru a ruminé avant de se calmer comme Asagi était venu déposer un chaste baiser sur ses lèvres, ce qui ne manqua pas de provoquer une réaction générale.
-Je n'y crois pas ! s'était exclamé Kyô. Les cachottiers !
-Nous ne sommes pas des cachottiers, s'était défendu Takeru. C'est vous qui êtes aveugles !
-J'aurais bien aimé être aveugle, moi, avait renchéri Yuki.
Et parce que chacun se demandait ce qu'il voulait dire, l'homme a fixé avec insistance Teru qui, à côté de lui, se leva brusquement.
-Si ma tenue ne te plaît pas, ne me regarde pas, abruti !
-Seigneur, je me suis engagé avec un gosse... Gara, a ajouté Yuki en se tournant vers son frère qui, depuis le début, se faisait fort discret comme il n'avait toujours pas réalisé que Yoshiki avait insisté pour qu'il demeure au château. Dis-le lui, toi, qu'il est ridicule.

Et Gara s'était mis à examiner de haut en bas Teru dont le malaise s'accrut, le jaugeant d'un regard noir et sévère avant de pousser un long soupir las. Teru sentait déjà la déréliction s'abattre sur lui et il s'est résigné à subir son jugement.
-Ne t'occupe pas de Yuki, avait lâché Gara. Tu es si mignon.
Tout le monde a éclaté de rire, parce qu'à ce moment-là le visage de Yuki s'était littéralement décomposé comme il implorait son frère.
-Ne lui dis pas de bêtises, Gara, il y croirait vraiment ! Et toi, Teru, ne sois pas si fier ! Tu es ridicule ! Ôte au moins ce bonnet de renne !
-Mais je suis un renne ! s'était défendu le garçon avec une telle conviction que l'hilarité générale redoubla.
-Laisse-moi rire ! Tu n'es qu'un petit faon qui vient de naître !
Le vacarme ambiant était tel qu'ils ont mis tous un long moment avant de se rendre compte que le Roi s'était levé en bout de table, réclamant le silence par le tintement de sa cuillère contre sa coupe.
-S'il vous plaît, jeunes... et moins jeunes gens, avait-il clamé avec solennité. Je voudrais...

Il a semblé hésiter un moment comme il cherchait ses mots, puis s'est éclairci la gorge. Quiconque aurait regardé sa main qui tenait encore la cuillère alors aurait remarqué qu'il tremblait d'émotions.
-Je voudrais chacun vous remercier, tous autant que vous êtes... Pour tous les beaux cadeaux que vous nous avez offerts depuis que nous vivons ensemble dans ce château, et même avant cela, ces cadeaux qui valent bien plus que tous les cadeaux de Noël du monde...  Je te remercie, Asagi, d'avoir su mener à bien toutes tes missions et de t'être toujours montré si dévoué envers moi. Je te remercie aussi et surtout pour avoir su prendre soin de Takeru, et ainsi faire le bonheur du fils de l'homme que j'aime, et aussi celui de son père par la même occasion.

Asagi s'est renfoncé dans sa chaise, un sourire penaud sur ses lèvres comme il adressait un timide signe de la main à l'assemblée qui l'applaudissait.  

-Mais je te remercie aussi, jeune et brave Takeru, pour avoir accepté de quitter ta France natale pour venir dans ce château dans le seul désir de venir en aide à ton père. Je te remercie pour ne jamais avoir hésité à te sacrifier pour lui et ainsi faire preuve de tout l'amour et tout le courage dont tu es capable. Je te remercie également pour avoir su passer outre les... bizarreries d'Asagi et avoir su l'aimer tel que je l'ai toujours vu, en homme sensible et généreux qui, je le sais, saura te chérir comme il le faut.
Takeru avait jeté un regard insistant à Asagi comme pour souligner les derniers propos de Yoshiki, et dans un rire enfantin il est venu enserrer le cou de l'homme sous les acclamations toujours plus emportées de la tablée.

-Je te remercie, Jin, pour t'être donné tout ce mal dans le but de retrouver un homme dont tu savais si peu de choses, et qui ne savait rien de toi. Je te remercie d'avoir surmonté tes craintes et la haine que l'on te portait, mais surtout ta propre haine, Jin, dans le seul espoir de guérir un jour les maux de Riku que tu avais voulu sauver jadis, et pour lequel tu n'avais rien pu faire... Pour t'être acharné comme un pauvre fou à sauver un homme que tu n'as jamais pu oublier, Jin, pour avoir endossé le rôle du mauvais dans ce seul but, je te remercie.

Jin avait baissé la tête, son front appuyé contre ses mains reliées, pour ne pas montrer l'émotion qui l'assaillait et il est demeuré immobile sous les applaudissements tumultueux. Sa seule réaction fut ce discret sourire de reconnaissance lorsqu'il sentit la main pleine de tendresse de Riku se poser sur son bras.
-Mais je te remercie, Riku, pour avoir surmonté la peur que t'inspirait Jin sans même que tu ne saches pourquoi. Je te remercie d'avoir trouvé la force pour surmonter ton traumatisme, je te remercie d'avoir su faire confiance et saisir les mains que l'on te tendait. Riku, je te remercie pour avoir su faire le bonheur de ceux qui t'aimaient en silence, je te remercie pour avoir su faire ton propre bonheur, Riku.
 Cette fois, ce fut au tour de Riku de se cacher dans l'ombre protectrice de Jin quand toutes les acclamations l'assaillirent.

-Je te remercie, Yuki, pour ta sagesse dont cette maison de fous a toujours eu grand besoin. Je te remercie d'être toujours là pour les durs moments, et pour la patience infinie dont tu as su faire preuve auprès de ce cher Teru, qui, je l'admets, n'a pas l'air tous les jours facile à vivre... Pour t'être soucié de son bien-être et pour avoir tout fait pour l'apprivoiser, Yuki, je te remercie.
-Mais je ne suis pas du tout apprivoisé ! avait protesté Teru, indigné comme tout le monde applaudissait dans une hilarité partagée. Je ne suis pas un animal !
-Tu as dit il y a deux minutes que tu étais un renne, a renchéri Yuki, moqueur.
-Je ne suis pas un renne, mais un faon !
-Eh bien, tu restes donc un animal.
Terukichi allait s'éloigner, boudeur, quand la voix de Yoshiki le retint :

-Je te remercie, Teru, pour être ce garçon si sensible qui n'a pas eu honte de montrer ses faiblesses comme ses qualités, et pour avoir deviné qu'en Yuki il n'y avait pas que du mauvais à tirer. Teru, pour faire le bonheur d'un homme dont je sais, puisqu'il est mon ami depuis si longtemps, qu'il est bien plus insupportable que toi, je te remercie.
Les applaudissements ont redoublé et Teru de se rasseoir, fier, comme il adressait un sourire jubilant de vengeance à Yuki qui l'a puni d'une chiquenaude sur le crâne.
-Je te remercie, Gara, toi qui as toujours voulu vivre loin de ce château pour mener ta propre vie en ville, toi qui es toujours resté si proche de ton frère pourtant, toi qui as accepté de refaire surface par noblesse d'âme lorsque Yuki et certains d'entre nous t'ont supplié de nous venir en aide pour Teru. Merci à toi qui as su passer outre ta sensibilité et ta culpabilité pour te faire passer pour un tyran face à ce pauvre jeune homme selon les plans de Tsunehito, toi qui te montres si gêné en ce moment même et qui nous as fait l'honneur de rester ce soir, je te remercie.
Et Gara ne s'est jamais montré aussi gêné à cet instant comme il a lancé un regard de détresse à Yuki.
-Je n'assume pas du tout, a-t-il murmuré à son frère qui, en même temps que les autres, a applaudi plus fort encore.
-Je vous remercie, Kyô et Kai, qui avez recueilli mon cher Shinya lorsque celui-ci errait depuis des jours en France sans savoir où aller ni sans refuge pour se loger. Vous qui avez voulu faire confiance à un inconnu pour, au final, lui permettre d'atteindre son but qu'était de retrouver son fils, je vous remercie.
-Et te retrouver toi, Yoshiki, avait murmuré Shinya, mais heureusement, seul le concerné l'avait entendu car alors, sa voix avait été noyée dans le tapage ambiant.
-Je te remercie, Miyavi, pour avoir voulu voler au secours de Toshiya lorsque celui-ci, comme chacun maintenant sait, était en grave danger auprès de cet homme dénommé Atsuaki qui n'éprouvait nul remords à profiter de sa pureté pour en faire sa marionnette. Pour avoir toujours veillé sur lui dans l'ombre avant qu'enfin le soleil ne t'éclaire et ne permette à Toshiya de voir qui tu étais vraiment, je te remercie.
Miyavi a adressé une grimace à Toshiya comme celui-ci lui lançait un regard complice et gentiment moqueur, avant de se mettre à rire et de souffler un baiser en direction de son amour.
-Je te remercie, Toshiya, pour avoir un jour accepté de surmonter la transposition de tes propres souffrances pour devenir le complice sournois de Tsunehito lorsqu'il s'est agi de prendre Terukichi au piège dans le but de le tromper. Et pour avoir toi-même pris la bonne décision de mettre un terme à la vie que tu menais pour le plus grand bonheur de ceux qui t'aiment, je te remercie.

Toshiya allait prononcer un mot de remerciement mais il a brusquement tressailli comme Kyô, assis à ses côtés, avait enfoncé son index sous les côtes de l'homme qui y était fortement sensible.
-Je remercie bien sûr mon amour, Shinya, qui après tant de vaines tentatives de ma part, n'a pas pris la peine de répondre à toutes les lettres que je lui envoyais mais qui, à la place de ça, a quitté la France dans laquelle il avait construit sa vie et une famille pour retrouver son fils ici présent. Takeru qui, comme vous le savez sans doute déjà, n'est pas le fils biologique de Shinya et de feue son épouse... Pour avoir adopté un adorable orphelin et pour avoir fait de ton mieux pour son bonheur, Shinya, je te remercie.

Shinya a baissé la tête, dissimulant son visage sous ses mèches ondulées, et il a frémi lorsqu'il a senti le souffle de Yoshiki à son oreille :
-Merci de m'avoir tout pardonné après dix-sept années, Shinya, merci d'avoir voulu me connaître à nouveau et faire de moi un homme accompli.

Parce que les tambourinements étaient devenus un peu trop bruyants, Yoshiki a attendu qu'ils ne se calment avant de prononcer :
-Je remercie bien sûr les deux grands absents, Yuu et Tsunehito, ces deux amants en fuite qui, vous le savez tous, ont fortement contribué à l'avenir de chacun de vous. Un grand merci à Tsunehito qui, bien au-delà de la reconnaissance qu'il éprouvait pour un homme qui le recueillit alors qu'il n'avait que douze ans, a su m'aimer tel que je suis, à la fois comme un ami et comme un père, et pour s'être montré si fidèle et si bon conseiller, pour avoir su vous trouver et amener chacun de vous jusqu'à chez moi, pour avoir mené de son côté et dans le plus grand secret toutes ses petites enquêtes sur vous qui n'avaient pour but que de vous aider, je veux dire un grand merci, et que mon merci soit transporté dans les airs pour parvenir jusqu'à lui.

Des mains ont tambouriné contre la table dans le rythme effréné de l'euphorie générale, et Yoshiki a dû hausser la voix pour se faire entendre :
-Je suppose que je n'ai pas besoin de vous apprendre ce qu'a fait Yuu, a-t-il clamé face à l'attention de chacun. Vous qui vivez dans ce château depuis quelques mois, vous savez bien mieux que moi tout le bien qu'il a pu faire, car vous avez connu la chance inouïe de pouvoir partager sa vie. Pour tout l'amour que Yuu porte à l'espèce humaine, pour tout ce qu'il a toujours été prêt à faire sans rien attendre en retour, pour son altruisme, pour l'amour inconditionnel que vous porte Yuu, je le remercie de tout cœur.

Cette fois, il n'y eut ni cris, ni applaudissements. Juste un silence recueilli, un silence peut-être installé sur eux par des kyrielles d'anges qui passaient alors. Un parfait silence qui exprimait bien mieux que n'importe quelle parole l'amour, le respect et la reconnaissance qu'inspirait Yuu à chacun des hommes présents dans la salle.
-Ne crois pas que je t'ai oublié, mon cher Kamijo, a souri Yoshiki en mettant un terme à ce silence planant. Si tu crois que je peux oublier un instant ce que tu as fait, alors tu n'es qu'un sot. Parce que tu es ce meilleur ami d'enfance qui a commis certes de bien vilaines choses il y a dix-sept ans, mais des choses pour lesquelles tu as souffert peut-être plus que moi encore, des choses que tu t'es évertué de toute ton âme à réparer à merveille, Kamijo, parce que c'est grâce à ton culot et ton intelligence maligne que tu as réussi à faire revenir Shinya auprès de nous, parce que c'est toi qui as su recréer tous nos liens et faire redevenir les choses comme si rien ne s'était jamais passé, et pour avoir su ouvrir ton cœur à Sono, Kamijo, pour avoir aussi ouvert le cœur d'un démon pour lui faire avouer qu'il était un Ange, pour n'avoir jamais reculé face aux fourberies sans fin de ce jeune homme, pour toute ta bravoure et ta noblesse, Kamijo, mon meilleur ami, je te remercie.
-C'est moi, le démon ? avait grommelé Sono, mais personne n'avait pu l'entendre comme le vacarme était revenu aussi vite qu'il avait pu partir.


-Ne sois pas si fier, Kamijo, je refuse de voir ce sourire victorieux sur ton visage si laid. Tu n'as jamais ouvert mon cœur, Kamijo. Sale impétueux.
-Mais j'ai ouvert le mien de cœur, n'est-ce pas, Sono ? Tu ne peux pas le contredire.
-Peut-être, a-t-il rétorqué, c'est vrai, mais...
-Alors, si j'ai ouvert mon cœur, j'ai ouvert le tien, Sono. Puisque mon cœur, c'est toi.
Silence. Sono a baissé la tête, plaquant ses mains contre ses oreilles pour ne plus entendre qu'en sourdine le tapage incessant.
-Mon cœur, tu n'es qu'un idiot, a-t-il entendu.
-Et surtout, a clamé Yoshiki par-dessus le vacarme pour retrouver le silence, et de tout cœur, je remercie chacun de vous d'avoir fait confiance à l'homme que je suis. Pour avoir accepté de venir vivre dans ce château malgré les craintes que vous pouviez avoir, pour avoir su chacun de votre côté surmonter vos propres barrières, celles que vous aviez dressées devant vous et celles, encore plus puissantes, que vous aviez dressées en vous-mêmes, pour avoir su vous aimer les uns les autres... Je vous serai éternellement reconnaissant, car en acceptant de venir ici... Vous avez aussi fait sans le savoir mon propre bonheur.

Les autres n'eurent pas même le temps d'applaudir que la voix de Sono les coupa net dans leur élan :

-Et moi ? a-t-il protesté. Vous m'oubliez, moi ? Ce n'est pas juste ! J'ai peut-être fait de mauvaises choses, j'ai peut-être soutiré par du chantage de l'argent à Jin, et bien plus à Kamijo, j'ai peut-être rendu la vie impossible à nombre d'entre vous, à vous rabaisser, à vous martyriser, à faire de vos faiblesses mes puissances, mais tout ce que j'ai fait, je le regrette ! Tout ce que j'ai fait, je vous en demande pardon sincèrement ! Car malgré tout ce que j'ai pu montrer jusqu'alors, je ne hais aucun d'entre vous, et c'est même tout le contraire ! Je ne serais rien sans vous, et bien que je sois un démon, vous devez me remercier, parce que j'ai fait beaucoup de choses aussi, moi... Moi, tout ce que j'ai fait depuis le début, je l'ai fait pour l'amour d'un homme, et je n'ai pas à donner son nom, vous savez qui il est, j'ai tout fait dans le but de protéger celui qui ne cessa jamais d'être mon meilleur ami ! Même lorsqu'il l'a oublié, j'ai tout fait aussi dans l'espoir de le retrouver, j'ai tout fait par désespoir et en même temps par espoir, et j'ai même supporté des horreurs comme Jin et Kamijo pour cela, alors, Yoshiki, pourquoi vous ne me remerciez pas ?
 

Silence général. Shinya a levé un regard anxieux vers Yoshiki, car celui-ci s'était figé de stupeur et il s'était mis à craindre alors que l'homme ne se fâche brusquement. Il n'en fut rien pourtant. Yoshiki dévisageait Sono qui s'était levé et affrontait son regard avec défiance, et chacun attendait la suite des événements, le cœur battant.
-Puisque tu sais très bien toi-même ce que tu as fait, Sono, tu n'as pas besoin de moi pour que je te l'énumère.
Il n'y avait nulle sécheur ou amertume dans la voix de Yoshiki. Ce n'était qu'un simple constat que Sono reçut en plein cœur comme une offense. Les larmes aux yeux, il s'est éloigné à toute vitesse avant de se mettre à courir en direction de la porte immense, le cœur serré.
Il a voulu la tirer mais jamais elle ne lui avait semblé aussi lourde, et il s'est mis à tambouriner désespérément tandis qu'il savait bien que personne n'était là pour lui ouvrir.
 

-Ne fais pas la tête. Tu as bien dit que j'étais une horreur, non ? a fait la voix de Kamijo derrière lui. Alors, avant le repas, l'horreur s'est mis en tête de te jouer un mauvais tour. J'ai insisté un peu fort auprès de Yoshiki pour qu'il fasse exprès de t'oublier ce soir.

Sono s'est retourné. Honteux, il a vu tous les regards qui se rivaient sur lui alors qu'à son encontre, des larmes s'étaient mises à couler sur ses joues.
-Mais quelle importance, Sono ? Moi, ce que tu as fait, dans le fond, je ne peux pas l'oublier non plus. Je suppose que Riku ressent la même chose... Et Sono, aucune importance non plus si tu crois avoir perdu contre nous...
Kamijo s'était relevé et lentement s'était dirigé vers le jeune homme qui s'est plaqué dos contre la porte, anxieux. Il n'a pas réagi lorsque Kamijo fut assez proche de lui pour que ses lèvres frôlent son front et que ses mains ne s'attardent sur ses joues.
-Si tu crois avoir perdu contre nous, Sono, sache seulement que tu as gagné avec toi.

Sono a dégluti. Il a baissé la tête mais Kamijo l'a relevée brusquement et, avant qu'il n'ait pu réagir, Sono a senti les lèvres de l'homme venir emprisonner les siennes.
Les cris de joie, les applaudissements, les tambourinements acharnés de la tablée en folie, tout cela a disparu lorsque Sono a fermé les yeux. Le murmure de Kamijo contre son oreille, alors que leur baiser prenait fin, lui a fait l'effet d'une sérénade.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


-Joyeux Noël, amour.
Tsunehito a souri. En guise de remerciement, il est venu coller son corps nu caché sous les draps contre celui de Yuu qui passa son bras autour de lui.
-Même après un moment pareil, Yuu, pourquoi est-ce que ton corps est toujours aussi froid ?
-Parce que je suis fait de glace, idiot, a-t-il murmuré.
Yuu s'est penché au-dessus de lui et est venu déposer un doux baiser sur ses lèvres mutines.
-Et Yuu, est-ce que c'est bien, d'être fait de glace ?
-Oh, non. Crois-moi, il n'y a rien de plus embêtant, a-t-il lâché dans un rire.
-Pourquoi ? s'est enquis l'homme en écarquillant ses grands yeux bruns.
-Parce que, tu sais, la glace, ça fond tout le temps au soleil.

Tsunehito a continué à le dévisager comme s'il attendait la suite de ces paroles, et alors, dans un soupir qui mêlait la résignation à la plénitude, Yuu s'est laissé retomber sur le matelas pour venir se coller tout contre Tsunehito. Yuu a fermé les yeux, et à l'intérieur de sa poitrine il sentait une flamme le brûler doucement.
-Et mon coeur a toujours fondu puisque, du soleil, il y en a toujours eu plein autour de moi.

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