Naxos Appolonas (5)

laura-lanthrax

Nous sommes dans l'eau Délicia et moi. Seuls nos yeux dépassent. Comme deux crocodiles, nous avançons tranquillement, comme deux sous-marins silencieux et guettant leur proies, jusqu'à perdre pieds. Nous faisons l'amour dans la précipitation, la vie est légère après tout, nous allongeons nos jambes et nos bras pour une étoile parfaite, la tête sous l'eau, maintenant, nous écoutons les signaux marins, la transmission des tréfonds, l'appel des limbes. Je suis détendu. Je reste longtemps étendu, la musique de PJ H me revient en tête et je chante dans la nuit de Naxos Appolonas. Je crois que tout est terminé, je joue l'apaisement, c'est un moment isolé, le cours du temps n'est plus, rien ne peut arriver, nous sommes suspendus dans l'intervalle de la promesse, la mer est à nous comme le monde est à nous. Elle s'éloigne pourtant, elle nage loin, je ne la vois plus déjà, la mer est calme, je reste tranquille, j'attends, je n'ai pas peur, même si l'idée de la noyade traverse ma tête. Je regarde le ciel et les étoiles dans la nuit claire, la lune est là, a sa gibbeuse, j'ai appris ce mot de la bouche même de Délicia, aujourd'hui. J'aime Délicia, j'ai fait cette découverte, et je ne veux pas laisser passer ma chance, ma chance est là, maintenant, je le crois. Je repense à aujourd'hui et à cette journée qui s'achève, sur la plage de Naxos Appolonas. Je ne pense pas a Salamanque, ni à Barbara, ni à cette soirée initiatique et perdue d'avance, j'avance vers notre avenir, à elle et à moi. Il y a un avenir pour elle et moi, voilà ma conviction et ma découverte aujourd'hui. Il y a un avant et un après Naxos pour le dire à la manière des philosophes. Je nage maintenant, j'ai besoin de tester mes convictions, j'avance loin devant, la mer est calme, il fait noir, les lumières de la place ont disparu, je veux épuiser mes dernières ressources, je vais me vider des impuretés et redémarrer cette nouvelle vie, je ne rêve pas, nous n'avons plus de secret l'un pour l'autre, nous resterons ici, pourquoi pas, à Naxos Appolonas, nous planterons des arbres, nous construirons des murs et des puits, nous peindrons nos visages, nous bronzerons à l'abri des pierres, nous chanterons le soir sur la place, avec nos amis les barbiers, je couperai mes cheveux moi aussi, je veux une nouvelle tête, elle m'a promis de rester, elle m'a raconté l'étrange vie qui fut la sienne jusqu'à ce jour, cet assassinat manqué, ce frère la défaite vivant sur le banc d'un parc, effrayé et radotant, la découverte de l'art et du théâtre, puis l'abandon des espaces, la lutte pour la survie, la disparition des idées étranges qui lui traversent la tête, je suis l'élu, m'a-t-elle dit, celui qui apaise son étrange parcours.

Je suis allé trop loin, je n'ai plus la notion du temps, j'ai l'impression pourtant que le jour est proche,  je reviens sur mes pas, la mer est calme, je n'ai plus la force, je vois la terre au loin, je veux la revoir, la serrer contre moi, l'embrasser maintenant, je ne veux pas la perdre, je m'applique à nager calmement, il reste encore si loin à parcourir, j'ai des mauvaises pensées, puis je ne pense plus à rien, j'essaye d'avancer et de l'approcher, voilà mon objectif dans la minute, dans la seconde, approcher ma proie, Délicia mon délice, pour la dévorer, jusqu'à l'os, et ronger ses os proprement, lentement, pour les garder près de moi, dans un coffre, sur un coussin rouge, à la manière d'une couronne, des reliques sacrées au pouvoir magique.

Je m'aperçois encore que je deviens presque fou, je perds des forces, je respire plus fort, j'hésite à poursuivre ou à me laisser aller, pourquoi ne m'a-t-elle pas retenue, je ne crois pas aux miracles, j'essaye de réfléchir encore, qu'aurait fait Salamanque, quelle est la solution, dis la moi, et toi Barbara qui approche sur ton fauteuil, aide moi, pour l'amour de Délicia, à la retrouver, à la serrer plus fort, je veux l'étouffer, je ne veux plus jamais la voir repartir, je la veux près de moi, attachée, dépendante, aux ordres. Voilà j'arrive presque vers le bord, j'ai pied tout à coup, je marche difficilement, mes pieds s'accrochent aux pierres et le sel brûlent mes pieds écorchés, le sang se répand peut être, mais j'y suis, je suis sauvé des eaux, j'ai réussi, j'approche, je recule, je tombe, je me relève et j'avance contre les vagues peut être, je ne suis plus très sûr de ce qui arrive. Je cherche Délicia et je ne la vois pas, il y a un groupe autour de moi, des ombres cagoulées qui m'encerclent et me tirent vers la mer à nouveau, ils sont trois ou quatre, je n'ai plus la force, je me laisse faire, je ne pense plus non plus à notre vie après, après un moment, je sens parfaitement que je n'ai plus pied à nouveau, ils m'encerclent et me protègent toujours, je suis rassuré en quelque sorte, puis je dois bien l'admettre, ils ont un plan, un devoir, une certaine idée du plaisir. Je sens ma tête disparaître sous l'eau, je suffoque, j'étouffe, j'avale l'eau, ils retiennent ma tête sous l'eau, j'avale, puis je meurs sans doute.

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