MON SEUIL DE TOLÉRANCE

Emmy Jolly

Dès le départ du train, je réussis à me calmer. Je ne tremblais plus. Le manque qui m'avait gagné, c'était subitement retiré. La douleur qui me torturait était passée. Elle avait fané dans les oubliettes de mon quartier. Je m'étais si bien habituée à traverser cette rue que je ne l'avais pas vue. Cette belle et ténébreuse femme noire comme l'ébène. Elle tenait dans ces bras cette petite chose toute flageolante et innocente. Ces cris m'ont alors alarmée. Ils n'étaient pas bien méchants puisque aucune douleur, souffrance ou torture n'en découlait. Non, ils signifiaient simplement « Présence de Vie ». Alors que moi, dans tous mon être, je n'étais qu' « Absence de vie ». Vide, j'étais envahi d'un vide total. C'est à ce moment précis qu'une douleur que j'avais enfouie au plus profond de moi avait resurgit. Je devais fuir, je devais partir.


L'Aube est loin de moi, à présent et me rappelle qu'il est temps de prendre la direction d'une vie nouvelle. Il y a dans ce compartiment, l'échantillon représentatif de la population. Ou devrais-je dire un échantillon d'imbéciles dont moi j'en fais partie malheureusement.

Derrière moi, deux dames discutent en décortiquant les actualités.

« - Mais où va le monde ? Peut-on encore avoir envie de laisser tous les dégâts de la vie à Nos Enfants ? Après tous ces morts il y a deux jours, aujourd'hui, il y en a encore !

- Ah ! Qui le dites-vous ! Je ne supporte plus d'entendre la radio, la télé et tous ces journaux qui nous rabâchent toutes ces mauvaises nouvelles ! 

-Oui voyez-vous cela, ces attentats et ces prises d'otages avec 17 victimes au total ! »

Je n'ose pas me retourner, je sais tout cela.

Le Dalaï-lama dans l'Art du bonheur écrit ceci : « La variété d'individus appelle une variété de religions. La religion « devrait servir de remède pour aider à résorber les conflits et la souffrance du monde, au lieu d'être une source de conflit supplémentaire. » Il a bien raison, c'est tellement vrai. Je sais que le monde ne tourne pas rond et aujourd'hui, nous sommes un jour pluvieux de janvier 2015 en France. Tous ces morts me hantent. La mort est partout, elle rôde autour de nous comme un animal malsain. Un reptile qui enroule son corps subtil et froid sur notre cou. Il cherche à y insérer ses crocs afin d'infiltrer son venin pernicieux.


J'étouffe, l'air deviendrait-il si rare ? Je dénoue mon écharpe. Je tremble encore et toujours, je suis constamment en manque. Est-il nécessaire de vous conter mon histoire ? Allez, c'est parti me dis-je, j'ai beau avoir subis toutes ces thérapies, à quoi ont-elles abouties?

Je n'en peux plus de ressasser ! Mais allez-vous donc me lâcher ! Donnez-moi ce qu'il faut et puis c'est tout. Des médocs ! Même des trucs qui ne guérissent pas ! Mais qui rendent toc toc, euphorique, qui soulage, qui me rende « HEUREUSE » quoi !

Submergeons-nous de bonheur artificiel ! Y'a que ça de vrai dans la vie ! Bref, je ne sais pas où vais, mais j'y vais ! C'est ainsi que pour faire face à la colère et l'incompréhension, je me suis dit direction la gare. J'aviserai ensuite pour la destination.

Calme-toi. Ferme les yeux. Inspire et expire. Relaxe. Fixe-toi ton Mantra : "Bien-être et sécurité". Je déborde d'anxiété. Je tremble encore. Pourquoi ?

Par malchance, mon numéro d'emplacement ne se situe pas à côté de la fenêtre, mon subterfuge d'évasion et de cloisonnement. Moi, l'insatiable rêveuse. Je n'ai pas osé échanger ma place avec ma voisine, Mamie Bonnet Rose.

Une fillette passe à côté de moi. Une petite rouquine d'à peine quatre ans tenant dans la main un pain au chocolat bien ramollo, à force d'être torturé par des menottes si goguettes. Elle s'arrête à ma hauteur et immobile, elle me fixe. Pourquoi me regarde-t-elle comme cela ? Ses yeux bleus brillent d'admiration ou de tendresse ? Elle dégage une odeur si agréable de cacao. C'est rassurant et en même temps alarmant. La machine tonitruante de mes émois accélère, je deviens plus calme et sereine. Ce train qui me berce, fait chanter en moi toute mon enfance. Alors me voilà partie pour un voyage dans le temps au goût sucré et moelleux. Il me revient en mémoire de délicats souvenirs faits de sourires. Allant des courses effrénées de mes jeux exaltants, aux câlins maternels. C'est par les saveurs, au détour d'un plat, d'une odeur ou sur l'étalage de l'épicerie du mercredi que je me projette à présent. Que j'étais bien dans ma petite maison douillette. Des matins embrumés où les élans frénétiques de mes parents nous poussaient aux départs imminents pour l'école. Aux arrêts boulangeries des après-midi pour célébrer les goûters. J'optais bien souvent pour ce pain où je mordais goulûment dans ses deux barres bien dures de chocolat. Oh les doux parfums d'enfance ! Des biscuits craquants aux bonbons chimiques et chimériques. Il y a beaucoup de choses dans notre passé tellement marquant, alors y retourner même un court instant, ça fait tant de bien ! C'est pour cela que je veux trouver refuge chez Mamie Maya.

Elle réside en Bretagne vers Brocéliande. Mon pays magique et féerique. Lieu de toutes les légendes. « La table ronde ». Moi, j'ai toujours symbolisé cette image par une véritable table lorsque l'on m'en parlait et notamment lorsque j'étais cette petite fille férue de contes.

J'avais déjà à cet âge-là une imagination hors norme ! Oh ! Messieurs les Chevaliers qu'est-ce que vous m'avez fait rêver ! Sauveteur en terre sainte pour une fidèle reine des bois !

Mamie Maya, pourquoi je l'appelle comme ça ? Parce qu'à sept ans, c'est dans son jardin que je me suis fait attaquer par une abeille. Une piqûre qui ne valait pas la peine d'ameuter les pompiers, mais qui m'avait fragilisée. Il faut bien l'avouer, j'étais chétive et malhabile. C'est à cause de cette timidité envahissante que je me cachais derrière ma grande sœur. Elle était mon icône, mon idéal, mon modèle de perfection. Tout le monde ne jurait que par elle à la maison. La famille, c'est un pilier tellement utile à l'éducation et au besoin de l'enfant. Même pour nous les plus grands c'est une nécessité parce que vivre seul, c'est un calvaire. La solitude est un bas mot. Elle nous cloisonne parfois bien malgré nous, dans un bloc tellement volumineux et pesant. C'est vivre dans la honte d'une vie jugée dénuée de sens.


Mes mains s'agrippent à mes genoux. Je regarde passer tous ces voyageurs itinérants. Mais où vont-ils ? Un itinéraire plus approprié serait à envisager n'est-ce pas ? La ligne du temps s'en va chantonnant comme l'air champêtre qui trône dans ma tête. C'est insupportable de vivre cette douleur constante, ce mal oppressant. Soulagez-moi ! Je m'apaise, prends racine et je sais qu'il me faut le combattre ce mal, par la racine. En tout cas, pour positiver, les instants de mon enfance furent les moments les plus heureux de mon existence. Puis, j'ai toujours voulu écrire des contes ou des romans pour la jeunesse. Je suis baignée dans de multitude d'aventures chevaleresques et de princesses. Sans omettre les monstres féroces qui peuplent mes récits dénués d'inventivité ! Mais voilà ce que je crois, mes personnages à moi, sont devenus si attachants dans le cœur de ces petits gamins haut comme trois pommes !

J'aime les émouvoir de mes vagues histoires. Lili et Eugénie. Mascotte et Aristote. Le tout dans un univers interstellaire ! Les étoiles et l'espace, j'en ai fait une création sans aucune prohibition.

C'est à l'âge de tous les fantasmes, que je me suis vengée sur les œuvres littéraires, musicales pour endiguer ma timidité si maladive ! Je me suis cachée dans mon terrier nuptial, ma chambre devenue lieu de tous les vices cachés. Lire à s'en écœurer de mots, de phrases, de paragraphes et d'histoires abracadabrantes ! Cela force l'admiration n'est-ce pas ?

Tiens, mais qu'est-ce qui grogne à l'intérieur de moi ? La faim me gagnerait-elle ? Non, elle ne m'aura pas ! C'est quoi, c'est le désir ? Le plaisir d'une délectation ? Ou l'envie d'une privation pour la beauté de la perfection ? Mais cela ne rime à rien. Je le sais bien puisque la faim est un appel à un besoin primaire à satisfaire.

Avez-vous déjà été aux prises avec une obsession qui vous dépasse à tel point que vous voudriez mourir afin de ne plus ressentir cela ? J'étais dans un tel mal-être à une période de mon adolescence.

Ce qui me taraude à nouveau n'est qu'une ébauche, comme celui d'un sourire inconnu qui nous fait du bien à l'âme un jour de drame. Pourquoi suis-je si touchée par une soudaine envie de replonger dans cet enfer ? J'ai en moi le rejet de ma propre existence. Si au moins je souffrais de ces addictions reconnues, telles que le tabac, l'alcool ou la drogue (même si aujourd'hui, on dénombre encore des addictions liées au jeu, aux achats compulsifs, à la luxure...) : ça, j'arriverai encore à comprendre ! Les paradis artificiels, les nectars brûlants et enivrants, qui apporte une volupté et un plaisir inéluctable. Si j'y adhérais, je pourrais me laisser aller, je m'évaderais vers des contrées lointaines, même inhumaines.


Mes yeux sont fatigués, non en réalité, c'est moi qui suis si lasse. Les bruits et les secousses me réveillent illico. Ma voisine, la dame au bonnet rose, me regarde et de son air timide et craintif, elle me sourit. Chercherait-elle à me parler sans oser agir ? Le jeune homme pas loin, assez beau gosse mais trop jeune pour moi, semble absorbé par son portable, un i-phone ? Bref, je ne me suis jamais intéressée à la modernité, me contentant de mon éternel portable qui ne fait ni photos, ni internet.

Je me rends compte que la drague et la séduction sont des mots inconnus de mon vocabulaire. N'étant pas attirante pour un sou, avec un physique si banal. Le seul mâle que j'ai réussi à attirer, il m'a largué ! J'ai toujours en mémoire ce premier amour, surtout le regard qu'il m'a lancé la première fois. Il y découlait une telle tendresse que j'y décernais les mots : « Allez, viens si on s'aimait ? Ça serait une bonne idée, non ? » Moi qui avais mille fois évoquer une rencontre fortuite, ce fut l'Évidence et l'amour avec ce grand "A". Le tout cumulé dans les traversées de mon désert sentimental.

Je sens monter en moi toutes ces émotions et c'est la crise ! C'est si magique la communion de deux êtres que tout oppose. Ce Yin et ce Yang. Le délire des plaisirs devenant le délice des souvenirs. Ces instants si alléchants de nos deux corps entremêlés suintant de fluide concordant. Me voilà avec des palpitations tout à coup ! Moi, je suis comme ces femmes qui espèrent la vie plus que tout en elle. La fécondité est considérée comme un don divin. Je pense à celles qui ont enfanté dans des conditions exceptionnelles. D'un côté, je me sens identique et proche d'Anne, Rebecca, Rachel, Elizabeth ou encore Sarah. Tiens, je me rends compte que je possède le prénom d'une sainte qui a réussi à enfanter miraculeusement. Sarah. Bien que mon prénom à moi, c'est Sara sans "H". Pas de hache pour la brave fille de 35 ans.

J'ai tant pleuré et attendu l'amour qui n'est venu qu'à mes 25 ans. J'ai mis cinq ans avant de le trouver, deux ans à oser lui parler, un an pour l'attirer. J'ai tant peiné à le garder. J'ai tant voulu qu'il soit père, mais j'ai perdu au jeu de la vie. Je crois que j'ai dépassé mon seuil de tolérance. Parce que j'ai dépassé un certain seuil dorénavant. J'ai l'âge où la procréation se détériore. J'ai tellement cru que je parviendrais à tenir ce rôle que lorsque le diagnostic fut annoncé, le choc fut brutal. En effet, qu'est-ce que je vais laisser derrière moi ? Voilà donc où j'en suis. Nulle part et solitaire. Et Erwan, l'amour de mon ancienne vie, s'est marié et lui, va devenir père.

Je n'ai pas eu le temps de lui donner d'enfants. Est-ce que je n'ai pas pu ou pas su ?


Je m'en veux d'être cette femme jalouse. Mais convoiter les biens d'autrui est-ce un pêché ? Parce qu'aujourd'hui, je me contente des enfants des autres à défaut de ne pas en avoir ! Je les regarde, j'admire mes amies, ma sœur, toutes celles qui sont mamans. Toutes celles qui ont droit à leur fête première au mois de mai. Joli mois de mai, petit mois du muguet et de la fête du travail. Voilà que je dévie encore le sujet pour ne pas avoir à affronter les évidences. Après des années de traitement et d'acharnement à croire que l'impossible pouvait devenir possible. Si au moins je pouvais dire que le verdict est sans appel, que je suis la cible d'une fausse direction, que mes trompes sont oppressées. Voilà pourquoi je suis inutile. Si mon corps était défectueux indépendamment de ma volonté, je n'aurai pas à m'en vouloir et à me sentir aussi coupable. Parce que je ne l'aurai pas voulu. Si seulement ce n'était que mon corps qui me faisait défaut. J'aurai des raisons valables de m'en vouloir si c'était un fait involontaire. Mais mon corps est irrémédiablement casé et abîmé par une « putain » de maladie ». Je ne suis pas fragilisée par une chose involontaire. Comme un cancer. Mais parce que je suis infligée cette tare. J'ai gâché toutes mes chances d'enfanter. Je n'arrive pas à juger ce qui m'habite comme d'une maladie reconnue. Alors que je possède cette fixation mentale que je n'arrive pas à définir comme une réelle maladie. Je me dis que c'est mon état d'esprit qui est ainsi, car c'est là-dedans dans ma caboche que tout y est encré. Mais qu'est-ce que j'ai dans ce cerveau qui me fait penser et agir ainsi ? Est-ce que je peux lutter ? Est-ce ma destinée ?


Stérile est un mot de trop. Un mot en porte à faux. Je le sais à présent, je ne serais jamais mère. Je ne laisserai jamais aucune trace dans ce monde. Aucun petit morceau de moi ne transfigurera dans un être unique. Une petite chose dont aurait découlé un peu de mon propre sang. Peut-on croire au bonheur quand notre cœur aime pour deux ? Quand notre corps voudrait soutenir une deuxième destinée dans sa chair humaine. Dans la lointaine souche de mon inconscient, je voudrais fuir la réalité, fuir la triste fatalité. Je ne suis plus moi-même depuis bien longtemps. À quel avenir, suis-je donc promise ? À ne rien combler, à ne rien remplir dans ce corps et esprit. Parce qu'il y a ce grand rien et quand ce vide m'habite soudainement, il me faut le contrôler. Quand je perds tout contrôle, c'est là que je m'effondre. Moi, je ne suis pas morte, mais je ne donnerais jamais la Vie.

Mes yeux se ferment au son de la douce musique planante environnante et une voix me réveille. Mamie Bonnet Rose, dont l'allure timorée et renfermée me sort tout de go:

« - Vous savez, il faut manger ma petite ! Si vous voulez nourrir votre bébé ! »

Elle me scrute sans un mot. Je n'ose pas la fixer et ne trouve rien à lui dire, gênée.

« -Mais je ne suis pas enceinte. Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

Vous savez moi, ce que j'en dis ! »

Mais elle a l'Alzheimer ou quoi cette bonne femme ? Ou bien elle divague.

-C'est mon physique qui vous fait dire ça ? Je suis si grosse que ça ? »

- La vie, ce n'est pas facile, vous savez ! » Elle soupire et se tourne vers la fenêtre. Elle se mure dans un vague silence.

Vous avez un mari, des enfants, une famille ? » Voilà que je me mets indiscrètement à la questionner !

Elle m'interrompt : « -Je vois une telle tristesse en vous. Il ne faut pas vous faire du mouron ! Les hommes sont tous comme ça ! Ils partent, ils reviennent. Ils ne savent pas ce qu'ils veulent. Ah ! Sacrés bonhommes ! Ils disent pareil eux - aussi : Ah sacrés bonnes femmes ! C'est pour cela que je ne me suis jamais mariée. Elle se met à haleter et continue.

Je sais, j'ai peut-être gâché mes chances d'avoir des enfants aussi. Personne, moi y' a plus personne qui m'attends en tous les cas. »

Mamie Bonnet rose, elle a quoi ? Environ soixante-cinq à quatre-vingts ans, et bien cette femme étrange semblent tout deviner de moi. Je ne vois pas ses cheveux cachés sous son bonnet en laine rose qui semble avoir été tricoté main.

Je me lève doucement et je sens mon corps tanguer et mon cœur vacillé.

« - Qu'est-ce qui vous arrive ma petite ? »

Une douleur bien connue me submerge, une nausée, et celle-ci n'est pas un dégoût non, c'est physique. Il me faut une cuvette, un sac ou n'importe quoi vite ! Je me rends tremblotante vers les toilettes. Voilà que j'ai le mal de transport à présent ! Ou bien une gastro, n'est jamais de trop ! Je me fige que mon visage dans le miroir fêlé. J'ai encore une douleur à tolérer ! Le seuil de mes tourments est omniprésent ! Le pire ennemi que j'ai, il est là devant moi : c'est moi-même. Puis, je me remets à vomir de la bile. Et voilà j'explose.


Je ne vous raconte pas l'histoire d'une fin du monde, d'une guerre, de la mort, pas de tragique, ni le mélo d'une histoire d'amour. Non-juste celui d'un désir d'accéder à une paix intérieure, l'acceptation de soi-même, mais quel dilemme d'arriver au bonheur total de son existence. Y'a plus malheureux que soi n'est-ce pas ? Pourquoi faut-il toujours voir ailleurs ? Alors que c'est sous son propre toit qu'il y... « A ». Oups ! « A » c'est quoi c'est « A » comme Amour ? Ou "A" comme Anorexie ? Et voilà tout est dit ! Et mon gros problème c'est : « Comment être enceinte et avoir un bébé malgré l'anorexie et les Tocs ? ».

Je crois que c'est moi-même que je ne tolère plus ! Voilà donc que je décharge toute ma haine contre moi-même. Je n'admets pas mon problème comme une maladie, je suis une éternelle insatisfaite, la perfection n'est qu'une illusion et celle dans laquelle je vis est totalement inféconde. La ligne s'enfonce, poursuit son allure et ma vision relâche la pression. J'ai peur que mes démons les plus anciens ressurgissent.

Et je repense à lui, le seul et unique amour de ma vie. Erwan. Et je revois ces mots : « E à S, à jamais » Cette lettre écrite même pas manuscrite pour m'annoncer que c'était « The End » Final. « Nous resterons amis après cette dernière nuit. Parce que là aujourd'hui nous sommes dans l'interdit. » C'est difficile et douloureux à décrire cette sensation d'amour perdu.

« Idiote, tu n'es qu'une idiote ! » La douleur à présent est plus forte que la peur. C'est mon avenir à long terme, je l'espère. Il faut donc absorber l'espoir. J'ai une impétueuse idée, pourquoi ne pas atteindre le ciel pour se fondre à l'Éternel ?

Je me sens inondée de soleil, mais le fait de se sentir aussi radieuse n'est pas dû au hasard. À l'heure où les contes ont amené la rêverie dans l'univers des enfants, j'étais pourtant là, à la première loge. Je mets la main sur mon ventre et je sens couler en moi un flux, un curieux mélange de lourdeur et de fluide étranger. Le seuil de mon inquiétude est à son apogée. Une fois, assise à mon siège dans un état de transe, je retrouve ma voisine.

« - Vous êtes bien pâle ma petite ! Me dit-elle.

C'est alors qu'elle se met à me parler d'elle en toute confiance et sans détours.

« Vous savez mon cancer à moi, je crois qu'il n'est pas terminé. Ses sacrés médecins ont beau me dire courage, vous êtes en bonne voie. Mais je ne suis pas au mieux de ma forme. Je me croyais guérie, mais le mal est toujours là. Je l'ai eu ma période de rémission. Seulement. ... »

À cet instant, elle se tait et semble plongée dans un état de recueillement.

Et dans un élan surprenant, elle lance : « Puis vous savez y'a un an je me suis cassée le col du fémur en tombant de mon lit ! Le matin de Noël, voyez-vous ça ! Direction l'Hôpital mais je ne voulais pas ! »

Elle se calme et fixe le siège devant elle. « -J'aurai pu mourir pour de bon, mais y avait personne qu'était là pour moi. »

Les yeux fermés, cette tendre Mamie au Bonnet Rose marmonne : « Et chaque matin, j'ai peur et lorsque je me réveille et bien vous savez quoi, ma petite ! Maintenant, je crains la rechute ».


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