Mes petits secrets 3

Tout a commencé lorsque j'étais gamine. J'avais douze ans et une jolie brunette crevait l'écran. Punky Brewster. Rien que son nom me faisait rêver. C'était une orpheline, presque comme moi. Elle était marrante et débrouillarde, rien ne lui faisait peur. J'étais différente.
Comble de l'originalité, elle portait des chaussures différentes à chaque pied.  Plus tard, sans vraiment m'en rendre compte, j'ai commencé à mettre des chaussettes ne venant pas de la même paire. Mes proches m'ont taxée de fainéante. Je haussais les épaules devant tant de mépris. Pourquoi porter deux chaussettes identiques ? Quand quel manuel de savoir vivre ou bouquin scolaire était-ce gravé ? Une noire avec une rayée, une rose avec une à carreaux. Plus besoin de chercher dans le bac à linge, plus de temps perdu à trier avant de ranger.

Et puis dans ma vie bien lisse, c'est comme si je portais mon originalité contre ma peau. Pas besoin de la jeter au visage des autres.

Petit à petit, la vague du « pas assorti » s'est abattue sur moi. Rien à faire des standards de la mode. Mes culottes n'iraient pas avec mes soutifs. Mon bas de maillot de bain ne voulait pas ressembler au haut. Quelques amoureux ont trouvé cela charmant. Sur la plage, j'ai même devancé la tendance. J'ai commencé à fermer mes stylos avec les capuchons des voisins.

Suite à une remarque désobligeante d'une personne très proche, j'ai mis mon nez dans les définitions. "T'es trop dépareillée comme nana".

Dépareillée : qui est séparé de ce avec quoi il forme un ensemble assorti. Psfff, n'importe quoi. Même le dictionnaire est dans le complot. Comme peut-on juger de ce qui est assorti ? Il existe des règles alors ? Un jour, une personne a dicté une norme : les choses allant par deux devaient être identiques pour être assorties.

Plus loin «  Qui n'est pas complet ». Moi incomplète ? Seulement parce que je n'ai pas les mêmes goûts et pratiques que mes confrères ?
Avant hier, j'ai pratiqué le sport féminin par excellence des mois de janvier : les soldes sur le Net. J'ai commandé des bijoux d'une créatrice française : des boucles d'oreilles. Comble du bon goût cette artiste a choisi de vendre des pièces différentes pour chacun des lobes. Ainsi je ne serais pas la seule à aimer le déséquilibre ?

C'est un secret que je veux bien partager. Si on vous demande comment je suis dans la vie privée, répondez : Dépareillée.